Explosion du nombre de demandes d’enquête à la Chambre

Par Ronald McKenzie | 18 septembre 2009 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Si la tendance se maintient, le syndic de la Chambre de la sécurité financière (CSF) traitera quelque 800 demandes d’enquête en 2009. Ce sera 37 % de plus que l’an dernier et 53 % de plus qu’en 2007.

« Au 24 août dernier, la syndique Me Caroline Champagne avait déjà reçu 489 demandes d’enquête. C’est véritablement une explosion. À ce rythme, on en aura au-dessus de 700, voire 800, à la fin de l’année », dit Luc Labelle, président et chef de la direction de la CSF.

Deux hypothèses expliqueraient ce bond. D’une part, la crise financière de la fin de 2008 a créé des ravages dans les portefeuilles des investisseurs. Déçus, plusieurs d’entre eux auraient décidé de faire porter le blâme de leur déconvenue sur leur conseiller. « On a noté une augmentation des plaintes l’hiver dernier et ce printemps. On dirait qu’il y a eu un décalage entre le moment où la crise a frappé et celui où les gens ont pris conscience de l’impact sur leurs épargnes », avance Luc Labelle.

D’autre part, les scandales financiers de l’été dernier, notamment celui impliquant le pseudo-conseiller Earl Jones, ont été l’objet d’un fort battage médiatique. « Cela a contribué à alerter le public sur les recours dont il dispose », note Luc Labelle.

L’industrie de l’assurance veille au grain Pourtant, ce n’est pas le secteur des valeurs mobilières dont on se plaint le plus. C’est celui de l’assurance de personnes. En 2008, 56 % des demandes d’enquête ont visé cette discipline, alors que 37 % émanaient des valeurs mobilières. De loin, la principale infraction que commettraient les conseillers en sécurité financière est de ne pas respecter la procédure de remplacement des polices. En 2008, 212 demandes d’enquête étaient liées à cet aspect.

Fabien Major ne s’en étonne pas. « Les conseillers qui souhaitent remplacer la police d’assurance d’un client par une autre doivent effectuer une analyse sérieuse des besoins et démontrer en quoi le changement de la police favorise son client », explique ce conseiller en sécurité financière au cabinet Major Gestion d’actifs, à Montréal. Or, cet exercice requiert un travail exhaustif, incluant l’obligation de remplir un « avis comparatif » à faire parvenir au concurrent que l’on souhaite détrôner. « Y déroger constitue une infraction. Certains représentants semblent l’ignorer », dit Fabien Major.

Avant que les autorités n’imposent cet avis comparatif, des conseillers n’hésitaient pas à remplacer la police d’assurance vie d’un client par une autre dans le seul but de générer de nouvelles commissions. Cela se faisait souvent au détriment des consommateurs, qui, ne sachant trop de quoi il retournait, pouvaient perdre des avantages acquis avec le temps. L’industrie et de groupes consuméristes se sont élevés contre cette pratique, qui est maintenant mieux encadrée. Manifestement, l’industrie veille encore au grain, car 48 % des demandes d’enquête en assurance provenaient, en 2008, des compagnies et des conseillers eux-mêmes (38 % de la part des consommateurs).

Selon Luc Labelle, il y a tout lieu de croire que ces proportions seront encore de cet ordre en 2009.

Le cheminement d’une plainte Que se passe-t-il quand une personne dépose une plainte à la CSF ? Automatiquement, la Direction de la déontologie et de l’éthique professionnelle (le bureau du syndic) ouvre un dossier. Elle commence par vérifier si le syndic a bel et bien juridiction sur le type de plainte formulée. Si oui, l’un des 10 enquêteurs que compte la CSF est assigné au dossier et entreprend son travail.

