Les taux d’intérêt ne monteront pas

19 mars 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
5 minutes de lecture
Photo : Andriy Popov / 123RF

Penser que les taux d’intérêt pourraient bondir, c’est méconnaître le mécanisme qui les sous-tend, affirme Serge Morin, premier vice-président à la Financière Banque Nationale et membre de l’équipe Morin-Poirier-Duchesne.

Ce dernier réagit ainsi au rapport du cabinet de conseil en gestion Bain sur le sujet. Selon lui, la technologie aurait plutôt tendance à faire baisser les taux d’intérêt qu’à les faire monter.

Afin de savoir comment les taux d’intérêt vont se comporter, il faudrait regarder si les revenus disponibles totaux ont plutôt tendance à augmenter ou si, au contraire, ils ont tendance à baisser.

« C’est important de regarder les revenus totaux, car ce n’est pas parce que certains travailleurs voient leur salaire augmenter de 2 % que tous les revenus disponibles augmentent de 2 %. En effet, il y a plein de gens qui ne travaillent pas », précise Serge Morin en entrevue avec Conseiller.

Si les revenus totaux augmentent, le prix des actifs monte parce qu’il y a beaucoup d’argent disponible, et donc les taux d’intérêt augmentent. Au contraire, si les revenus totaux baissent, les taux diminuent également.

Cinq facteurs auraient ainsi une influence sur les revenus disponibles totaux et donc sur les taux, explique-t-il :

  • La démographie
  • La technologie
  • Les dettes excessives
  • La concentration de la richesse
  • La mondialisation

UNE DÉMOGRAPHIE PEU PROPICE AUX HAUSSES DE TAUX

Dans les années 1960, les adultes avaient de nombreux enfants. La société comptait ainsi beaucoup de jeunes et peu de personnes âgées. Quand ces enfants sont entrés sur le marché du travail, les taux d’intérêt ont explosé, car les revenus disponibles totaux ont fortement augmenté.

Cependant, aujourd’hui, la pyramide des âges s’est inversée en l’espace de quelques années, car les baby-boomers sont plus âgés et font moins d’enfants que leurs parents.

« Il y a beaucoup moins d’enfants pour remplacer la chute de revenus des parents », résume Serge Morin.

Les entreprises en sont évidemment conscientes et vont donc tenter de baisser leurs coûts de production pour être capables de vendre moins cher afin de garder leur clientèle.

D’AUTRES FACTEURS D’IMPORTANCE

Les autres facteurs cités par Serge Morin ont tendance à diminuer encore les revenus totaux et empêcher toute hausse de taux. Ainsi, la technologie entraîne la perte d’emplois, car les entreprises ont moins besoin de personnel.

« Le phénomène de dette excessive, quant à lui, va excessivement limiter des hausses potentielles. Il faut être conscient que plus on baisse les taux et plus on les laisse bas longtemps, plus il se crée des quantités de dettes énormes et plus la moindre hausse de taux va tout faire dérailler », affirme Serge Morin.

Profitant des bas taux d’intérêt, beaucoup de Canadiens ont accumulé des dettes depuis la crise financière de 2007-2008. Une hausse de taux pourrait être catastrophique pour ces familles.

Finalement, la mondialisation fait que les revenus disponibles sur la planète ont peu de chances de croître, affirme Serge Morin. Ainsi, à chaque fois qu’on élimine un emploi dans une région où les employés sont bien payés, cet emploi est souvent transféré dans une région du monde où une personne accepte d’être payée moins cher pour le même poste.

NE PAS EMPÊCHER LES FAILLITES

Selon Serge Morin, les bas taux d’intérêt ne remonteront pas de sitôt.

« La Banque du Canada va probablement racheter des obligations d’entreprise au lieu de racheter des obligations gouvernementales en circulation, comme le Japon il y a quelques années. Le Japon achète même des actions en Bourse pour les empêcher de chuter », déclare le conseiller en gestion de patrimoine, qui désapprouve ce type de pratique.

« Un système capitaliste, c’est fait pour qu’il y ait des cycles et éliminer la mauvaise gestion. Si à chaque fois qu’il y a un ralentissement économique, on ne laisse pas les entreprises de mauvaise qualité déposer leur bilan, ça dérange complètement le système et pourrait pourrir toutes les autres compagnies », affirme-t-il.

Selon lui, il serait plus sain de laisser certaines entreprises déclarer faillite. Il rappelle d’ailleurs qu’une faillite ne veut pas dire que tous les employés perdent leur emploi, mais simplement que les actionnaires perdent le contrôle de la compagnie au profit des détenteurs de la dette. Ceux-ci vont certainement gérer la compagnie d’une façon différente ou la vendre à un concurrent.

VERS UN CYCLE DE SURINVESTISSEMENT

Soutenir les « mauvaises entreprises » ne fait que soutenir le « cycle de la surcapacité », que son équipe explique en s’aidant du graphique suivant.

(Lire depuis le signe de dollar)

Selon lui, les bas taux d’intérêt incitent les investisseurs à aller davantage vers les placements à risque que vers les placements garantis. L’investisseur s’expose ainsi à des actions et des obligations de société. Cela crée ce qu’il appelle le surinvestissement (on fore trop de puits de pétrole, on construit trop de condos…), ce qui finit par créer de la surcapacité, qui elle-même mène à des chutes de prix.

La chute de prix crée un environnement déflationniste. Cependant, l’inflation est essentielle dans un système comme le nôtre qui fonctionne sur la dette, explique Serge Morin. Quand on crée la dette, on prend des actifs en garantie. Si la valeur du bien baisse, le prêteur en pâtit, car sa garantie diminue.

Pour éviter la déflation, les banques centrales baissent donc les taux dans l’espoir de permettre aux actifs de reprendre de la valeur. On finit par revenir à la case départ, où le problème était justement que les taux étaient trop bas.

« Une récession, ce n’est pas quelque chose qu’on peut éviter, c’est quelque chose que l’on peut repousser, conclut Serge Morin en citant Jarislowsky. Personnellement, j’ajouterai à cela : et en la repoussant, elle aura une amplitude beaucoup plus grande. Car si on laisse survivre la surcapacité et qu’on l’encourage, il y en aura encore plus à éliminer un jour. »