Fonds éthiques : investisseurs conscientisés cherchent placements responsables

Par Ronald McKenzie | 7 octobre 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
8 minutes de lecture

Avec l’an 2000, de nombreuses personnes reverront certaines façons de faire et de penser. Elles seront proactives. La réorientation de leur portefeuille de placement pourrait bien être l’un des premiers gestes concrets qu’elles poseront. Investir, oui, mais pas dans les forestières irresponsables, ni dans Monsanto, encore moins dans Nike…

L’an 2000? Le monde y arrive dans un piteux état!» a lancé cet auditeur lors d’une tribune téléphonique à la radio l’hiver dernier. «Les prouesses technologiques nous étourdissent chaque jour, mais nous sommes impuissants à régler des problèmes élémentaires de pollution ou de faim dans le monde. Quelle déception! Nous avons beaucoup de chemin à faire.»

Ce type de commentaire est revenu comme un leitmotiv durant les célébrations qui ont entouré le passage à l’an 2000. Le nouveau millénaire n’apporte pas que de bonnes nouvelles. Les gens semblent prendre conscience de l’urgence de la situation, et c’est par des gestes concrets qu’ils manifestent leur opposition à l’ordre des choses.

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Depuis quelques mois, par exemple, le député bloquiste Paul Crête mène une campagne pour introduire sur la colline parlementaire à Ottawa du «café équitable», produit dans des conditions de travail raisonnables pour les employés, sans exploitation d’enfants et dans le respect de l’environnement.

Que penser de l’impact du film coup de poing L’Erreur boréale sur les détenteurs d’actions de grandes sociétés forestières? Ou de la dénonciation tous azimuts, par Greenpeace, des OGM, les organismes génétiquement modifiés? Ou du boycott international du géant Nike, le roi des baskets?

L’INVESTISSEMENT ÉTHIQUE AUX ÉTATS-UNIS

Le mouvement pour l’investissement responsable est en plein essor aux États-Unis. Selon le Social Investment Forum, l’actif des fonds communs «éthiques» et «verts» est passé de 96 à 154 milliards de dollars US entre 1997 et 1999. C’est une hausse de plus de 60 %!

Il faut dire que, en matière de placements, les Américains ont une tradition de déontologie qui remonte jusqu’aux Quakers au XVIIIe siècle, qui n’avaient pas le droit d’investir dans l’industrie de l’armement ou le trafic d’esclaves.

Aujourd’hui, les investisseurs américains ont accès à une masse de renseignements que diffuse notamment le Social Investment Forum sur son site Web. Ils sont aussi représentés par un porte-parole bien en vue, Amy Domini, qui dirige le populaire fonds Domini Social Equity Fund. Ils disposent également du Domini Social Index, un indice de 400 grandes sociétés «filtrées» selon des critères sociaux, environnementaux et éthiques. Enfin, ils ont accès à plus de 100 fonds communs éthiques dont certains sont très spécialisés. Par exemple, le fonds New Alternatives investit dans des entreprises qui font de la recherche et du développement dans le domaine de l’énergie solaire ou éolienne, qui mettent en marché des aliments issus de l’agriculture biologique, des produits fabriqués à l’aide de matériaux recyclés, etc.

ÇA BOUGE AU CANADA

De ce côté-ci de la frontière, l’industrie des fonds éthiques est encore loin d’égaler celle des Américains. On note toutefois une progression constante du secteur. En 1989, l’actif sous gestion se chiffrait à 102 millions de dollars. En 1997, il atteignait 2,2 milliards de dollars. Aujourd’hui, il dépasse les 4 milliards.

Sylvie LaurinFinancière Banque Nationale conseillère spécialisée en investissement éthiquePrésidente du Réseau des femmes d’affaires de Québec

«Et ce n’est pas terminé», dit Sylvie Laurin, conseillère en placement à la Financière Banque Nationale et l’une des rares au Québec à se spécialiser en investissement éthique. «Les gens veulent savoir où ils placent leur argent, et ils posent de plus en plus de questions.»

Pour la Fiducie Desjardins, la tendance est assez forte pour qu’elle lance en janvier dernier trois fonds éthiques (revenu, équilibré, actions nord-américaines) qui s’ajoutent au fonds Desjardins Environnement. La Corporation financière Mackenzie lui a emboîté le pas une semaine plus tard en introduisant le fonds Universal Ethical Opportunities.

