Droits de mutation et droits supplétifs

13 novembre 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Blocs de bois sur une table.
Photo : gajus / 123RF

Depuis 1992, les municipalités du Québec sont tenues d’imposer, lors du transfert d’un immeuble sur leur territoire, un droit de mutation communément appelé la « taxe de bienvenue ». Quoique le terme courant se prête bien au contexte d’une imposition spéciale à la suite d’une nouvelle acquisition (réputée ou non), la « taxe de bienvenue » doit son nom, à tort, à Jean Bienvenue, homme politique à qui l’implantation de cette taxe a été associée à l’époque de sa création. À cet égard, il sera intéressant de noter que l’année 1976 marque l’instauration de la taxe de bienvenue, mais celle-ci demeurera facultative jusqu’en 1992, année à partir de laquelle le droit de mutation imposé par une municipalité est devenu une obligation.

Le présent texte vise à résumer certaines règles de base qui entourent les droits de mutation relatifs aux transferts d’immeuble. Seront ensuite énoncées les considérations particulières en lien avec des transferts d’immeuble intervenant entre des sociétés d’un groupe de sociétés étroitement liées ainsi que les règles anti-évitement applicables.

RÈGLES DE BASE ENTOURANT LE CALCUL DU DROIT DE MUTATION 

En vertu de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières (« L.D.M.I. »), est considéré comme un « immeuble » tout bien inscrit au rôle d’évaluation foncier d’une municipalité.

Lors du transfert d’un immeuble, la municipalité dans laquelle se situe cet immeuble doit percevoir des droits de mutation calculés en fonction d’une base d’imposition, laquelle est calculée en vertu de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières. En effet, cette base d’imposition est établie en fonction de la contrepartie payée pour l’immeuble ayant fait l’objet d’un transfert, la contrepartie stipulée, s’il y a lieu, pour ce transfert et la juste valeur marchande de l’immeuble au moment du transfert, le plus élevé de ces trois montants représentant la base d’imposition. Alors que pour toutes les municipalités du Québec les taux d’imposition sont applicables par tranches de base d’imposition de la même façon pour les premiers 500 000 $, pour tout immeuble nouvellement transféré, les municipalités peuvent respectivement établir un taux supérieur applicable uniquement sur l’excédent des premiers 500 000 $ du montant de la base d’imposition.

La notion de transfert au sens de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières

En ce qui a trait au « transfert » d’immeuble, sur lequel sera assujetti les droits de mutation dont il est question, la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières fait référence au « transfert du droit de propriété d’un bien, l’établissement d’une emphytéose et la cession des droits de l’emphytéote, ainsi que le contrat de louage d’un bien, pourvu que la période qui court à compter de la date du transfert jusqu’à celle de l’arrivée du terme du contrat de louage, y compris toute prolongation ou tout renouvellement y mentionné, excède 40 ans ».

En vertu des articles 17 à 20 L.D.M.I., certaines circonstances permettront qu’un immeuble fasse l’objet d’une exonération quant au paiement des droits de mutation. En voici quelques exemples :

  • le montant de base d’imposition est inférieur à 5 000 $;
  • le transfert a lieu entre personnes liées directement de façon ascendante (y compris les parents d’un conjoint) ou descendante (y compris les conjoints des enfants du cédant ou du conjoint) ou entre conjoints;
  • le transfert est effectué par une personne physique à une société par actions dont au moins 90 % des droits de vote sont détenus par le cédant, immédiatement après le transfert, au moyen de la détention d’actions du capital-actions de la société cessionnaire;
  • le cessionnaire est une société nouvellement créée à la suite de la fusion de plusieurs sociétés;
  • le transfert est effectué entre deux sociétés étroitement liées.

