Les influenceurs dans la mire des autorités fiscales

Par Carole Le Hirez | 15 juillet 2022 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les activités des influenceurs sur les réseaux sociaux génèrent des revenus pouvant être conséquents. Un certain flou entoure le traitement fiscal de ces gains. Les gouvernements voudront bientôt y regarder de plus près, selon des observateurs.

« Les influenceurs, ou créateurs de contenu utilisent les plateformes des médias sociaux pour partager du contenu – textes, liens, photos, vidéos – pour attirer des abonnés. Ils sont reconnus pour avoir une certaine influence sur leur audience en vue de créer ou d’encourager des habitudes et des tendances de consommation », a résumé Lisa-Marie Gauthier, avocate fiscaliste dans l’équipe litige de De Grandpré Chait, en introduction d’une formation sur la fiscalité des influenceurs présentée par l’Association de planification financière et fiscale (APFF).

Si on s’entend généralement sur la définition de l’activité des influenceurs, le cadre fiscal qui régit leurs obligations fiscales est lui sujet à interprétations, ce qui complexifie la tâche des professionnels responsables de la planification financière de ces clients, ont souligné des experts dans le cadre de cette formation.

« C’est un sujet nouveau, qui amène une pratique nouvelle. Il existe peu de jurisprudence sur la question, et celle qui existe sera amenée à évoluer », estime Martin Gilbert, avocat associé chez Richter.

Il croit que le fisc s’apprête à y mettre bon ordre en déclenchant une vague de vérifications fiscales auprès des influenceurs. « Cela a été annoncé et on s’y attend », déclare l’avocat.

ANALYSER LES SOURCES DE REVENUS

Dans ce contexte, les planificateurs doivent tenir compte de certaines particularités lorsqu’ils traitent avec des clients influenceurs.

Un premier aspect consiste à identifier leurs différentes sources de revenus, qui peuvent provenir des publications commanditées, des abonnements, des publicités Google ou de la vente de marchandises, souligne Lisa-Marie Gauthier.

Certains revenus font l’objet de contrats précis avec des marques. D’autres, en revanche, sont perçus sous forme de produits ou services, souvent de manière non sollicitée par l’influenceur, comme un séjour gratuit dans un hôtel en échange de la publication d’une photo sur sa page Instagram.

OBLIGATIONS EN MATIÈRE D’IMPÔT

L’activité des influenceurs est encore jeune, mais des obligations fiscales ont été définies au fur et à mesure qu’elle se développait. Selon l’Agence du revenu du Canada (ARC), « les activités d’un influenceur qui gagne un revenu monétaire ou non monétaire au moyen des médias sociaux peuvent constituer des activités commerciales et son revenu peut constituer un revenu d’entreprise ».

L’influenceur est tenu d’indiquer ses revenus (monétaires et non monétaires) dans sa déclaration de revenus. Pour déclarer un revenu non monétaire, il doit utiliser la juste valeur marchande (JVM) de ce qu’il a reçu. De plus, l’ARC considère ses activités comme commerciales lorsqu’elles ont un aspect lucratif.

Ces deux derniers points suscitent des questions sur le plan fiscal. La JVM n’est pas toujours évidente à établir. « La valeur estimée d’une chambre d’hôtel ou d’un repas peut varier d’une personne à l’autre », illustre Lisa-Marie Gauthier.

« La détermination de la JVM dans ce contexte est une cible mouvante », opine Martin Gilbert

Ce dernier s’interroge par ailleurs sur le fait que l’ARC n’a pas choisi d’utiliser la notion d’« attente raisonnable de profit » pour considérer la valeur commerciale d’une activité, mais plutôt celle d’aspect lucratif, « moins documentée ». « Est-ce que cela signifie qu’il y aura un autre genre de test pour déterminer si le revenu va devenir imposable ? », s’interroge-t-il.

À suivre.

TRAVAILLEUR AUTONOME

Par ailleurs, un influenceur qui utilise les médias sociaux pour générer des revenus est considéré aux fins de l’impôt comme un travailleur autonome, sauf si ces revenus sont gagnés par l’entremise d’une société, signale Isabelle Boisvert, directrice principale, taxes à la consommation et administration fiscale chez FBL.

L’impôt dans ce cas n’est pas retenu sur le revenu. Il faut donc prévoir les sommes pour le payer. De plus, on doit produire un formulaire T2125 au fédéral et un TP80 au Québec, et effectuer les cotisations de l’employé et de l’employeur au Régime de pension du Canada et, si l’activité est exercée au Québec, au Régime des rentes du Québec, au Régime québécois d’assurance parentale et au Fonds des services de santé.

Également, un influenceur pourrait devoir verser des acomptes provisionnels s’il a un solde d’impôt à payer dépassant 1800 $.

La détermination des dépenses d’entreprises raisonnables, qui doivent être engagées dans le but de gagner un revenu et qui ne sont pas de nature personnelle, est également source d’interprétations. « La ligne est mince, par exemple, dans le cas d’un influenceur qui utilise son téléphone personnel pour prendre ses vidéos et publier sur ses plateformes. C’est à déterminer au cas par cas », commente Isabelle Boisvert.

S’ACQUITTER DES TAXES À TEMPS

La TPS et la TVQ doivent être perçues et remises lorsqu’il y a exploitation d’une entreprise, sauf si un particulier n’attend retirer aucun « profit raisonnable » de cette activité. La nuance est importante, souligne Isabelle Boisvert, car s’il n’y a pas d’activité commerciale, il n’y a pas d’obligation de collecter et remettre les taxes. « Pour un influenceur, il faut déterminer à partir de quel moment son activité, qui était au début un passe-temps, devient celle d’une entreprise. Cela peut faire une grande différence. »

Les influenceurs non-résidents (NR) ont désormais l’obligation de s’inscrire au nouveau régime désigné et de percevoir la TPS et la TVQ auprès des consommateurs canadiens. Attention, une taxe payée par erreur ne peut être réclamée auprès de Revenu Québec, mais seulement auprès du réseau social concerné, prévient Isabelle Boisvert.

La fiscaliste rappelle que les taxes doivent être payées par l’influenceur dès la réception du paiement versé par la plateforme. « Le réseau social peut parfois être le mandataire pour la remise des taxes, mais il convient de s’en assurer, car s’il ne le fait pas, l’influenceur est tenu responsable. »

Les conseillers qui comptent des influenceurs dans leur clientèle doivent donc se montrer alertes pour les aider à se conformer à leurs obligations fiscales. « Le fisc dispose de plusieurs moyens pour effectuer des vérifications », met en garde Martin Gilbert. Les agents peuvent par exemple croiser les revenus des influenceurs avec les dépenses des réseaux sociaux, et s’appuyer sur divers documents, comme les stories publiées et les états de compte archivés sur les plateformes. Une bonne compréhension de l’activité des clients influenceurs est de mise pour optimiser leur fiscalité.

3 conseils pour la fiscalité des clients influenceurs

  • Bien comprendre les transactions en consultant le compte de l’influenceur sur le réseau social
  • Conserver les documents (états de compte, factures) et les télécharger en cas de fermeture du compte
  • Se conformer et ne pas ignorer délibérément les obligations fiscales