Une monnaie numérique? Peut-être, mais pas à tout prix

Par Siham Lebiad | 3 mars 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Pièces de cryptomonnaie
Photo : gopixa / istockphoto

La Banque du Canada étudie la possibilité de créer une monnaie numérique, tout en souhaitant préserver la souveraineté du dollar canadien.

C’est ce qu’a précisé son sous-gouverneur, Timothy Lane, lors d’une conférence la semaine dernière. Il insiste sur l’importance et la fiabilité de l’argent comptant, surtout pour desservir les populations qui n’ont pas facilement accès à d’autres méthodes de paiement, comme les personnes sans-abris et les habitants des régions éloignées.

DISPARITION DE L’ARGENT LIQUIDE : PAS POUR TOUT DE SUITE

Sans nier ses limites, il cite les avantages de l’argent comptant. « [Il] est résilient, il fonctionne même en cas de panne informatique ou de courant. Il est confidentiel et maintient une certaine concurrence dans le système financier en offrant une solution de rechange peu coûteuse et fiable aux cartes de crédit et de débit. »

Un Canadien sur 10 affirme fonctionner complètement sans argent liquide. La majorité des résidents du pays l’utilisent pour régler le tiers de leurs transactions, comparativement à plus de la moitié il y a seulement 10 ans.

Une récente étude réalisée par Option Consommateurs démontrait que les paiements par carte représentent aujourd’hui « plus de la moitié des volumes de transactions au pays ». L’organisme veut cependant inciter le gouvernement fédéral à contraindre les commerçants d’accepter les billets verts, question de protéger davantage la vie privée.

L’argent comptant a aussi ses limites quand il est question de transactions et transferts internationaux. « Les Canadiens qui ont de la famille à l’étranger doivent souvent assumer des coûts élevés et composer avec de longs délais pour faire parvenir de l’argent à leurs proches, commente Timothy Lane. Les entreprises subissent des désagréments semblables pour payer des biens et services qu’elles achètent à l’extérieur du pays. »

« Notre but n’est pas d’émettre une monnaie numérique pour remplacer les billets de banque ou les dépôts dans les banques à charte. La population veut encore pouvoir utiliser ces deux produits, et nous allons respecter cette volonté », conclut le sous-gouverneur, mentionnant au passage la conception d’un nouveau billet de cinq dollars. Les Canadiens pourront choisir la personnalité qui y figure.

LA CRAINTE D’UN MONOPOLE

À la lueur de ces commentaires, pourquoi la Banque du Canada voudrait-elle se lancer dans la cryptomonnaie?

« Il pourrait y avoir une monnaie numérique dominante lancée par une grande entreprise technologique; ce serait un monopole qui porterait atteinte à la concurrence et à la vie privée, et qui présenterait une menace inacceptable pour la souveraineté monétaire du Canada », souligne Timothy Lane.

Réagissant à des pressions diverses, dont le Libra de Facebook, le bitcoin ou encore les tests effectués par certaines banques comme la Scotia pour la création d’une monnaie numérique, la Banque du Canada a entrepris un projet d’exploration afin de déterminer la nécessité d’intervenir pour créer une telle monnaie de banque centrale (MNBC), au même titre que l’argent comptant.

« Les monnaies numériques sont conçues de manière à offrir les mêmes avantages que l’argent liquide, c’est-à-dire sûreté, accès universel, résilience, confidentialité et concurrence. Mais elles se présentent sous une forme électronique qui peut être utilisée dans les transactions en ligne ou aux points de vente, avec un téléphone mobile ou bien une carte ou un appareil spécial », indique le numéro deux de la Banque du Canada.

L’institution a d’ailleurs publié un document qui énonce ses recommandations quant à la création d’une telle monnaie. Elle lancera aussi une consultation auprès des citoyens afin d’avoir leur avis à ce sujet. Ceci n’a pas manqué de faire réagir un employé de Desjardins, présent lors de la conférence, qui a souligné la lenteur de la Banque à cet effet, et le fait qu’elle attende que les grandes entreprises agissent pour qu’elle lance des projets de cette envergure.

« Au fil des dernières années, il y a eu plusieurs cas où des entreprises ont développé de nouvelles technologies. On ne devrait pas se dire que rien ne peut réussir sans l’engagement de ces entreprises, répond le sous-gouverneur. Mais lorsqu’il s’agit d’une entreprise de la taille de Facebook, cela attire l’attention des décideurs. Nous travaillons sur les divers aspects de la fintech depuis quelques temps, mais je crois qu’il est beaucoup plus facile de convaincre les gens de l’importance d’un sujet quand Facebook en fait partie. »

Les conclusions de la Banque quant à l’établissement d’une telle monnaie sont, pour l’instant, négatives. Elle juge qu’il n’y a pas d’argument convaincant en faveur de l’émission d’une MNBC à l’heure actuelle. Elle prévoit cependant créer un cadre réglementaire approprié pour les cryptomonnaies stables et autres monnaies numériques privées, tant au Canada qu’à l’échelle internationale.

Elle veut aussi éviter que des activités illicites soient potentiellement financées par une telle monnaie et estime qu’une réglementation rigoureuse devrait exister avant de la mettre en marché. Un plan de prévoyance précis devrait être élaboré dans le cas où l’introduction d’un tel instrument financier finirait par devenir nécessaire, conclut le sous-gouverneur.

Siham Lebiad