TRANSFERT D’UN IMMEUBLE ENTRE DEUX SOCIÉTÉS ÉTROITEMENT LIÉES

La Loi concernant les droits sur les mutations immobilières fait état de certaines règles particulières qui doivent être observées lors du transfert d’un immeuble dans un groupe de sociétés étroitement liées, lesquelles sociétés sont appelées des « personnes morales » étroitement liées. Pour plus de précisions, aux fins d’un transfert effectué entre deux « personnes morales » étroitement liées, la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières considère, au quatrième alinéa de l’article 19, qu’« une société est réputée, au moment du transfert, une personne morale dont l’ensemble des actions comportant un droit de vote pouvant être exercé en toute circonstance à l’assemblée annuelle des actionnaires de la personne morale appartiennent à chaque associé de la société dans une proportion égale à la part, à ce moment, de l’associé dans les profits ou les pertes de la société ».

À l’égard de ce qui précède, de façon sommaire, la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières considère que deux sociétés (« sociétés cocontractantes ») sont étroitement liées dans les circonstances suivantes :

  • au moins 90 % des actions du capital-actions de la société cédante ou de la société cessionnaire conférant le plein droit de vote sont détenues par la société cocontractante avec le cédant ou le cessionnaire ou par :
  • une filiale dite « déterminée » (soit l’une dont au moins 90 % des droits de vote sont détenus par une des sociétés cocontractantes) d’une des sociétés cocontractantes;
  • une société dont l’une des sociétés cocontractantes est une filiale déterminée;
  • un amalgame des sociétés susmentionnées.

Les circonstances entourant un transfert entre deux sociétés dont il a été fait mention permettent à un groupe de sociétés, sous réserve de certaines conditions, d’éviter le paiement des droits de mutation jusqu’au moment où le « lien étroit » est brisé. Ainsi, il pourrait être intéressant de mettre en place des planifications fiscales impliquant des transactions entre sociétés dites étroitement liées, lesquelles pourraient, d’une part, assurer le maintien d’un bien au sein d’un même groupe de sociétés tout en générant, d’autre part, une économie d’impôt substantielle grâce à l’exonération du paiement des droits de mutation. Enfin, quoique la possibilité de bénéficier d’une exonération du paiement des droits de mutation puisse créer une économie fiscale importante, il n’est pas possible de parler d’exonération sans tenir compte de l’application de droits supplétifs, lesquels seront expliqués à la section suivante.

L’IMPOSITION D’UN DROIT SUPPLÉTIF

Lorsqu’une exonération est applicable, une municipalité, selon les règlements qu’elle aura adoptés, sera en mesure de faire appliquer un droit supplétif aux droits de mutation qui ont été écartés afin d’imposer une taxe minimale qui se veut en quelque sorte substitutive aux droits de mutation. Le montant de ces droits se veut habituellement immatériel, généralement limité au montant maximum de 200 $.

RÈGLES ANTI-ÉVITEMENT 

Lorsqu’il est question d’« évitement » ou de négligence entourant le transfert d’un immeuble ayant fait l’objet d’une exonération de paiement des droits de mutation, le droit supplétif devient applicable en vertu des articles 1129.28 et suivants de la Loi sur les impôts (« L.I. »), selon la date du transfert visé.

Une règle anti-évitement visant à imposer un droit supplétif pénalisant dans le cas d’une société cessionnaire d’un immeuble ayant fait l’objet, avant le 18 mars 2016, d’une exonération liée à l’implication de sociétés étroitement liées est prévue à l’article 1129.29 L.I. En effet, si une société fait l’objet d’une acquisition de contrôle et que cette société a été cessionnaire d’un immeuble sur lequel aucun droit de mutation n’a été exigé, grâce à l’application d’une clause d’exonération, et qu’il peut être conclu raisonnablement que l’immeuble ayant fait l’objet d’un transfert l’a été en vue de l’acquisition de contrôle en question, Revenu Québec pourra appliquer un droit supplétif correspondant à 125 % du montant des droits de mutation qui auraient été payables par ailleurs. Cette règle anti-évitement n’est pas applicable aux transferts d’immeuble ayant eu lieu après le 17 mars 2016.

