Fausse signature : autopsie d’une infraction sous-estimée

Par Didier Bert | 22 avril 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Votre client est déjà parti quand vous vous apercevez qu’il manque sa signature sur une page. Pas de problème : au téléphone, vous vous mettez d’accord ensemble pour signer à sa place, lui (vous) évitant ainsi un nouveau déplacement… Ce simple geste peut pourtant vous coûter très cher.

Même si le conseiller s’est mis d’accord avec son client pour remplacer sa signature, son geste pourra toujours faire l’objet d’une plainte, un jour ou l’autre, car les infractions déontologiques ne connaissent pas de prescription. Et c’est ainsi que chaque année, plusieurs conseillers se retrouvent devant le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CSF), accusés de contrefaçon de signature.

En 2014, 11 conseillers ont ainsi été présentés devant le tribunal déontologique. Ils étaient 14 en 2013. Vous trouvez que c’est peu? Chaque année, environ 70 représentants passent devant le comité de discipline. Cela signifie qu’une comparution sur sept inclut une infraction en contrefaçon de signature.

SE FAIRE DÉNONCER

Le plus souvent, ces comparutions sont le résultat de dénonciations, indique Louis Lespérance, président de BECAS Assurances et membre du comité de discipline de 2009 à 2012. Mais qui les a dénoncés? Un client pris de remords, un collègue, un concurrent?… La réponse est difficile à donner, car les jugements du comité de discipline ne mentionnent pas de plaignant autre que la syndique de la CSF. « L’origine des plaintes n’est pas comptabilisée, assure Marie-Élaine Farley, présidente et chef de la direction par intérim de la CSF. Mais le client est impliqué dans l’enquête, ajoute-t-elle aussitôt. Pour pouvoir reprocher à un représentant d’avoir signé à la place du client, il faut que ce dernier ait indiqué que ce n’est pas lui qui a signé. »

Marie-Élaine Farley

Et pourquoi donc un client dénoncerait-il son conseiller? « Cela peut arriver quand des placements vont mal, répond Me Farley. Quelques années après la falsification, le client dira qu’il n’a jamais signé le document. » Même s’il avait donné son accord verbal au conseiller… Dans une telle situation, le représentant n’a plus qu’à espérer que son assurance en responsabilité professionnelle n’exclue pas une telle faute.

Des conseillers eux-mêmes encouragent des clients à porter plainte auprès de la syndique de la CSF lorsque ces derniers confient que leur représentant précédent a falsifié leur signature, ou quand les conseillers constatent eux-mêmes des bizarreries. Par exemple, une compagnie d’assurance peut demander une mise à jour des informations concernant un contrat… dont le client n’a pas connaissance, puisqu’il ne l’a pas signé. Les raisons de dénoncer un confrère peuvent être multiples : la volonté de faire respecter la déontologie, le souhait de défendre les intérêts d’un client, la jalousie envers le conseiller fautif.

SE FAIRE PINCER LORS D’UNE ENQUÊTE

La faute du conseiller peut aussi être mise en lumière lors d’une vérification menée par le fournisseur de produits financiers ou d’assurance de personnes, qui constate que les différentes signatures du client ne sont pas identiques entre elles, poursuit Me Farley.

La syndique de la CSF peut même découvrir directement l’infraction au cours d’une enquête menée pour un autre motif. « Quand un représentant tourne les coins ronds, cela permet de trouver un élément tangible dans le dossier », souligne Me Farley.

Pour obtenir la preuve de la contrefaçon, la CSF a recours à des experts en graphologie, qui analysent des échantillons de signature et les comparent entre eux, précise-t-elle.

Ajoutons enfin que si, dans le passé, les clients étaient moins regardants, « de nos jours, les consommateurs ont une plus grande conscience de leurs droits, souligne Denis Preston, planificateur financier et formateur à l’IQPF. Ils font davantage attention et nous devons les encourager dans cette voie. Nous devons leur dire de garder une copie de tous les documents qu’ils signent. »

LA PORTE OUVERTE À LA FRAUDE

S‘il est possible de trouver un terrain d’entente avec la syndique de la CSF pour certaines infractions, « il n’y a pas d’entente possible hors cour en cas de falsification de signature », affirme Louis Lespérance. Ainsi, il est fréquent de voir des conseillers sanctionnés d’un à deux mois de radiation, en plus d’amendes de plusieurs milliers de dollars. Sans parler de la mauvaise publicité qui s’ensuit.

Comment expliquer que, malgré cela, la contrefaçon de signature demeure une infraction relevée dans un dossier sur sept devant le comité de discipline? Si des conseillers sous-estiment cette infraction, ils se trompent. La CSF est inflexible sur le sujet : « la contrefaçon de signature, c’est une façon d’usurper l’identité, martèle Me Farley. Cela soulève des doutes quant à l’intégrité de la personne. »

Et ces doutes ne peuvent être admis. « À partir du moment où on enfreint un règlement, où arrête-t-on? interroge Denis Preston. Si on ne respecte pas la signature d’un client, on ne respectera pas son argent, ni son intérêt. »

Michel Mailloux

Autre raison invoquée pour sanctionner lourdement cette infraction : la falsification de signatures ouvre la porte à la fraude. « Rappelez-vous que le fameux Ponzi a eu sa première condamnation au Québec pour avoir imité la signature de ses clients sur des chèques », relève Michel Mailloux.

Quand on consulte les jugements du comité de discipline, on s’aperçoit en effet qu’il est rare que des représentants comparaissent uniquement pour des faits de contrefaçon de signature. La plupart des intimés doivent répondre d’autres infractions, commises simultanément, et qui ont été permises par une fausse signature. C’est le cas de l’appropriation de fonds ou de la multiplication indue d’opérations (churning, en anglais), donnant lieu au versement de commissions exagérées au conseiller.

De fausses excuses…

On entend plusieurs sortes d’excuses pour tenter d’expliquer la falsification de signatures, observe Michel Mailloux, formateur en déontologie auprès des conseillers :

  • rendre service au client pour lui éviter un déplacement,
  • pallier l’oubli d’une signature sur une page parmi des dizaines de pages correctement signées,
  • compléter une signature dont une partie a été malencontreusement faite sur une autre feuille ou sur une note adhésive.

… Et leurs vraies solutions

« C’est souvent le conseiller qui s’évite un déplacement, et non le client, souligne Louis Lespérance. Et on peut très bien envoyer le document par courriel ou par la poste. »

« Si une partie de la signature est restée sur une note adhésive, coupez cette note et collez-la directement sur le document. Ne complétez pas la signature vous-même », recommande Michel Mailloux.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.