Il recueillera toute la documentation pertinente à l’affaire, posera des questions aux parties concernées et fera rapport au syndic. Actuellement, la durée moyenne d’une enquête est de sept mois, délai qui se compare avantageusement à ce qui se pratique chez d’autres ordres professionnels. « Mais ce n’est qu’une moyenne. Dans bien des cas, l’enquête ne prend que quelques jours, par exemple lorsque le représentant fautif reconnaît son tort sur-le-champ », dit Luc Labelle. Mais certaines enquêtes peuvent durer des mois, comme ce fut le cas pour le conseiller Norman Burns, de Trois-Rivières, contre qui pesaient des accusations graves que les enquêteurs devaient documenter solidement.

Une fois le rapport d’enquête sur son bureau, le syndic peut faire trois choses :

  • Fermer le dossier pour insuffisance de preuve ou absence de fondement de la plainte.
  • Imposer des mesures administratives au conseiller fautif (avis verbal, mise en garde). Le syndic peut appliquer de telles mesures si le consommateur victime d’un manquement professionnel n’a pas subi de dommages pécuniaires, par exemple.
  • Déposer une plainte écrite au comité de discipline de la CSF. Cela se produit quand un ou des infractions sérieuses ont été commises : négligence, malhonnêteté, appropriation illégale de fonds, contrefaçon de signatures, etc.

Si le comité de discipline est saisi de l’affaire, s’engage alors un processus disciplinaire en huit étapes :

1. Le secrétaire du comité signifie la plainte au représentant. 2. Le représentant comparaît par écrit pour déclarer ou non sa culpabilité. 3. Si le représentant enregistre un plaidoyer de culpabilité, le comité tient habituellement une seule audition tant sur la culpabilité que sur la sanction. Le tribunal est composé de trois personnes : le président du comité de discipline (Me François Folot, nommé par le gouvernement) et deux membres de la CSF qui œuvrent dans la même discipline que celle du représentant fautif. 4. Si le représentant plaide non coupable, le comité tient une audition sur la culpabilité. 5. Le syndic a alors le fardeau d’établir la culpabilité du représentant. 6. Au terme de l’audition et du délibéré, le comité consigne sa décision par écrit et y expose ses motifs. 7. Si le représentant est déclaré coupable, une audition subséquente a lieu afin de déterminer la sanction. 8. Le comité peut alors imposer une ou plusieurs des sanctions énumérées au Code des professions : réprimande, radiation temporaire ou permanente, amende variant de 1 000 $ à 12 500 $ pour chaque chef d’accusation et remboursement de sommes d’argent appartenant aux clients.

Lorsque vient le temps d’établir les sanctions, le comité de discipline tient compte de la gravité objective de l’infraction, du préjudice que le public a subi, ainsi que de la fréquence des actes reprochés. Sont aussi pris en cause l’expérience du représentant, son passé disciplinaire et sa volonté de corriger son comportement.

158 radiations permanentes en 2008 En 2008, le comité de discipline de la CSF a imposé 160 radiations temporaires et 158 radiations permanentes. Le montant total des amendes s’est établi à 212 400 $.

Pour ce qui est des enquêteurs, il faut noter qu’ils ne sont pas investis des pouvoirs dévolus aux inspecteurs de l’Autorité des marchés financiers. « Ils ne peuvent pas débarquer à l’improviste chez un conseiller pour vérifier ses livres, par exemple. Leur travail consiste à constituer une preuve documentaire. Durant tout le processus d’enquête, le conseiller est au courant de ce qui se passe », dit Luc Labelle.

Les enquêteurs de la CSF sont soit des conseillers d’expérience disposant de permis valides, soit des avocats. « La combinaison de ces deux expertises donne de très bons résultats. D’un côté, on a des gens qui connaissent les rouages de l’industrie, de l’autre, des spécialistes en droit et en élaboration de preuves », souligne Luc Labelle.

Le grand patron de la CSF s’attend à ce que le bureau du syndic et le comité de discipline soient passablement occupés en 2010. En effet, un grand nombre des enquêtes qui ont été entreprises cet été vont se conclure l’an prochain. « L’explosion des plaintes que nous avons connues va se vivre en 2010 au comité de discipline », estime Luc Labelle.

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