Les investisseurs face à la transition énergétique

Par Sylvie Lemieux | 5 juin 2023 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : By World Economic Forum from Cologny, Switzerland

Pour Mark Carney, l’envoyé spécial des Nations Unies pour le financement de l’action climatique, la question n’est plus de savoir si les institutions financières doivent s’aligner sur l’Accord de Paris, mais plutôt comment elles vont le faire.

Lors de son passage au Sommet de la finance durable, il a convenu que les institutions financières se trouvent face à un choix crucial : soutenir la transition énergétique ou continuer à financer des industries nuisibles à l’environnement. Elles doivent se positionner et de façon de plus en plus pressante puisque les changements climatiques sont plus que jamais un enjeu de taille.

« En deux décennies, le nombre d’événements climatiques a été multiplié par trois alors que le montant des pertes a été huit fois plus important. Les risques sont réels pour le secteur financier et il faut changer les règles du jeu », a souligné l’ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, qui est aussi l’instigateur de la Net Zero Banking Alliance.

La pression citoyenne, notamment celle exercée par les jeunes générations, force aussi les institutions financières à accélérer le pas vers des investissements plus verts. « Il faut que les prêts de tous les jours, les hypothèques de tous les jours, les investissements de tous les jours » s’enlignent sur la finance durable », a affirmé Mark Carney.

Il partageait la scène avec Guy Cormier, président et chef de la direction de Desjardins, qui a rappelé l’urgence d’agir. « On n’a pas de planète B », a-t-il dit.

L’institution financière est aux premières loges pour constater l’impact des changements climatiques. « Aujourd’hui, la moitié de nos revenus provient de l’assurance. Avant, on assurait des feux, aujourd’hui, on assure des inondations et des catastrophes naturelles », a-t-il expliqué.

RESTER OU NON À LA TABLE

Pour favoriser la transition vers une économie faible en carbone, les institutions financières doivent être prêtes à revoir leur portefeuille d’investissements. La question se pose : investir ou non dans les énergies fossiles ? « On peut faire les deux », a répondu Guy Cormier.

« Si l’entreprise du secteur des énergies fossiles a un plan, qu’elle est réellement sérieuse dans l’atteinte de ses objectifs et qu’elle intègre le risque climatique dans ses décisions d’affaires, on va rester à la table. Quand on peut influencer positivement et aider l’entreprise à progresser, on est là », a-t-il ajouté.

Autrement, Desjardins n’hésite pas à retirer ses investissements, ce qu’elle a fait notamment dans le secteur du charbon et des pipelines.

Guy Cormier a tenu à rappeler que le Canada est un pays de PME. « Elles ont besoin de notre aide » pour faire leur part dans la lutte aux changements climatiques. Pour bien les appuyer, Desjardins a d’ailleurs formé ses équipes pour qu’elles puissent proposer des solutions concrètes aux entreprises afin de réduire l’impact négatif de leurs activités sur le climat.

Malgré les avancées, beaucoup reste à faire pour accélérer le désinvestissement des énergies fossiles, a soutenu Mark Carney.

Actuellement, pour chaque dollar investi dans ce secteur, environ 1,70 $ est consacré aux énergies propres. « En 2015, au moment de la signature de l’Accord de Paris, le ratio était de 0,5. Il y a donc une augmentation, ce qui est formidable », a-t-il expliqué.

Toutefois, pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius selon les objectifs de l’Accord de Paris, « il faudrait que d’ici la fin de la décennie, ce ratio soit de quatre contre un », a rappelé Mark Carney.

Selon lui, les investisseurs doivent parfois faire plus que de rester à la table. Il a donné comme exemple la société Brookfield Asset Management — dont il est un des dirigeants — qui a formé une alliance avec d’autres investisseurs pour acquérir le plus important producteur d’énergie de l’Australie, responsable de 7 % de toutes les émissions du pays, afin de soutenir sa transition vers la carboneutralité.

PLACE À L’INNOVATION FINANCIÈRE

Dans ce contexte, il est absolument essentiel de continuer à innover pour créer des instruments financiers qui permettront de respecter les critères ESG (environnement, société et gouvernance), ont soutenu les deux panélistes.

Guy Cormier a souligné quelques initiatives récentes de Desjardins, dont la création d’une remise verte à sa nouvelle offre de swap ESG qui récompensera les efforts déployés par les entreprises en matière de performance ESG.

En avril dernier, l’institution financière annonçait un investissement de 125 millions de dollars dans le projet de parc éolien Paintearth, en Alberta, un des premiers swap ESG au Canada.

Desjardins veut aussi faire sa part pour promouvoir l’économie circulaire. Elle a récemment financé un laboratoire d’accélération sur la construction à l’École de technologie supérieure (ÉTS) pour aider cette industrie à réutiliser la masse importante de déchets qu’elle génère.

En matière de lutte aux changements climatiques, tous les pays ne sont pas à armes égales. Si la Chine et le Royaume-Uni, qui font partie des plus importants émetteurs de gaz à effet de serre (GES) au monde, ont les moyens de financer leur transition énergétique, il en va autrement des économies émergentes. Selon Mark Carney, le défi sera de trouver le moyen d’acheminer les capitaux vers ces pays pour les aider à amorcer ou accélérer le mouvement vers la décarbonation.

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Sylvie Lemieux

Sylvie Lemieux est journaliste pour Finance et Investissement et Conseiller.ca. Auparavant, elle a notamment écrit pour Les Affaires.