À la croisée des chemins

16 mars 2015 | Dernière mise à jour le 16 mars 2015
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Les agents généraux sont à un carrefour. Pour les uns, la problématique de la relève devient synonyme de consolidation. Les autres doivent refaire la démonstration de la valeur ajoutée qu’ils apportent.

Larry Bathurst illustre bien les questions qui se posent présentement sur l’avenir des agents généraux. Cet associé à Planex Solutions financières compte plus de 36 ans dans la profession. « Les agents généraux ont vu le jour durant la décennie 1970. En réponse à la pression s’exerçant sur les coûts, les assureurs voulaient faire affaire avec des autonomes. Mais depuis, avec l’évolution de la réglementation, avec l’accent mis sur la conformité, avec l’exigence d’un volume minimum ou encore l’uniformisation accrue en distribution, je ne suis pas très optimiste quant à leur avenir à moyen ou long terme. Du moins, seuls les plus gros agents généraux vont survivre. Et ils seront tellement gros qu’en cas de vente, seul l’assureur lui-même sera l’acheteur. »

Larry Bathurst tient à préciser qu’il donne, ici, une opinion bien personnelle. Et selon son expérience, dont 20 ans passés à SFL, il y a plus d’encadrement, de formation et d’assistance au développement à l’intérieur des réseaux.

En assurance, les ressources spécialisées ou les systèmes plus complexes se retrouvent au sein des assureurs, ajoute-t-il. « Être totalement indépendant pose un défi. Il y a un dosage à faire entre l’autonome et l’exclusif », conclut-il.

VALEUR AJOUTÉE

Frédéric Perman répond à ce questionnement en réaffirmant sa croyance en la capacité de l’agent général à se repositionner. « Il nous faut travailler avec des méthodes de 2015, en adéquation avec notre client conseiller », dit le vice-président, développement des affaires, à Financière S_entiel, un cabinet jouant le rôle d’agent général depuis 30 ans. Il rappelle que nombre d’agents généraux s’étant lancés en affaires dans les années 1980 voient leurs dirigeants atteindre l’âge de la retraite. « En fin de parcours, des ventes s’opèrent », dit-il, évoquant une problématique de relève dans l’industrie de l’assurance qui peut expliquer le vaste mouvement de consolidation que l’on voit présentement parmi les agents généraux.

Parallèlement, « il faut travailler avec des conseillers plus jeunes. On ne peut donc plus se contenter de n’être qu’un pourvoyeur de produits et services et de se concentrer sur les impératifs de conformité des conseillers clients. Nous devons élargir notre offre, épouser le modèle de chef d’orchestre ». Frédéric Perman parle d’un rôle de consultant, de guide, de coach, de seconde opinion dans la transmission des blocs d’affaires mais aussi dans le développement des affaires des conseillers, dans un environnement dominé par la technologie, les applications mobiles et la numérisation.

Il défend cette valeur ajoutée qu’offre un mélange généralistes-spécialistes. « Nous pouvons participer au processus de renouvellement de l’élite, en corrélation avec les besoins de la génération Y », donne-t-il en exemple.

Le thème de valeur ajoutée est repris par Denis Plante, président de Sage, Les Conseillers en avantages sociaux. « L’agent général permet d’obtenir des produits exclusifs ou des concepts de vente ou fiscaux qu’un conseiller, seul, ne pourrait s’offrir. Et son volume de primes lui permet une meilleure négociation et une meilleure tarification. S’ajoutent la notion de services spécialisés, voire d’une expertise particulière, de même que le rôle de l’agence dans la formation continue. »

RETOUR HISTORIQUE

Larry Bathurst l’a évoqué. Le modèle de distribution par agence générale a pris naissance au Québec au début des années 1970. À cette époque, « la distribution des produits et services d’assurance individuelle répondait à l’approche traditionnelle de l’agence de carrière, soit un agent représentant une compagnie d’assurance », peut-on lire dans un mémoire préparé par un groupe de travail des agences générales et déposé auprès des autorités de réglementation et d’encadrement en mai 2012.

La croissance de la distribution par agence générale a véritablement pris son envol au Québec au milieu des années 1990. On se retrouvait dans une conjoncture où les coûts du réseau traditionnel augmentaient de façon importante. Les assureurs cherchaient alors une formule de distribution plus souple leur permettant de réduire leurs coûts fixes et leurs dépenses en capital. Ces mêmes assureurs ouvraient alors leur gamme de produits jusqu’alors réservée à des agents exclusifs. « Ainsi, la deuxième moitié des années 1990 a donné lieu à un transfert important des représentants, force de vente du réseau traditionnel des agences de carrière, vers des agences générales », poursuit le mémoire.

