Le gouvernement Legault veut créer de la richesse

Par La Presse Canadienne | 20 mars 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : 123rf

Au pouvoir depuis cinq mois, le gouvernement Legault va révéler sa vraie nature jeudi, au moment de déposer son premier budget intitulé « Vos priorités, votre budget », donnant l’heure juste en argent sonnant, tant sur son style de gouvernance que sur ses véritables priorités d’action.

Parions à l’avance que les déçus seront nombreux, le premier ministre François Legault ayant mis la barre très haut depuis des mois, multipliant les promesses coûteuses et nourrissant les attentes des uns et des autres. Et toutes ses promesses seront respectées, a-t-il martelé.

Il faut dire que son ministre des Finances, Éric Girard, jouit d’une conjoncture exceptionnelle. Les caquistes ont hérité des libéraux de finances publiques en bonne santé (le surplus anticipé varie entre 1,7 milliard selon Québec et 4,6 milliards selon l’Institut du Québec), lui assurant ce qui est le plus précieux pour celui qui tient les cordons de la bourse : une bonne marge de manœuvre.

En se prêtant mercredi à la traditionnelle séance de photos destinée à afficher la nouvelle paire de chaussures acquise pour l’occasion, M. Girard a dit que ses deux priorités budgétaires étaient « d’améliorer les services et créer de la richesse », se montrant soucieux de hausser la productivité, le PIB par habitant et le revenu disponible.

Mais pour éliminer l’écart de richesse avec l’Ontario, qui atteint entre 18 et 20 %, le Québec devra s’armer de patience. « Ça va prendre plus qu’une année », « plus qu’un mandat », a-t-il admis, disant avoir travaillé ces derniers mois « sept jours sur sept » pour livrer la marchandise.

Le contexte est idéal: la situation économique du Québec est au beau fixe, le taux de chômage est au plus bas, et les sommes attendues d’Ottawa en péréquation sont à la hausse, atteignant près de 13 milliards cette année, sans compter les transferts en santé, de l’ordre de 6 milliards.

François Legault s’est engagé à « remettre de l’argent dans le portefeuille des Québécois », bref à réduire le fardeau fiscal des contribuables (1,7 milliard en cinq ans), tout en augmentant les services à la population. Mais tout gouvernement est bien au fait que choisir de diminuer ses revenus tout en augmentant ses dépenses peut devenir un pari risqué, surtout qu’il exclut tout déficit.

ATTEINDRE UN POINT D’ÉQUILIBRE

Le ministre Girard, un homme posé et d’un naturel prudent, cherchera donc à atteindre le point d’équilibre entre les engagements de la Coalition avenir Québec (CAQ), les rentrées d’argent dans les coffres et le contrôle serré des dépenses.

Questionné à savoir si son budget allait être prudent ou audacieux, M. Girard a répondu mercredi qu’il assurerait « un bon équilibre entre les deux ».

Si on se fie à sa mise à jour économique, présentée en décembre, il se tiendra très loin, jeudi, des grandes manœuvres financières et des annonces spectaculaires, sachant que le Québec n’est pas à l’abri d’un ralentissement économique durant le présent mandat. Le cas échéant, il optera pour l’habituel saupoudrage de mesures fiscales ciblées, de réinvestissements dans les réseaux publics répartis sur plusieurs années et de « cadeaux » de millions de dollars lancés à gauche et à droite, pour que tout un chacun ait le sentiment d’avoir eu sa part du gâteau, tout en restant sur sa faim.

Un exemple du style Girard : il annonçait en décembre qu’une personne âgée de 70 ans ou plus ayant un revenu annuel inférieur à 22 500 $ aurait droit à un crédit d’impôt remboursable pouvant atteindre 3,80 $ de plus par semaine, une hausse substantielle selon lui.

CLIENTÈLES-CIBLES

Dans le discours qu’il tient sur ses choix budgétaires, M. Legault nous a habitués à privilégier quelques clientèles-cibles très pointues, qui seront assurément les premières bénéficiaires du budget de jeudi : les enfants de 4 ans ayant des troubles d’apprentissage, les parents de la classe moyenne inférieure ayant au moins deux enfants en bas âge et les aînés à très faible revenu.

