30 ans de bons sévices

Par Priscilla Franken | 2 novembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
5 minutes de lecture
dphiman / 123RF

<< Page précédente

L’EX-CONSEILLER AVAIT-IL DE BONNES RAISONS DE SE MONTRER SI CONFIANT?

Sa carrière, qui débute en 1969, n’est pourtant pas un long fleuve tranquille. Outre les différentes plaintes de clients susmentionnées et la première condamnation de 2003 à son actif, M. Thibault a été accusé par Empire d’avoir commis plusieurs fraudes successives entre 1986 et 2001 en effectuant des dépôts fictifs dans trois polices d’assurance vie dont il était propriétaire. Il a ainsi pu retirer, au fil des années, près de 9 millions de plus que la valeur réelle des trois polices en question. Pour arriver à ses fins, il soudoyait des employés de l’assureur… Poursuivi par Empire dès 2004, il sera condamné à verser 35,8 millions de dollars à la compagnie pour détournement de fonds en octobre 2012.

En parallèle, il est poursuivi au civil par Marie et Pierre Audet à partir de novembre 2003, relativement aux polices qu’il leur a vendues en 1998. « Le défendeur a berné et a mal conseillé les demandeurs dans le présent dossier. De toute évidence, le conseiller J.A. Thibault fait passer ses intérêts personnels avant ceux de ses clients. Il s’agit à mon avis d’un abus de confiance flagrant et d’un manque d’objectivité évident de la part du défendeur », écrit Jean Turcotte, expert en matière d’assurance vie, dans son rapport d’expertise daté du 7 mars 2005.

Cette saga judiciaire s’étirera elle aussi jusqu’à la fin de 2012 : le 27 septembre, c’est la Lloyd’s, en tant qu’assurance professionnelle de M. Thibault, qui se verra condamnée à verser 500 000$ chacun à Marie et Pierre Audet.

DEUX FAILLITES PLUTÔT QU’UNE 

Conseiller a aussi découvert que M. Thibault, bien avant sa faillite retentissante de novembre 2012 (75 000 000 $), a fait une première faillite en avril 2004 (13 000 000 $), pour laquelle Marie et Pierre Audet apparaissent sur la liste des créanciers.

Il n’a été libéré de cette faillite qu’en juillet 2008 mais entre-temps, il a poursuivi ses activités professionnelles. Comme il ne s’agissait pas d’une faillite personnelle mais de la faillite de son entreprise, M. Thibault a pu empocher des millions de dollars de commissions issues de la vente d’une trentaine de polices BMO Assurance entre avril 2004 et début 2008 sans avoir à verser un seul cent à ses créanciers.

Durant cette même période et au-delà, il s’est offert les services de différents avocats pour batailler avec acharnement contre Empire et les Audet. Il a aussi multiplié les appels contre la décision de radiation prise par le comité de discipline de la CSF en 2003. Des efforts qui porteront fruit puisque ladite radiation sera réduite d’un an à six mois et ne deviendra effective que le 16 février 2008.

« Cette entreprise n’avait rien à voir avec mes activités en tant que conseiller. C’était une compagnie d’immeubles. Il y avait juste des actions dans cette compagnie », déclare M. Thibault à Conseiller. Pourtant, c’est bien par l’entremise de cette entreprise qu’il détenait un contrat de représentant avec AIG.

SPÉCULATION SUR LA VIE DE PLUSIEURS PERSONNES 

Conseiller a également pu consulter une liste dressée par M. Thibault à la fin de 2010 contenant une dizaine de noms d’anciens clients à lui assurés sur la vie par des polices dont il est lui-même propriétaire et bénéficiaire ou qui sont la propriété de la Fiducie Claudette Hallée (il s’agit du nom d’une ancienne adjointe de M. Thibault), dont il est fiduciaire et ses deux filles Julie et Nadia, bénéficiaires.

Selon cette liste, la majorité de ces clients sont âgés de 70 à 88 ans. Cinq personnes ont deux polices sur leur vie, ce qui nous mène à un total de 16 contrats, pour un montant global de 22 025 000 $. Les assurances ont été émises par différentes compagnies : BMO, Empire, Canada-Vie, Sun Life, Manuvie et Transamerica.

Les filles de M. Thibault, Julie et Nadia, sont bénéficiaires de sept de ces polices à hauteur de 50 % chacune, selon le même document.

Il n’y a certes rien d’illégal dans le fait de posséder des assurances sur la vie d’autrui, mais M. Thibault le faisait à l’insu des personnes concernées lorsqu’il les achetait via sa fiducie. C’est ce qui s’est passé pour M. Duval et le comité de discipline de la CSF a considéré qu’il s’agissait d’une infraction au code de déontologie, puisqu’il s’est placé dans une situation de conflit d’intérêts.

Contactée par nos soins, un ancien client de M. Thibault qui apparaît sur la liste affirme qu’il ignorait totalement lui aussi que ce dernier toucherait une somme importante à son décès. Le capital assuré pour cette personne s’élève à plusieurs millions de dollars.

Selon M. Thibault, toutes les personnes qui figurent sur la liste sont d’anciens associés, à l’exception d’un ou deux.

Cette stratégie d’enrichissement a déjà fait ses preuves et elle ne date pas d’hier. Renaud Turcotte, ancien client de M. Thibault, est décédé le 31 décembre 2009. Propriétaire et bénéficiaire d’une assurance sur la vie de celui-ci, l’ex-représentant réclamera 800 000 $ à Empire dès le 10 janvier 2010.

« De mémoire, il avait acheté cette police au milieu des années 80 pour cautionner un prêt. Quand il a remboursé sa dette, il a revendu la police à M. Thibault pour 20 000 $. Il savait que M. Thibault était bénéficiaire car il m’a dit un jour quelque chose comme ‘J’en connais un qui va être content quand je partirai’ », témoigne un membre de la famille de M. Turcotte.

Page suivante >>


Notre dossier sur l’affaire Thibault :

  • BMO Assurance protégeait-elle un top producer véreux?
  • Plusieurs autres clients lésés
  • 30 ans de bons sévices
  • « C’est pire que Norbourg! »
  • Pour AIG, « seules les commissions comptaient »
  • L’AMF a-t-elle trop tardé à agir?
  • Des crimes qui n’intéressent personne?
  • Un goût prononcé pour les gros chiffres

Priscilla Franken