Fiducie testamentaire : pas pour tout le monde

Par La rédaction | 16 octobre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Si l’un de vos clients souhaite faire établir une fiducie testamentaire, il devrait néanmoins y réfléchir à deux fois avant de se lancer car l’intérêt de ce dispositif varie grandement selon la situation financière et familiale de chaque personne, met en garde Me Maxine Gauthier.

Dans un texte récemment publié sur le site du cabinet lavallois Alepin Gauthier, la notaire souligne en effet que « la nécessité de se pourvoir d’une fiducie au décès sera bien différente d’un individu à l’autre, tout autant que sa planification ». Et même, ajoute-t-elle, l’analyse des besoins financiers du testateur, ainsi que ceux de ses héritiers, pourrait révéler que cette option n’est, au contraire, pas appropriée à sa situation (voir l’encadré).

Le plus souvent, poursuit Me Gauthier, ce système a pour objectif de « protéger les légataires mineurs, les légataires inaptes, les légataires ayant un handicap ou une déficience intellectuelle ou ayant certaines dépendances à la drogue ou à l’alcool par exemple, et ce, afin d’assurer un revenu aux héritiers qui n’ont parfois pas les capacités ou les connaissances leur permettant de gérer l’héritage » et risquent donc de le dilapider. De même, il peut constituer une excellente stratégie lorsque le testateur dispose d’un patrimoine substantiel à léguer à ses héritiers. Dans ce cas, le but visé par celui-ci est de préserver ses actifs, puisque « la distance ainsi créée entre les biens du testateur, maintenant transférés en fiducie, et ceux des héritiers permet de protéger l’héritage des créanciers éventuels de chaque héritier ».

QUELQUES AVANTAGES…

« Cette disposition est intéressante en particulier dans le cas où un parent qui aurait amassé un montant assez important meurt alors que ses enfants sont encore mineurs. L’argent peut alors être mis dans une fiducie créée par son décès, et ensuite sa distribution sera organisée de façon à ce que les enfants ne manquent de rien tout en veillant à ce qu’il ne soit pas dilapidé. C’est une manière d’éviter de passer par un conseil de famille, par exemple, en transférant directement l’argent dans un véhicule juridique autonome, avec un ou plusieurs fiduciaires, et dans lequel les droits du ou des bénéficiaires seront prévus grâce à un testament fiduciaire », précise Me Maxime Alepin.

Interrogé par Conseiller, ce dernier note que « cette option peut également se révéler intéressante dans le cas d’enfants handicapés qui ont besoin d’une aide financière particulière, mais dont les parents souhaitent que celle-ci leur soit octroyée dans un certain cadre ». Dans ce cas comme dans les autres, « les fonds seront transférés dans une fiducie avant de leur être ensuite distribués à certaines conditions et selon des modalités bien précises, par exemple en prévoyant qu’il s’agira d’une rente versée à la semaine ou au mois ».

En fin de compte, résume Me Alepin, le but de ce dispositif, pour un particulier, est de « lui permettre de continuer à gérer de façon très stricte ses biens et ses actifs, souvent durant plusieurs années après sa mort ». « C’est là son principal avantage par rapport à un testament notarié standard qui organise la succession pour la période immédiate suivant le décès. Ce dernier prévoira la dévolution des biens au décès, tandis qu’un testament fiduciaire créera un véhicule juridique, qui vivra durant plusieurs années en fonction de ce qu’a voulu la personne décédée. »

ET PLUSIEURS INCONVÉNIENTS

Toutefois, nuance Me Alepin, la mise en place d’un tel dispositif implique « un coût relativement élevé », puisque la création d’un testament fiduciaire est facturée « quelques milliers de dollars », en fonction du cabinet notarial avec lequel on fait affaire. La raison? « Ce document est plus complexe à établir qu’un testament classique. » Pour cette raison, insiste-t-il, « il n’est pas approprié quand le montant en jeu est de 10 000 ou 30 000 dollars, par exemple ». « Bien qu’il soit difficile de donner un chiffre exact, les gens qui recourent à ce système disposent généralement au moins de plusieurs centaines de milliers de dollars net », relève le notaire, qui précise qu’« en plus des coûts reliés à sa création, ce système entraîne des frais annuels pour son maintien en place et la rémunération de ses fiduciaires ».

Outre ses coûts, un testament fiduciaire génère diverses complications administratives, note également Me Alepin. « Beaucoup de gens se plaignent du fait qu’ils sont pris avec des mécanismes compliqués et qu’ils doivent se rendre à des réunions avec le ou les fiduciaires qui s’occupent de leur dossier pour toutes sortes d’affaires. Or, ce qu’ils veulent, en général, c’est récupérer l’argent pour pouvoir passer à autre chose. »

Sa conclusion? « D’un côté, on a quelqu’un qui veut garder le contrôle de ses affaires après sa mort et, de l’autre, on a des héritiers qui veulent l’argent tout de suite mais se retrouvent pris dans un carcan juridique qui les empêche d’y parvenir. Parfois, ce mécanisme peut donc se révéler néfaste pour l’équilibre des familles. Par exemple, dans l’hypothèse où on aurait trois enfants âgés de 35, 45 et 55 ans capables de gérer leurs affaires, ce n’est sans doute pas un bon choix. Ainsi, des parents qui auraient pris ce genre de dispositions alors que leurs enfants étaient mineurs auraient intérêt à les revoir, sous peine de créer une structure inutile et lourde, qui risquerait en plus de créer des problèmes familiaux après leur disparition. »

La fiducie testamentaire en bref

Ce dispositif est créé par le testateur à même son testament. Il s’ouvrira rétroactivement à la date du décès et sera administré par un ou plusieurs fiduciaires, qui auront été nommés dans le testament. Il doit être rédigé « d’une manière individualisée et propre à la situation de chacun, puisque c’est ce document qui deviendra le point de référence pour le fiduciaire, notamment quant à ses devoirs, obligations et pouvoirs », souligne Me Maxine Gauthier.

Comme la fiducie constitue « un patrimoine distinct de celui de son constituant et des héritiers », les montants qui y sont détenus « n’appartiendront plus au défunt suite à son décès, non plus qu’aux héritiers [puisqu’] elles seront la propriété de la fiducie », précise la notaire.

« UNE STRUCTURE COMPLEXE »

« Les héritiers auront un droit à titre de bénéficiaires de la fiducie, ajoute-t-elle. Les sommes ou les biens détenus par le défunt qui auront été transférés dans la fiducie seront ainsi remis aux bénéficiaires du revenu ou du capital, de la manière prévue par le testateur. C’est le fiduciaire qui administrera le patrimoine résultant de la liquidation de la succession jusqu’à la remise de son capital, et ce, selon les instructions du testateur contenues dans son testament. »

Mais attention, avertit également Me Gauthier : « La création d’une fiducie testamentaire requiert une planification adaptée au moment de la rédaction et engendre une structure plus complexe que celle d’une succession non fiduciaire suite au décès, raison pour laquelle la fiducie n’est pas toujours appropriée. »

La rédaction