EXCLUSIF – Évasion fiscale : « Nul ne sera à l’abri »

Par Christine Bouthillier | 19 mai 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Diane Lebouthillier,ministre du Revenu national.

Nouvelle venue en politique fédérale, la ministre du Revenu national Diane Lebouthillier ne chôme pas depuis son élection l’automne dernier. Panama Papers, affaire KPMG, révision du régime fiscal : les dossiers chauds ne manquent pas. En entrevue avec Conseiller, elle en dévoile un peu plus sur ces enjeux de taille.

Conseiller : L’Agence du revenu du Canada (ARC) s’efforce de combattre l’évasion fiscale à l’Île de Man. Il a été question de trois autres juridictions sous enquête, qui ne pouvaient pas être nommées. Pouvez-vous nous en dire un peu plus maintenant?

Diane Lebouthillier : Nous enquêtons actuellement à l’Île de Man et trois autres juridictions seront visées. Quatre pays différents seront étudiés chaque année, question d’effectuer un tour d’horizon. Nul ne sera à l’abri.

Je ne peux pas vous mentionner les trois autres juridictions. Si les gens étaient au courant des lieux sous enquête, ceux qui veulent faire de l’évasion et de l’évitement fiscal pourraient changer d’endroit. Beaucoup de travail se fait actuellement à l’international pour protéger ces renseignements. Si on annonce où se déroulent les enquêtes, tout ce travail aura été fait pour absolument rien.

Nous travaillons très fort avec nos partenaires pour lutter contre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal. Il y a des rencontres régulièrement, notamment en Chine et à Paris tout récemment. C’est un problème international qui demande une réponse internationale.

C : Dans le dossier des Panama Papers, l’ARC s’est adressée aux tribunaux pour avoir des informations sur les clients de la RBC. Y a-t-il d’autres institutions financières visées?

DL : Actuellement, non. Nous travaillons avec la RBC. Elle a décidé de se conformer et de collaborer avec l’Agence et nous en sommes très contents.

C : Des doutes éthiques ont été soulevés quant à la participation de hauts fonctionnaires de l’ARC à un cocktail organisé par un groupe de comptables, dont certains de KPMG. Que pensez-vous de cette situation?

DL : On ne peut pas isoler les gens. Dans tous les ministères, pas seulement à l’Agence, on travaille avec des professionnels dans le but d’améliorer le système et, éventuellement, les lois, ainsi que pour avoir des liens avec le terrain.

De plus, avant de se présenter à ce type d’activités, les employés doivent en informer leur supérieur immédiat. Il y a un suivi très rigoureux à ce chapitre. Je peux vous assurer, pour l’avoir vérifié, qu’en 2014 et 2015, les fonctionnaires qui s’occupaient du dossier KPMG n’étaient pas présents à ce cocktail.

C : Comment l’ARC fait-elle pour maintenir de bonnes relations avec les professionnels, comme les comptables, pour s’assurer de leur conformité tout en préservant son indépendance?

DL : À l’Agence, il existe un code d’éthique et un code de conduite, très bien encadrés et très rigoureux. Quelqu’un qui part à la retraite ou qui quitte l’Agence et qui donnerait des renseignements particuliers serait passible de poursuites au criminel, peu importe le nombre d’années écoulées depuis son départ de l’Agence. Ce n’est pas peu dire. Et ça vaut autant pour des employés de l’Agence que pour la ministre. Nul n’est à l’abri des lois.

C : Y a-t-il des changements envisagés au chapitre de l’encadrement des fonctionnaires de l’ARC?

DL : Non. Je fais confiance aux personnes qui travaillent à l’Agence. Cela fait six mois et demi que je suis en poste et je me fais un devoir d’aller rencontrer les directeurs, les chefs de service, les employés. Les gens de l’Agence sont très fiers de leur travail et ils ont à cœur que les choses se fassent bien et dans le respect des règles.

Les professionnels aussi veulent participer à l’amélioration des façons de faire. Nous avons de nouveaux défis aujourd’hui que nous n’avions pas nécessairement il y a dix, quinze ou vingt ans, par exemple en informatique. Il faut donc se mettre à jour, et ce, avec les professionnels, qui sont sur le terrain et ont toujours des suggestions pour améliorer la qualité des services.

Le système fiscal va bien fonctionner si tous les intervenants travaillent ensemble. Mais même en coopérant avec les professionnels, tous doivent respecter la loi, tant les fonctionnaires, que la ministre ou le premier ministre. Et je n’ai pas du tout l’intention de me ramasser en prison! [rires]

C : Quelles sont les principales questions abordées par les contribuables avec l’ARC?