Offrir la maternelle 4 ans partout au Québec coûtera entre 400 et 700 millions par année à compter de 2023, sans compter les immobilisations. Québec a promis d’en ouvrir 250 dès cette année.

La bonification des allocations familiales (déjà majorées de 500 $ en décembre) devrait en principe gruger 191 millions cette année et 763 millions d’ici la fin du mandat. Cette mesure ne s’adresse cependant qu’à une fraction des familles, celles ayant un revenu annuel total inférieur à 108 000 $.

ÉDUCATION ET SANTÉ

Du côté des services, l’éducation et la santé auront la part du lion. « Les besoins sont vraiment importants », particulièrement ceux des aînés, a dit le ministre.

Le réseau de l’éducation crie famine. Écoles vétustes, pénurie d’enseignants, sous-financement chronique, ce ne sont pas les chantiers qui manquent. La promesse d’ajouter une heure par jour dans toutes les écoles secondaires pour des activités sportives et artistiques ainsi que l’aide aux devoirs est évaluée à terme à 124 millions. Il y a aussi le réseau des cégeps et celui des universités qui espèrent des centaines de millions d’argent neuf. Et tout cela alors que le gouvernement a choisi de se priver de 900 millions de revenus par année, en raison de sa décision d’harmoniser la taxe scolaire.

Les attentes ne sont pas moins grandes en santé, même si le réseau de la santé et des services sociaux accapare déjà la moitié du budget de dépenses de l’État. La promesse de ramener à une moyenne de 90 minutes le temps d’attente moyen à l’urgence trouvera-t-elle un écho dans le budget? La seule facture reliée à l’embauche promise d’infirmières et à la révision à la baisse des ratios patients-infirmière est évaluée à 350 millions, selon leur fédération. Pour venir en aide aux personnes âgées, les caquistes se sont engagés à injecter, dès cette année, pas moins de 200 millions par année pour offrir davantage de soins à domicile. L’aide aux proches aidants devrait aussi gruger 21 millions cette année et 93 millions en 2022, si on respecte les promesses caquistes.

Dans ce contexte de multiples promesses coûteuses, certaines, inévitablement, seront mises de côté, au moins pour un temps. Ce pourrait être le cas de l’engagement à ramener le tarif unique dans les services de garde, qui est actuellement modulé en fonction du revenu des parents. Les personnes âgées pourraient devoir se montrer patientes avant de pouvoir déménager dans une des « Maisons des aînés » promises par M. Legault. Les municipalités pourraient elles aussi devoir patienter avant de compter sur le transfert promis d’un point de la taxe de vente (TVQ), afin d’être moins dépendantes de la taxe foncière, un manque à gagner anticipé évalué à 1,3 milliard dans les coffres de l’État.

LES GRANDS ABSENTS

On verra par ailleurs jeudi si le gouvernement était sérieux quand il affirmait vouloir faire amende honorable en ce qui a trait à la lutte aux changements climatiques, un des grands thèmes absents du programme de la CAQ. Au moins, les automobilistes pourraient peut-être espérer obtenir un rabais bonifié en achetant un véhicule électrique.

On verra aussi quelle importance Québec accorde à des problèmes comme la pénurie de main-d’œuvre, la crise des médias, la transition énergétique, le sous-financement des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale ou d’agressions sexuelles, la stimulation des investissements étrangers, la conciliation travail-famille, le vieillissement de la population, la rétention des travailleurs âgés, le remboursement de la dette, le financement de nouvelles initiatives de transport collectif ou la mise à niveau des infrastructures. Et quelle sera l’épaisseur du coussin financier mis de côté pour les jours difficiles?

Les revenus consolidés dans les coffres de l’État devaient atteindre 112,5 milliards en 2018-2019, en hausse attendue de 2,2 % en 2019-2020. En décembre, le gouvernement Legault anticipait une croissance économique modérée en 2019, avec une hausse anticipée du produit intérieur brut (PIB) de 1,9 %.

La Presse Canadienne