Mais depuis le début des années 2000, l’industrie de distribution par agence générale s’est beaucoup transformée. D’autant qu’il faut situer le tout dans un contexte de spécificité québécoise. Yves Gosselin, vice-président chez le spécialiste en logiciels Solutions Ageman, retient que « dans le reste du Canada, le concept d’agence générale se veut plus institutionnalisé, proposant un parrainage plus près du captif que du courtage ». L’agent général est davantage confiné à un rôle de soutien administratif complémentaire alors qu’au Québec, la notion de courtage s’est implantée plus rapidement.

Yves Gosselin rappelle que l’encadrement se veut différent ici, avec un modèle de rattachement en distribution tendant à se rapprocher de celui observé en épargne collective. Cela peut s’avérer potentiellement plus coûteux pour les assureurs, les incitant à exercer une pression accrue sur les agences.

Et, de rappeler le mémoire, « dans la presque totalité des cas, une agence générale est inscrite comme un cabinet au sens de la Loi sur la distribution de produits et services financiers : une société constituée agissant comme intermédiaire entre l’assureur, avec qui elle conclut une entente de distribution de produits, et les représentants, cabinets et sociétés autonomes, avec qui elle fait affaire. Les fonctions des agences générales lui sont donc déléguées par une entente commerciale; ultimement, l’assureur est responsable ».

GESTION DE LA CONFORMITÉ

Ce faisant, ne serait-ce qu’en conformité, les assureurs ne manquent pas de rappeler aux agences qu’elles sont, en réalité, « le témoin de l’assureur sur le terrain ». Sélection, évaluation, suivi et contrôle selon le principe de « bien connaître son conseiller » doivent composer l’univers de conformité des agences générales, souligne l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes dans un document de référence daté du mois d’août 2014.

Hausse des coûts de conformité et de la technologie, exigences accrues des assureurs et rétrécissement des marges bénéficiaires : les agences générales se sont mises en quête d’économies d’échelle, sous l’action de consolidateurs. Ces regroupements ont été accompagnés d’un élargissement de la gamme des produits et services offerts. « Par cette intégration horizontale, les agences offrent aujourd’hui des fonds communs de placement, des fonds distincts, divers autres produits d’épargne et de crédit, de l’assurance collective, de l’assurance IARD, des services de planification financière, etc. », poursuit le mémoire.

Ainsi, à l’instar du reste du Canada, le Québec a connu une importante consolidation des agences générales, où leur nombre s’est réduit de moitié. Aujourd’hui, « on en dénombre une vingtaine », chiffre Frédéric Perman. « Cinq dans l’assurance collective, une quinzaine dans l’assurance individuelle », renchérit Denis Plante.

CLÉ DE VOÛTE

Il reste qu’aux yeux de plusieurs, l’agence demeure la clé de voûte de la distribution par courtage. Dans leur mémoire, les agences estiment que plus de 40 % des primes d’assurance individuelle et des nouveaux dépôts en fonds distincts passent par leur canal de distribution. Ce segment distribution affiche un taux de croissance annuelle de près de 10 % depuis plusieurs années. En 2013, selon les données de Life Insurance Marketing and Research Association (LIMRA), les ventes des réseaux indépendants ont dépassé celles des réseaux captifs en matière de nouvelles primes en assurance de personnes, un écart expliqué essentiellement par l’offre de produits des agents généraux.

Mais la pression financière étant, « il faut s’attendre à une certaine forme de polarisation », croit Yves Gosselin. Il entrevoit un univers des agences générales divisé entre les grosses entités, desservant entre 1 500 et 2 000 conseillers, et les firmes spécialisées alimentant entre 150 et 200 conseillers et jouant d’efficacité et de créativité. « Entre les deux, il sera difficile de survivre », soutient-il.

Consolidation, fusion, partenariats et acquisitions apparaissent au menu dans une industrie constituée de dirigeants vieillissants et souffrant d’une relève déficiente. Aux yeux de Denis Plante, une institution financière désireuse de percer le marché québécois pourrait épouser la logique de l’acquisition d’une agence afin d’obtenir cette culture ou cette façon de faire québécoise plutôt distinctive, sans négliger le fait qu’elle sera confrontée à la notion de l’indépendance. Dans le segment entreprises, « la tendance est aux ventes croisées. On peut très bien imaginer un cabinet en ressources humaines vouloir combiner assurance collective et avantages sociaux », donne-t-il en exemple.

« Il devient de plus en plus difficile d’aller chercher la masse critique », ajoute le président de Sage. « C’est vrai dans l’assurance individuelle et ça commence à se ressentir dans l’IARD de même que l’assurance collective », là ou Denis Plante s’active.

• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2015 de Conseiller. Pour télécharger le PDF, cliquez ici. Cliquez ici pour consulter l’ensemble du numéro.