Ils demandent la lune!

Par Jean-François Venne | 4 janvier 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les professionnels du conseil financier le savent bien, certains clients ont des exigences peu raisonnables, des attentes irrationnelles, voire des projets susceptibles d’anéantir leur épargne. Conseiller a recensé quatre de ces demandes incongrues parmi les plus courantes et les a soumises à l’analyse de Martine Berthelet. Gestionnaire privée des Fonds FMOQ inc, formatrice à l’IQPF et chargée de cours à HEC et l’UQÀM, elle a bien voulu discuter avec nous de ce qui se passe dans la tête de tels clients, et surtout de la meilleure approche à adopter dans ces situations.

DES RENDEMENTS MIROBOLANTS… SANS RISQUE Votre client souhaite un rendement mirobolant. Il rêve à du 12 ou 15 %. En revanche, il ne souhaite prendre aucun risque. La protection de son capital est cruciale à ses yeux.

D’où vient cette demande ?

« C’est vraiment un cas classique », admet Martine Berthelet. Et surtout un réflexe normal. Qui ne veut pas maximiser ses rendements et minimiser ses risques ? Il y a aussi le souvenir, encore vif chez certains, d’une époque où l’on pouvait décrocher des rendements de 12 % avec de simples obligations gouvernementales. « Les gens se rappellent de ces rendements, mais ont oublié le niveau d’inflation de l’époque, qui en rognait une bonne part », souligne la gestionnaire. Autre explication : l’incompréhension du lien entre volatilité et horizon de placement. « Certains clients s’entendent avec nous sur un horizon de placement de 10 ou 20 ans, mais si, après six mois, la valeur de leurs placements a baissé ou n’a pas connu la croissance souhaitée, ils paniquent et veulent tout changer », poursuit-elle.

Que faire ?

C’est un beau cas où le rôle de pédagogue du professionnel en conseil financier prend tout son sens, croit la gestionnaire. Pour bien leur expliquer la démarche, elle réfère souvent ses clients aux quatre « P », soit la prudence, la prévoyance, la périodicité et la patience. Elle donne des exemples concrets, graphiques à l’appui, pour qu’ils saisissent qu’il est impossible de ménager la chèvre et le chou, et que les rendements sont généralement proportionnels à la prise de risque. « Il s’agit surtout de leur faire comprendre la mécanique, dit-elle. Pourquoi ce lien existe-t-il entre risque et perspective de rendement ? » On peut prendre un exemple comme la Grèce, en leur expliquant que ce pays doit offrir des taux de rendement élevés, justement parce qu’il a de la difficulté à trouver des investisseurs en raison des risques de défaut. Il échange une perspective de rendement plus élevé qu’ailleurs contre un risque plus élevé qu’ailleurs. Un pays comme le Canada n’a pas à faire cela. Au contraire, il promet un placement fort sécuritaire, mais avec un rendement plus bas. Le client doit comprendre ce lien.

Le professionnel doit aussi bien choisir ses mots, et faire très attention de ne pas « beurrer trop épais ». S’il dit à son client que, dans le meilleur scénario, le placement pourrait donner un rendement de 12 %, il y a de fortes chances que celui-ci quitte le bureau en ne retenant que ce chiffre. Si le rendement plafonne à 5 ou 7 %, il sera déçu. « Mieux vaut rester prudent dans nos projections, estime Martine Berthelet. Il ne faut pas susciter de faux espoirs avec des projections trop optimistes. Mieux vaut avoir une belle surprise au bout du compte qu’une déception. » Martine_Berthelet_150

« Mieux vaut rester prudent dans nos projections. Il ne faut pas susciter de faux espoirs avec des projections trop optimistes.   »

Martine Berthelet

TOUS SES ŒUFS DANS LE MÊME PANIER Votre client vous annonce qu’il souhaite investir la totalité de son épargne dans un fonds d’actions chinois. Selon lui, la croissance chinoise a un potentiel illimité, tout comme les perspectives de rendement de ce fonds.

D’où vient cette demande ?

« La Bourse apparaît encore à plusieurs comme un casino où l’on peut faire un gros coup d’argent, rappelle Martine Berthelet. En rapportant des nouvelles sur la croissance de telle région du monde ou de telle industrie, les médias alimentent parfois les rêves de grandeur de certains investisseurs. Ces derniers interprètent mal ces informations, ou omettent d’autres concepts importants comme la diversification et l’horizon de placement. De la même façon, il y a toujours un ami ou un beau-frère pour prétendre avoir fait un gros coup d’argent à la Bourse. C’est normal que certains clients veuillent y avoir droit à leur tour. »

Que faire ?

