Pertes fiscales et limonade

Par Guerlane Noël | 14 mai 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Femme qui tend un verre de limonade à quelqu'un d'autre.
Photo : anandaBGD / iStock

Plusieurs d’entre nous ont accueilli l’année 2020 avec l’espoir que cette dernière s’avérerait fructueuse pour les investisseurs. Qui aurait cru que le mot « confinement » serait l’expression la plus en vogue du premier trimestre?

Tout en nous forçant à adopter une perspective qui se veut plus large et flexible, la crise de la COVID-19 nous a contraints à revoir nos moindres faits et gestes du quotidien, tout en nous apprenant l’art de la patience.

Les investisseurs ont été surpris par des baisses inattendues – voire substantielles – sur les marchés en réponse au coronavirus, créant ainsi des sentiments mitigés face à leurs placements. Tous ces changements ont ramené sur la table un sujet plus pertinent que jamais à l’heure actuelle : la vente à perte à des fins fiscales.

La volatilité marquée en Bourse en a exposé plusieurs aux pertes en capital. Sans prétendre qu’il s’agit d’une situation souhaitable, les investisseurs devraient tirer avantage de cette situation contraignante en créant une position fiscale favorable, lorsque les circonstances le permettent.

Lorsqu’un contribuable réalise une perte en capital, 50 % de celle-ci sera considérée à titre de perte en capital déductible aux fins fiscales, laquelle pourra réduire, s’il y a lieu, tout gain en capital imposable (soit 50 % d’un gain en capital réalisé) inclus dans le calcul de son revenu net pour une année donnée.

Considérant que la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) restreint cette possibilité, si une perte en capital ne peut être déduite pour une année donnée, il sera possible pour le contribuable de reporter celle-ci à l’une des trois années antérieures ou pour toute année future. Soulignons que ces règles sont applicables tant pour les particuliers que pour les sociétés par actions.

Pour les investisseurs ayant déjà réalisé des pertes en capital, ou ceux qui contemplent la possibilité de vendre leurs placements détenus dans leurs comptes non enregistrés afin de réaliser des pertes latentes, les quatre stratégies fiscales suivantes leur permettront de convertir leurs pertes en capital en avantages fiscaux.

1- Situation de gain et de perte fiscale pour un investisseur

Lorsqu’il est question de diversification du risque, l’objectif principal recherché est la maximisation du gain potentiel qu’un investisseur peut réaliser en détenant des investissements distincts au sein d’un même portefeuille.

Cela signifie que, alors qu’un placement est en situation de gain, au sein du même portefeuille, un autre placement peut être en situation de perte.

Lorsque l’investisseur fait face à cette double réalité, la fiscalité devrait être au centre de la prise de décision quant à la vente éventuelle du placement accusant une perte latente.

Si l’investisseur a déjà réalisé des gains en capital pour l’année et qu’il a la possibilité de vendre ou de se faire racheter des placements ayant une perte en capital latente, une fois réalisées, les pertes en capital peuvent éliminer ou diminuer l’imposition des gains en capital qui seront inclus dans le calcul du revenu net de l’investisseur pour l’année en question.

Cette compensation aura pour résultat de diminuer le montant d’impôt payable pour l’année, ou d’augmenter tout remboursement d’impôt éventuel.

Un investisseur ayant à l’inverse déjà réalisé des pertes en capital pour l’année aura également l’occasion de mettre en place une stratégie fiscale efficace s’il détient des placements accusant des gains latents et que vendre ceux-ci était déjà une option envisageable dans un avenir rapproché.

Leur disposition aura pour effet de cristalliser tout gain latent et l’imposition du gain en capital réalisé à la suite de la vente pourra être compensée par les pertes en capital déjà réalisées par l’investisseur.

Il pourrait ensuite décider de racheter les mêmes placements, ou des investissements similaires à ceux qui ont fait l’objet d’une disposition. Ceux qui s’adonnent à ce genre de pratique auraient par contre intérêt à porter une attention particulière aux règles relatives aux pertes apparentes.

2- Les pertes apparentes

La LIR prévoit un ensemble de règles qui empêcheront un contribuable de déduire une perte en capital réalisée à la suite de la vente d’un bien si, avant ou après la transaction, lui-même ou une personne qui lui est affiliée fait l’acquisition du même bien ou d’un bien identique (qu’on appellera « un bien de remplacement »).

Quoique le concept de personnes affiliées ne soit pas le sujet de ce texte, il importe de mentionner qu’un particulier est réputé être affilié à lui-même et les époux/conjoints de fait (ci-après « conjoints ») sont réputés être affiliés entre eux.

