Efficace, la taxe Tobin?

Par André Giroux | 8 mai 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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La taxe sur les transactions financières (TTF), serait-elle infructueuse, voire toxique pour les marchés?

Anna Pomeranets, économiste au département des Marchés financiers de la Banque du Canada, affirme qu’une taxes sur les transactions financières serait au mieux inutile, au pire nuisible. C’est ce qu’elle explique dans un article publié dans la revue de l’institution financière, à l’automne 2012, et qui a fait l’objet d’une conférence devant l’Association des économistes québécois à la fin avril.

La TTF est aussi connue sous le nom de taxe Tobin. Le prix Nobel d’économie James Tobin a proposé cette piste en 1972. Depuis, l’idée soulève un grand intérêt en certains milieux.

La Commission européenne évalue que cette taxe, si elle s’appliquait dans tous les pays du Vieux Continent, rapporterait 57 milliards d’euros par année. Les partisans de cette voie estiment par ailleurs qu’elle réduirait la spéculation, donc la volatilité des marchés.

De nombreux travaux universitaires ont été consacrés au bien-fondé ou non de la TTF. « Comme aucun consensus ne se dégage des travaux théoriques abordant les effets d’une TTF sur la volatilité, mentionne Anna Pomeranets, de nombreuses études ont tenté de trancher la question de manière empirique. »

L’État de New York a par exemple imposé une taxe sur les transactions financières à la Bourse de New York et à l’American Stock Exchange entre 1932 et 1981. Plusieurs changements ont été apportés au cours de cette période. Anna Pomeranets et son collègue Daniel G. Weaver ont constaté en 2011 que la taxe avait augmenté la volatilité. À la lumière de leurs résultats, les auteurs concluent que la TTF mine la qualité du marché.

La Suède a imposé une taxe semblable en 1984 à l’égard de la Bourse de Stockholm. D’abord de 1 %, elle a été portée à 2 % en 1986. « Le chercheur S.R. Umlauf note que la volatilité ne s’est pas atténuée après la hausse, mais que le cours moyen des actions a fléchi, souligne Anna Pomeranets. De plus, M. Umlauf relève que 60 % des échanges concernant les 11 actions suédoises les plus activement négociées se sont déplacés à la Bourse de Londres, dans le but d’échapper à la TTF. Après cette migration, la volatilité des actions négociées à Londres a chuté par rapport à celle des actions de ces mêmes 11 sociétés échangées à Stockholm. »

L’économiste de la Banque du Canada cite également le chercheur américain Richard Roll, qui a étudié la TTF imposée dans 23 pays. Il n’établit aucun lien entre la taxe et l’évolution de la volatilité des actions.

Conclusion de Anna Pomeranets : « Dans l’ensemble, les résultats de la recherche dans le domaine donnent à penser qu’une TTF est peu susceptible de réduire la volatilité et pourrait au contraire l’augmenter. »

TTF contre l’emploi?

Une taxe sur les transactions financières entraîne aussi un effet sur le volume des opérations. À la Bourse de New York, par exemple, à une majoration de la TTF correspond une diminution du nombre de transactions et vice-versa. Certains chercheurs constatent un lien entre le relèvement de la taxe et la migration vers des Bourses qui ne font pas l’objet d’un prélèvement d’une telle taxe ou une substitution de produits taxés vers des actifs qui ne le sont pas.

Autre effet, selon l’économiste de la Banque du Canada : une TTF augmenterait le coût du capital. Cette hausse « pourrait avoir plusieurs retombées néfastes, comme une diminution du flux de projets rentables et une baisse des niveaux de production réelle, de la croissance, de l’investissement et même de l’emploi. »

Les impossibles conditions de réussite

Selon Anna Pomeranets, « il est difficile de mettre au point une TTF équitable et efficace qui soit dure à contourner ». Les recettes en découlant seraient donc bien moindres que le laissent entrevoir les simples estimations, et ce, à cause des phénomènes de migration et de substitution évoqués plus haut. Si elle est mise en œuvre, explique l’économiste, une TTF devrait donc couvrir un très large éventail d’actifs afin d’éviter les substitutions.

De nombreux partisans de l’imposition d’une TTF réclament qu’elle s’applique à tous les pays afin d’éviter les paradis fiscaux. L’économiste de la Banque du Canada croit qu’il s’agit là d’un leurre. « Comme un certain nombre de pays y sont opposés, une telle éventualité est improbable, affirme-t-elle. Une coopération à l’échelle internationale contribuerait à limiter la formation, dans certains pays, de marchés parallèles permettant aux opérateurs d’échapper à la TTF. Elle sera toutefois difficile à atteindre, car, grâce aux percées technologiques des dernières années, de nombreux pays sont maintenant en mesure, en théorie du moins, d’abriter de grandes places financières. »

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André Giroux