RÈGLES ANTI-ÉVITEMENT ENTOURANT LES TRANSFERTS EFFECTUÉS APRÈS LE 17 MARS 2016

À la suite du Budget fédéral de 2016, une nouvelle règle anti-évitement a été instaurée visant à pallier, entre autres, l’évitement possible du paiement des droits de mutation lorsqu’un immeuble n’est pas inscrit au registre foncier ou lorsqu’une condition permettant l’application d’une exonération du droit de mutation sur un transfert cesse d’exister. Il faut comprendre qu’avant le Budget fédéral de 2016, les droits de mutation devenaient exigibles seulement une fois un immeuble inscrit au registre foncier. Ainsi, il était possible de reporter volontairement l’imposition des droits de mutation pour une période indéfinie en n’inscrivant pas un immeuble au registre foncier de la municipalité dans laquelle était situé l’immeuble. Cette règle anti-évitement vise à exiger, pour un transfert effectué après le 17 mars 2016, un droit supplétif de 150 % du montant du droit de mutation qui serait exigible à l’égard du transfert, applicable en vertu de la Loi sur les impôts dans deux contextes précis, lesquels sont expliqués dans les deux sous-sections suivantes.

DIVULGATION SUIVANT LE TRANSFERT

Puisque les paiements des droits de mutation sont maintenant exigibles au moment du transfert d’un immeuble (versus au moment de l’inscription au registre foncier), si le transfert n’est pas inscrit au registre foncier, la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières exige que le transfert soit signifié par le biais d’une divulgation à la municipalité au plus tard 90 jours suivant la date du transfert. Le paiement des droits de mutation devra être effectué au plus tard le 31e jour suivant la date d’envoi de l’avis de paiement des droits de mutation, s’il y a lieu. Il importe de mentionner que si le délai de 90 jours n’est pas respecté, un droit supplétif de 150 % exigible par Revenu Québec s’appliquera, que des droits de mutation soient exigibles ou non (c’est-à-dire dans un contexte d’exonération). Cette règle s’assure que tous les transferts soient inscrits éventuellement au registre foncier. Le ou les cessionnaires qui paieront leurs droits de mutation avant l’envoi de l’avis de cotisation pour les droits supplétifs émis par Revenu Québec pourront voir leurs droits supplétifs réduits de 150 % à 50 %, lesquels seront payés en addition aux droits de mutation.

TRANSFERT D’UN IMMEUBLE À L’INTÉRIEUR D’UN GROUPE DE SOCIÉTÉS

Dans un contexte de transfert d’immeuble à l’intérieur d’un groupe de sociétés étroitement liées, ou même entre une société et la personne qui la contrôle, il faut savoir que pour l’application de l’exonération liée à la détention d’au moins 90 % des actions donnant le plein droit de vote à son détenteur (que ce soit dans le contexte de deux sociétés ou d’une société et d’une personne physique), cette exigence doit être maintenue pour une période minimale de 24 mois suivant la date de transfert de l’immeuble, autrement, les droits de mutation qui auraient été imposés, n’était-ce de l’exonération, deviendront exigibles. À la suite du Budget fédéral de 2016, la Loi sur les impôts a été modifiée afin de s’assurer que les cessionnaires paient les droits de mutation requis lorsqu’une condition permettant une exonération cesse d’exister. En effet, dans les 90 jours suivant la date à laquelle la condition d’exonération cesse d’être satisfaite, le ou les cessionnaires doivent produire une divulgation à cet effet à la municipalité dans laquelle se trouve l’immeuble, autrement, des droits supplétifs de 150 % du montant du droit de mutation qui serait exigible à l’égard du transfert devront être payés à Revenu Québec. Tout comme c’est le cas avec la divulgation d’un transfert, le ou les cessionnaires qui paieront leurs droits de mutation avant l’envoi de l’avis de cotisation pour les droits supplétifs émis par Revenu Québec pourront voir leurs droits supplétifs réduits de 150 % à 50 %, lesquels seront payables en addition aux droits de mutation.