DL : Ce sont des questions liées aux impôts et au service à la clientèle. Les gens veulent des informations plus simples. Ils parlent aussi d’humaniser les services.

L’Agence recevait beaucoup de plaintes avant l’arrivée du premier ministre Trudeau. Les usagers appelaient et cela prenait du temps avant d’avoir une réponse. Ils se faisaient couper la ligne et devaient rappeler jusqu’à dix fois. Le service à la clientèle devenait terriblement important.

C : Est-ce que des mesures ont été prises pour améliorer la situation?

DL : Nous avons annoncé cet hiver la simplification de la correspondance et, dans le budget qui a été présenté par le ministre des Finances Bill Morneau, des investissements majeurs ont été effectués pour répondre adéquatement à la clientèle.

Les changements ont été mis en place cette année, aussitôt que la période d’impôts a débuté. Nous avons embauché beaucoup plus de personnes pour pouvoir répondre au téléphone, même s’il y a eu une augmentation de l’utilisation des services électroniques. Entre 2015 et 2016, on est passé de 82 à 84 % des gens qui utilisent les services en ligne.

Mais une couche importante de la population n’est toujours pas à l’aise avec les services électroniques. Pour les personnes âgées, moins scolarisées, ou en région, où il n’y a pas d’accès à Internet haute vitesse, utiliser la version papier de la déclaration de revenus et pouvoir obtenir de l’aide au téléphone est très important.

Nous travaillons aussi à simplifier les formulaires. Pour les personnes qui ont les mêmes revenus tous les ans, des informations sont accessibles en ligne et déjà inscrites dans leur déclaration. Ils n’ont ensuite qu’à compléter.

C : Et au chapitre de la fiscalité?

DL : Ce qui est important pour les gens, c’est vraiment de respecter leurs obligations fiscales et de remettre leur déclaration de revenus à temps, pour avoir accès à leur remboursement le plus tôt possible.

J’encourage fortement les contribuables à remplir leur déclaration de revenus. Nous avons annoncé la nouvelle Allocation canadienne aux enfants et des changements au Supplément de revenu garanti. Ces deux programmes entrent en vigueur au mois de juillet et les calculs seront faits à partir de la déclaration fournie cette année. Il ne faut pas tarder à la remettre, même si la date limite est dépassée, autrement les gens n’auront pas droit à leur remboursement.

D’autre part, nous collaborons avec des bénévoles qui aident les plus démunis à remplir leur déclaration de revenus, justement pour qu’ils aient accès à tous les programmes auxquels ils ont droit.

Il est important pour moi que cette couche de la population puisse toucher cet argent. Lorsque le premier ministre m’a alloué le ministère du Revenu national, j’étais très surprise. Je lui ai dit : « Écoutez, je suis travailleuse sociale de formation, je ne suis pas fiscaliste. »

Et sa réponse a été : « Parce que vous êtes travailleuse sociale, vous allez être beaucoup plus près des gens. Vous allez travailler avec l’Agence justement pour aider les moins fortunés, les plus démunis, les moins scolarisés, pour leur donner accès à ces programmes et leur faciliter la vie. »

C : À propos de la révision du régime fiscal, à quoi peut-on s’attendre?

DL : Des discussions sont actuellement en cours avec le ministère des Finances. Le ministère du Revenu national applique les lois. C’est le ministère des Finances qui en fait la modification. Il y a vraiment un travail de collaboration entre les deux entités parce que de notre côté, nous avons toute l’expertise du terrain. Nous collaborons aussi avec les professionnels.

Présentement, tout est sur la table. Nous voulons être juste et équitable pour toute la population, mais il serait prématuré d’annoncer des choses. Je peux toutefois vous assurer qu’il y aura des réalisations en cours de mandat.

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Christine Bouthillier

Titulaire d’un baccalauréat en science politique et d’une maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal, Christine Bouthillier est journaliste depuis 2007. Elle a débuté sa carrière dans différents hebdomadaires de la Montérégie comme journaliste, puis comme rédactrice en chef. Elle a ensuite fait le saut du côté des quotidiens. Elle a ainsi été journaliste au Journal de Montréal et directrice adjointe à l’information du journal 24 Heures. Elle travaille à Conseiller depuis 2014. Elle y est entrée comme rédactrice en chef adjointe au web, puis est devenue directrice principale de contenu de la marque (web et papier) en 2017, poste qu’elle occupe encore aujourd’hui.