Économies émergentes
Pas d’améliorations avant trois à cinq ans

Par Denis Méthot | 7 mai 2014 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Vincent Delisle, stratège et analyste en stratégie de groupe à la Banque Scotia.

Dans les années 2000, les économies émergentes (EM) explosaient. Depuis trois ans, ces marchés sous-performent et la situation ne devrait pas s’améliorer avant trois à cinq ans, entrevoit Vincent Delisle, analyste et stratège à la Banque Scotia, qui favorise plutôt les marchés américains et mêmes canadiens.

Les investisseurs institutionnels ont été nombreux à déserter les EM au cours des dernières années quant aux devises, aux obligations et aux actions. M. Delisle, qui travaille depuis dix ans à la Banque Scotia, leur a donné raison lors d’un dîner-conférence de l’Institut canadien de la retraite et des avantages sociaux (ICRA), tenu hier à Québec. Il a livré un portrait sans complaisance de ces marchés, qui, malgré certains attraits, offrent actuellement moins de perspectives de rendements que les États-Unis.

M. Delisle s’attend à ce que la politique monétaire américaine et un recentrage de la croissance économique en Chine posent de nombreux défis aux EM.

Atouts et faiblesses

A priori, les économies émergentes comme la Chine, le Brésil et l’Inde, qui étaient considérées comme des marchés vedettes il y a quelques années, ne manquent pas d’atouts : taux de croissance du PIB bien supérieur aux pays du G-7, avantages démographique et manufacturier. Pas étonnant que des investisseurs se laissent encore séduire, selon l’expert.

C’est qu’ils oublient les faiblesses de ces marchés : croissance économique liée aux exportations et investissements, défis structurels et de politique monétaire, défis de productivité, forte sensibilité aux économies développées.

Baisse de régime

Depuis 2010, l’avantage de croissance des EM a fondu comme neige au soleil, explique Vincent Delisle. Entre 2007 et 2013, la croissance du Brésil a baissé de 4,4 % à 2,0 %, celle de l’Inde est passée de 9,4 % à 5,2 %, et celle de la Chine, de 12,7 % à 8,2 %. En 2014, les autorités chinoises visent une croissance maximale de 7 à 7,5 %.

Depuis 2010, les indices du Brésil, la Chine, l’Inde et la Turquie sont négatifs. Pendant ce temps, ceux des États-Unis, de l’Allemagne et du Japon sont dans le vert.

« Quand on pose un regard sur les marchés émergents, on se laisse souvent attirer par des taux de croissance du PIB très élevés, croit M. Delisle. Ce qu’il faut voir, c’est la direction. Les pays émergents sont en décélération alors que les pays développés sont en reprise depuis 2010. »

Impact de l’inflation

M. Delisle attribue en partie le recul des EM à la différence entre la politique monétaire américaine et celle de la Chine et des autres pays émergents.

« Depuis 2010, les Chinois ont les deux pieds sur les freins et les EM veulent ralentir la croissance. C’est l’inverse qui se produit en Europe et aux États-Unis », souligne l’expert de la Banque Scotia.

Selon lui, l’avantage des marchés monétaires vient de l’inflation. Aux États-Unis et au Japon, les taux d’intérêt sont presque à 0 %. Dans ces pays, auxquels il faut ajouter le Canada et l’Europe, la priorité va à la croissance. L’inflation n’est pas une préoccupation pour les banques centrales, mais elle l’est redevenue pour des pays émergents, ce qui a donné lieu à des hausses de taux dans les EM. Ces dernières sacrifient leur croissance pendant que les pays développés continuent de performer.

« Tant que cet avantage va se poursuivre, notre pronostic est que cette situation va favoriser la Bourse américaine et la Bourse européenne, et les pays émergents vont éprouver des difficultés », croit M. Delisle.

Investir ou pas?

Doit-on tout de même continuer à investir dans les pays émergents?

« La réponse est oui, indique M. Delisle. Est-ce qu’on y va avec le même niveau d’appétit qu’il y a cinq ou dix ans? Il faut voir les risques liés à ces marchés. »

La bonne nouvelle, selon lui, c’est qu’en matière de désavantages et de profits d’entreprise, les EM ont traversé le pire en 2011, 2012 et que les choses ont arrêté de se détériorer à l’été 2013. Il prévoit tout de même qu’il sera très difficile de renverser complètement la vapeur. M. Delisle s’attend aussi à une hausse des taux d’intérêt en 2015, ce qui devrait soutenir le dollar américain.

« Historiquement, a-t-il indiqué, quand le dollar américain est fort, ce n’est pas un environnement qui est favorable pour les marchés émergents. »

Même s’il ne déconseille pas totalement les EM, l’analyste québécois fait valoir qu’aux États-Unis, les profits des entreprises ont augmenté de 60 % depuis 2009 alors que durant la même période, ils se sont effondrés dans les économies émergentes. Il aime aussi beaucoup le marché canadien, qui se positionne très bien, mais, au final, il a ce conseil :

« Il y a des risques pour les EM, mais il y a lieu de ne pas mettre tous ses œufs dans les marchés développés. Mais si j’ai le choix d’acheter au Japon, aux États-Unis, en Europe ou dans les marchés développés, les marchés émergents seront au quatrième rang pour les trois à quatre prochaines années. »

Pour 2014, il signale que les économies développées conservent l’avantage en raison de leur politique monétaire et parce que les inquiétudes s’accumulent en Chine. Sa stratégie sectorielle est axée sur des taux obligataires américains de 10 ans qui remontent au-dessus de 3 %. Il privilégie les actions au détriment des obligations et se méfie aussi de l’Europe.

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Denis Méthot