Un bien de remplacement ne peut pas être acquis par le vendeur ou une personne qui lui est affiliée dans une période de 61 jours qui comprend les 30 jours civils précédant celui où un bien (par exemple, un placement) est disposé, le jour de cette disposition et les 30 jours civils suivant cette date de disposition. Faute de quoi toute perte en capital réalisée par le vendeur au moment de la disposition lui sera refusée et celle-ci sera plutôt ajoutée au prix de base rajusté du bien de remplacement acquis par la personne affiliée au cours de la période précédemment mentionnée. C’est ce qu’on appelle une perte apparente.

L’Agence du revenu du Canada (ARC) définit depuis longtemps les biens identiques (en référant aux biens de remplacement) comme « des biens qui sont semblables quant à tous leurs points importants, de sorte qu’un acheteur éventuel n’aurait pas de préférence pour l’un plutôt que pour l’autre ».

Une mise en garde : une société contrôlée par l’investisseur ou son conjoint [communément appelée une société de gestion (Gesco)] est réputée être une personne affiliée à ce particulier. Si Gesco acquiert un bien de remplacement à l’intérieur de la période de référence de 61 jours, la perte en capital réalisée par l’investisseur lui sera refusée et sera ajoutée au prix de base rajusté du bien de remplacement acquis par Gesco.

Enfin, certains investisseurs pourraient vouloir tirer avantage des règles relatives aux pertes apparentes dans le cas où, par exemple, leur conjoint a réalisé des gains en capital pour une année donnée. Si le conjoint acquiert un bien de remplacement à la suite de la disposition d’un bien par l’investisseur, lequel réalise une perte en capital, la perte réalisée sera refusée à ce dernier et ajoutée au prix de base rajusté du bien de remplacement acquis par le conjoint.

Une fois les 30 jours civils suivant la date de disposition du bien par l’investisseur écoulés, le conjoint pourra disposer du bien de remplacement et ainsi réaliser la perte qui avait été initialement refusée à l’investisseur. La réalisation de cette perte apparente aura eu pour effet de compenser l’imposition de tout gain en capital réalisé par le conjoint pour l’année.

3- Échange de parts de fonds commun de placement

Lorsqu’un investisseur désire réaliser des pertes en capital latentes sur des placements détenus au sein d’une fiducie de fonds commun, d’une société de fonds commun ou dans un fonds négocié en Bourse (FNB), une stratégie efficace pour éviter les règles de pertes apparentes consiste à vendre le placement accusant la perte en capital, puis faire l’acquisition d’un autre détenu dans un fonds équivalent, mais dans une structure différente de celle dans laquelle était détenu le placement ayant fait l’objet de la disposition.

Plus précisément, si le placement initial était détenu dans une fiducie de fonds commun, l’investisseur pourrait en disposer et faire l’acquisition d’un autre dans un fonds équivalent détenu dans une société de fonds commun ou encore dans un FNB.

Compte tenu du fait que les fiducies, les sociétés et les FNB sont structurés de façon différente, les placements détenus dans chacun de ces fonds ne seraient pas considérés comme étant des biens identiques et ainsi, les règles de pertes apparentes ne seraient pas applicables en cas d’échange.

4- Fonds négociés en Bourse

Pour les investisseurs détenant des parts dans un FNB ayant des pertes en capital latentes, les règles de pertes apparentes devraient être une question préoccupante. Pour pouvoir en tirer parti tout en évitant les règles de pertes apparentes, ils peuvent vendre leurs parts détenues dans un FNB et racheter de nouvelles parts d’un FNB qui tente de reproduire un indice de référence similaire, mais différent de celui de l’investissement initial.

Tel que suggéré par l’ARC, si un contribuable vend les parts d’un fonds indiciel, tel un FNB, lequel tente de reproduire l’indice des 300 compagnies d’une industrie particulière, puis rachète, à l’intérieur de la période de référence de 61 jours, des parts d’un autre fonds indiciel, lequel tente de reproduire l’indice de 150 compagnies de la même industrie, les parts des deux fonds ne seront généralement pas considérées comme étant des biens identiques.

Enfin, changer de fournisseur de FNB pour un autre offrant une exposition au risque similaire, mais qui utilise des stratégies et des structures différentes, peut s’avérer une stratégie fiscale efficace pour éviter l’application des règles de pertes apparentes. Nonobstant ce qui précède, agir avec prudence sera de mise puisque la question de savoir si deux placements sont des biens identiques en est une de fait, laquelle dépendra essentiellement des caractéristiques propres à chaque placement.

Tel que le démontrent les stratégies fiscales abordées ci-haut, quoique plusieurs investisseurs font face à la dure réalité des pertes en capital en ces temps de bouleversements causés par le coronavirus, les pertes en capital peuvent devenir des outils de planification fiscale efficaces qui leur permettront de se retrouver en situation financière avantageuse.

Lorsque la vie vous donne des pertes fiscales… faites-en de la limonade!


Guerlane Noël, CPA, CGA, D.E.S.S. (Fisc.), est directrice, Planification fiscale et successorale, à Placements Mackenzie.

Guerlane Noël