Cela aura-t-il un effet d’entraînement? Rien n’est moins sûr. Les grandes sociétés de fonds communs avec lesquelles nous avons communiqué (AGF, Altamira, Talvest, Trimark, Fidelity) ont dit que le lancement de fonds socialement responsables ne figurait pas parmi leurs priorités à court terme. La Banque Nationale, elle, attend de voir comment se comporteront les ventes des nouveaux fonds de Desjardins avant de prendre une décision.

S’ils veulent se faire connaître des investisseurs, les fonds éthiques devront livrer la marchandise, c’est-à-dire produire du rendement.

«Ce sont les gros performers qu’on met en évidence dans la publicité, dit John Kaszel, de l’Institut des fonds d’investissement du Canada. En 1999, ce sont les fonds de haute technologie qui ont volé la vedette.»

John KaszelDirecteur de la recherche à l’IFIC. «Les fonds éthiques sont certes un créneau très prometteur. Il s’agit là d’une démonstration manifeste de l’aptitude innovatrice et dynamique que possède l’industrie des fonds de placement à répondre aux besoins des investisseurs.»

La société YMG Capital Management lui donne raison. Son fonds éthique Développement soutenu, lancé le printemps dernier, n’apparaît même pas dans une importante réclame publiée dans le Report on Mutual Funds du Globe and Mail de janvier 2000! Difficile, dans ces conditions, d’attirer les investisseurs. «De plus, les représentants font mousser les produits vedettes, car ils génèrent plus de ventes que les autres», précise Dan Richards, président de Marketing Solutions.

Or, du point de vue du rendement, les fonds éthiques ont une pente à remonter. Comme on peut le constater dans le tableau de la page 17, seule une poignée d’entre eux réussissent à battre régulièrement la moyenne. Évidemment, ces performances ordinaires ne passent pas inaperçues. Encore cette année, le journal Investor’s Digest of Canada demeure tiède à l’égard des fonds éthiques. Au géant Investors Summa, qui affiche pourtant une feuille de route exemplaire, il reproche d’imposer des restrictions artificielles qui pourraient nuire au rendement. Si le secteur des ressources poursuit sa lancée, souligne le journal, ce fonds pourrait manquer le coche.

PAS JUSTE LES FONDS COMMUNS

Il est aussi possible que des investisseurs demeurent sceptiques vis-à-vis des critères qui guident les fonds socialement responsables. Ainsi, un gestionnaire peut exclure des entreprises polluantes, mais en même temps tolérer des sociétés qui font affaire avec des états répressifs. Il arrive également que le fonds change de philosophie en cours de route. C’est le cas d’Investors Summa. Au départ, il bannissait toute entreprise oeuvrant dans le secteur des ressources naturelles. Aujourd’hui, Investors Summa détient des titres de Petro-Canada, car le gestionnaire applique maintenant une démarche «par secteur». Cela consiste à chercher, dans chacun des grands secteurs du TSE 300, les titres des entreprises les plus performantes d’un point de vue éthique. Plusieurs analystes qualifient ironiquement cette approche de «politique du moins pire».

Michael Jantzipréside sa propre firme de recherche spécialisée dans l’analyse des placements éthiques. Plus de 500 firmes sont répertoriées par son service de recherche. Pour 50$, vous obtenez le profil éthique de l’une de ces entreprises.

«Si les investisseurs ne sont pas à l’aise avec les fonds éthiques, ils peuvent se bâtir un portefeuille d’actions et d’obligations de sociétés qui cadreront avec leurs valeurs», propose Sylvie Laurin. En sélectionnant des titres individuels, on ne retient que les entreprises qui font réellement notre affaire. Mais comment obtenir le profil éthique d’une firme? En faisant appel à des agences spécialisées.

L’une des plus connues, Michael Jantzi Research Associates [(416) 861-0403 ou jra@web.net], met à la disposition de ses clients une base de données pour l’investissement social, à laquelle sont abonnés les fonds communs «verts» ou éthiques, de même que plusieurs grandes caisses de retraite et gestionnaires privés de portefeuille. Quelque 500 entreprises y sont répertoriées. On peut aussi se procurer, pour 50 $, le profil éthique d’une entreprise.

Une autre agence, EthicScan Canada [(416) 783-6776 ou www.ethicscan.on.ca], vend des rapports détaillés sur quelque 1 500 firmes canadiennes. Y sont examinés la performance environnementale de l’entreprise, l’état de ses relations de travail, son engagement social et communautaire, etc. EthicScan Canada est également liée à l’organisme CSRindicators.com, qui vend par Internet le profil éthique de grandes entreprises canadiennes. Au moment de mettre sous presse, il était possible de télécharger sans frais, à titre d’essai, le dossier de Dofasco sur le site www.CSRindicators.com.


• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2000 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Ronald McKenzie