PROBLÉMATIQUE LORS D’UNE EXONÉRATION INTERSOCIÉTÉS 

À l’égard de l’application des droits supplétifs dans un contexte d’exonération, Revenu Québec a publié, le 8 juin 2018, une lettre d’interprétation mettant en lumière une possible problématique dans l’application de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières au sujet des droits supplétifs. L’une des situations présentées dans la lettre d’interprétation 18-041704-001 est la suivante :

  • X transfère un immeuble à Société A qu’il contrôle à 100 %. Compte tenu des dispositions prévues par la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières à cet égard (par. 19a) L.D.M.I.), Société A bénéficie d’une exonération du paiement des droits de mutation. Deux mois après le transfert, Société A dispose de l’immeuble en faveur d’un tiers et, conformément à ce que requiert la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières, le tiers paie les droits de mutation à l’égard du transfert. Trois mois suivant le transfert au tiers en question, M. X vend ses actions détenues dans Société A et ne fait pas de divulgation à la municipalité dans laquelle se trouvait l’immeuble ayant fait l’objet d’un transfert, considérant la vente de ce dernier à un tiers. Ce qu’il faut noter de la situation présentée est que, premièrement, l’exonération au moment de la transaction initiale est bel et bien applicable et que, deuxièmement, à la suite de la vente de l’immeuble à un tiers, ce tiers s’acquitte, tel qu’il est prévu par la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières, du paiement des droits de mutation associés à l’immeuble dont il fait l’acquisition.

Puisque la condition permettant l’exonération du paiement des droits de mutation a cessé d’être satisfaite après le transfert de l’immeuble au tiers dont il est fait référence et que celle-ci n’a pas été maintenue pendant une période d’au moins 24 mois, tel que le prévoit la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières, Revenu Québec pourrait appliquer un droit supplétif représentant 150 % du montant des droits de mutation qui aurait été payable par ailleurs par Société A, n’était-ce de l’exemption.

Dans cette même lettre d’interprétation, une deuxième situation problématique est présentée dans laquelle, vraisemblablement, un transfert d’immeuble est effectué dans le but d’éviter le paiement des droits de mutation peu de temps avant une acquisition de contrôle. Puisque les règles en lien avec les transferts effectués en vue d’une acquisition de contrôle ne seraient pas applicables dans ce cas-ci, en supposant un transfert ayant pris place après le 17 mars 2016, il pourrait être tentant d’utiliser ce type de stratégie, à la lumière des règles en vigueur à la suite du Budget fédéral de 2016, pour effectuer un transfert dans un groupe de sociétés.

Dans la situation présentée, Société A et Société B sont étroitement liées. Société A transfère un immeuble à Société B, permettant à cette dernière de bénéficier ainsi de l’exemption prévue à cet effet par la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières, évitant, par le fait même, le paiement des droits de mutation à la suite du transfert en question. Quelques mois après le transfert, soit moins de 24 mois suivant ce moment, Société B vend les actions qu’elle détient dans Société A à un tiers, mais omet de faire une divulgation à cet effet à la municipalité dans laquelle se trouve l’immeuble. Quoique le transfert de Société A à Société B semble, de façon justifiée et selon les faits présentés, bénéficier d’une exonération quant au paiement des droits de mutation, Revenu Québec confirme que, puisque la divulgation que la condition permettant l’exonération a cessé d’exister a été omise, des droits supplétifs de 150 % pourraient être imposés par Revenu Québec.

CONCLUSION 

Comme le démontrent les situations présentées dans la lettre d’interprétation de Revenu Québec, les droits supplétifs peuvent, même dans un contexte de bonne foi, s’appliquer et être très pénalisants pour le cessionnaire ayant bénéficié d’une exonération quant au paiement des droits de mutation.

À ce sujet, en prévision de toute réorganisation d’entreprise postérieure à une transaction de transfert d’immeuble, il sera particulièrement judicieux de, premièrement, signifier le transfert d’immeuble à la municipalité au moment d’une transaction impliquant un groupe de sociétés étroitement liées, et ce, en indiquant également, s’il y a lieu, la condition existante qui permettra à la société cessionnaire de bénéficier d’une exemption du paiement des droits de mutation associés au transfert en question. Dans un contexte de transfert d’immeuble dans un groupe de sociétés, cette diligence minimisera les risques d’être pénalisé par les règles anti-évitement entourant les droits supplétifs prévues par la Loi sur les impôts.

* Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, (Automne 2020), vol. 25, no 3.