Fonds communs : la cote de risque critiquée

Par Jean-François Parent | 17 août 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Mesurer le risque posé par un fonds commun avec l’écart-type est « vide de sens », soutient le gestionnaire de portefeuille Dan Hallett.

C’est pourtant cette mesure que les régulateurs s’apprêtent à mettre de l’avant, épaulés en ce sens par les manufacturiers de fonds canadiens.

En janvier dernier, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) publiaient un avis expliquant qu’on favorisait « l’écart-type comme indicateur de risque ».

Les régulateurs font valoir que c’est la mesure qui réunit le plus grand consensus dans l’industrie et qui permet de fournir aux investisseurs, dans l’aperçu du fonds, une évaluation du risque significative et facile à comprendre.

Le mois dernier, l’Institut canadien des fonds d’investissement (IFIC) publiait ainsi un « guide volontaire » de classification du risque en utilisant l’écart-type, qui mesure la dispersion du rendement par rapport à sa moyenne.

MESURER AUTREMENT

Cependant, pour un investisseur lambda qui se questionne sur le risque de son investissement, « l’écart-type ne suffit pas et est une mesure vide de sens », s’insurge le gestionnaire de portefeuille ontarien Dan Hallett dans un récent billet de blogue.

Pour l’associé principal et vice-président du gestionnaire de fortune Highview Financial, « l’écart-type ignore totalement l’importance des pertes subies par un fonds, et ne donne aucune indication sur son rendement lors des marchés baissiers », explique-t-il en entrevue avec Conseiller.ca.

L’écart-type illustre la volatilité passée d’un fonds. Cette volatilité diminue lors des marchés haussiers, et augmente en période de déclin. Si le marché est stable depuis deux ou trois ans, le risque du fonds sera abaissé.

Le hic, c’est que cela n’offre aucune indication du risque réel posé par l’investissement. Il convient plutôt d’intégrer le rendement du fonds pendant les périodes troubles, et ce, sur une période d’au moins dix ans.

EXEMPLES FRAPPANTS

Dans son billet paru le 22 juillet dernier, Dan Hallett a ainsi analysé six fonds ayant abaissé leur cote de risque dans la dernière année. « Ces six fonds ont perdu en moyenne plus de 20 % de leur valeur dans le dernier marché baissier – à la suite de la crise de 2008 –, et ont mis deux ans et demi à se sortir la tête de l’eau. Je ne connais aucun investisseur qui estime que cela n’est pas risqué », explique-t-il.

Quelques autres fonds requalifiés avec un risque « faible à moyen » ont quant à eux perdu près de la moitié de leur actif et mis au moins cinq ans à retrouver leur valeur d’avant la crise de 2008.

Par ailleurs, un fonds qui vient de subir un épisode haussier devient davantage risqué, dans la mesure où une correction à la baisse devient de plus en plus probable. De cela, l’écart-type ne dit rien. « C’est pourtant ce risque de perte qui empêchera l’investisseur de dormir », ajoute Dan Hallett.

PAS DE MESURE UNIQUE DU RISQUE

« Le débat entre praticiens et académiciens sur la meilleure mesure de risque dure depuis longtemps », explique l’analyste Jean Maltais, spécialiste du risque et fondateur du cabinet Finalytix.

Il existe une dizaine de mesures du risque, chacune ayant ses forces et ses faiblesses. « Les mesures quantitatives de risque sont importantes, mais ne constituent qu’un seul aspect. C’est pourquoi une analyse qualitative complémentaire doit être effectuée », explique-t-il.

Il fait valoir que l’objectif des manufacturiers n’étant pas le même que celui de l’investisseur ou du courtier qui offre les fonds communs, il est audacieux d’utiliser l’auto-évaluation des manufacturiers pour proposer des fonds respectant la tolérance au risque d’un client.

« Même si les chiffres sont correctement calculés, le contexte, la période et le type de mesure, une fois mis ensemble, peuvent aboutir à des conclusions aberrantes », poursuit Jean Maltais.

Il cite l’exemple d’un courtier ayant voulu améliorer la mesure du risque fournie par un manufacturier pour s’assurer que les placements offerts correspondaient bien au profil de ses clients. « J’ai relevé des problèmes majeurs avec cette méthodologie. Ainsi, des fonds d’actions asiatiques affichaient le même faible risque que des fonds monétaires! »

L’IFIC RÉPOND

« Nous mettons l’industrie en garde contre l’utilisation de l’écart-type comme indicateur mur-à-mur », se défend Jon Cockerline, directeur de la recherche à l’IFIC.

Se disant d’accord avec la critique formulée par Dan Hallett, il insiste sur le fait que le document de l’IFIC n’est qu’un guide à partir duquel il faut aller plus loin.

« Et puis, ça fait quand même dix ans qu’on travaille là-dessus », relate Jon Cockerline, soutenant par le fait même que l’écart-type comme mesure du risque n’est pas sorti de nulle part. « C’est le résultat d’une longue réflexion émanant de plusieurs experts. »

L’IFIC croit par ailleurs que l’industrie se retrouve coincée entre l’arbre et l’écorce. « Les régulateurs insistent sur une mesure unique du risque, simple à comprendre pour les investisseurs, alors que tout le monde sait qu’une telle mesure n’existe pas. »

« C’est un peu facile de rejeter la faute sur les régulateurs, rétorque Dan Hallett. La vraie question est plutôt de savoir si ça a du sens pour les investisseurs. Et la réponse est non. »

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Jean-François Parent