Selon la formatrice de l’IQPF, la première question à poser est : « Êtes-vous prêt à tout perdre ? » Parce que c’est le risque que l’on court en plaçant tous ses œufs dans le même panier. Personne ne sait quand le rendement offert dans un secteur ou une région baissera, mais ce qu’on sait en revanche, c’est que les chances que ça continue d’aller bien éternellement sont minces. Encore ici, on est au cœur même du rôle de professionnel en conseil financier. C’est à lui de bien expliquer l’importance de la diversification. Le principe est simple : en répartissant bien ses billes, on diminue les risques de pertes importantes. Il est crucial de déterminer une politique de placement claire avec ses clients dès le départ. Cela ne veut pas dire qu’on doive combattre l’idée de notre client d’investir, par exemple, dans un fonds d’actions chinois. Mais il faut déterminer quelle proportion du portefeuille devrait s’y retrouver. De la même manière, il faut l’amener à éviter de tomber dans le piège de rester trop longtemps investi dans un placement. « Identifiez dès le départ un rendement cible, à partir duquel le placement sera revu, propose plutôt la gestionnaire. Par exemple, si la valeur d’une action ou d’un fonds d’actions grimpe de 25 %, ou dépasse le rendement prévu, on en vendra une partie pour profiter du gain et éviter de tout perdre quand la valeur baissera. Cela doit être prévu à l’avance, car l’enthousiasme suscité par un fort rendement n’est pas toujours bon conseiller. C’est ce qui fait que les gens s’y prennent souvent trop tard pour vendre. »

18 ans

C’est la durée moyenne de la relation entre un client et un conseiller au Canada. Source : sondage Pollara 2011

MON BEAU-FRÈRE A DIT QUE… Votre cliente de 75 ans, dont le plan de retraite démontre un surplus, insiste pour investir la totalité de ce surplus dans des actions à la Bourse, sur les conseils de quelqu’un de son entourage.

D’où vient cette demande ?

L’influence de l’entourage se fait souvent sentir chez les investisseurs, notamment les plus âgés. Parfois, les conseils sont donnés de bonne foi, mais il arrive aussi qu’il y ait des intérêts en jeu.

Que faire ?

Le rôle du professionnel en conseil financier est aussi de protéger ses clients. Ainsi, la première étape est vraiment d’éclaircir la question avec la cliente. Pourquoi veut-elle faire ce placement ? D’où lui est venue l’idée ? Que veut-elle faire des fruits de ses placements ? « Peut-être veut-elle s’assurer d’avoir un montant suffisant pour se payer des soins lorsqu’elle sera plus âgée, ce qui est tout à fait compréhensible, note Martine Berthelet. Mais si elle vous parle d’acheter une nouvelle voiture, alors qu’elle ne conduit pas, vous pouvez vous poser des questions ! »

Selon elle, il ne faut pas déroger sans raison du profil d’investisseur établi avec la cliente. Il faut le revoir avec elle. Est-elle à l’aise avec le risque d’un tel placement ? Y a-t-il vraiment de bonnes raisons de courir ce risque ? Peut-être que des gens autour lui soulignent qu’elle ne fait pas un très fort rendement, mais a-t-elle besoin d’ajouter 2 ou 3 % de rendement si cela vient augmenter le risque ? « N’oubliez pas que si vous faites un placement peu justifié par rapport au profil du client, une plainte peut être déposée contre vous », souligne Martine Berthelet. Cette dernière prend parfois rendez-vous chez un tel client pour se donner une meilleure idée du contexte dans lequel cette demande de placement est faite. Il peut être intéressant aussi, dans certains cas, de discuter avec la personne qui donne ces « conseils », ce qui aide à évaluer s’ils sont offerts de bonne foi ou non.

« Le plus important, c’est le lien de confiance qu’un client peut établir avec un tel professionnel, et la capacité de ce dernier à organiser une stratégie financière correspondant à son profil d’investisseur.  »

Martine Berthelet

À LA RECHERCHE D’UN CONSEILLER QUI PRÉDIT L’AVENIR Un client cherche un professionnel du conseil financier qui liquide toujours un placement juste avant que ça baisse et achète toujours juste avant que ça grimpe.

D’où vient cette demande ?

Certains clients comprennent mal le rôle des professionnels du conseil financier, confondant allègrement connaissance des marchés financiers et boule de cristal.

Que faire ?

Il faut rapidement faire comprendre aux clients que personne n’est devin. Il est impossible de connaître à l’avance quand la valeur d’un placement montera et quand elle baissera. Ceux qui tentent de « synchroniser » le marché ratent très souvent leur coup. « Pour pallier la déception que cette annonce causera à certains, il peut être intéressant de présenter une autre démarche permettant de bonifier les rendements : la périodicité, suggère Martine Berthelet. En prévoyant des versements automatiques réguliers, une bonne partie des achats se fera quand la valeur du placement est plus basse. À long terme, cela permet d’augmenter le rendement. » Cela évite aussi de tomber dans un autre piège, celui d’acheter et vendre à répétition. Ce qui entraîne des frais rognant les rendements, et rend plus vulnérable aux mauvais placements.

Le client doit surtout comprendre que le service d’un professionnel du conseil financier n’a peut-être pas tant à voir avec le rendement comme tel. « Le plus important, c’est le lien de confiance qu’il peut établir avec un tel professionnel, et la capacité de ce dernier à organiser une stratégie financière correspondant à son profil d’investisseur, sa tolérance au risque, ses besoins et sa fiscalité, selon Mme Berthelet. Bref, le client n’achète pas du rendement, mais des compétences. »


• Ce texte est paru dans l’édition de décembre 2015 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Jean-François Venne