Affaire KPMG : des preuves détruites?

Par La rédaction | 1 juin 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Alors que le gouvernement fédéral avait ordonné à KPMG de conserver tous les documents relatifs à son stratagème fiscal à l’île de Man, des sociétés liées au cabinet comptable ont au contraire exigé leur destruction, rapporte Radio-Canada.

À l’automne 2012, le ministère de la Justice avait envoyé à la firme comptable un « avis de conservation de documents » concernant ses activités dans ce paradis fiscal situé entre l’Irlande et la Grande-Bretagne, car elle la soupçonnait d’avoir mis sur pied une stratégie pour cacher les fortunes de (très) riches clients, indique la chaîne publique d’information.

Malgré cela, quelques semaines plus tard, quatre sociétés qu’elle avait créées en 2002 pour le compte de milliardaires de Colombie-Britannique ont adopté des « résolutions extraordinaires » afin de détruire « livres, documents et tous papiers » se rapportant à ce dossier, précise le magazine Enquête, qui ajoute que l’avis du ministère de la Justice ne mentionnait cependant pas que les documents des clients de KPMG à l’étranger étaient concernés par cette mesure.

« ON SE TROUVE DANS UNE ZONE GRISE »

Après avoir consulté Jeff Filliter, un enquêteur en infractions commerciales de la Gendarmerie royale du Canada à la retraite, Enquête explique que celui-ci « se questionne sur la portée de l’avis envoyé par le ministère de la Justice à KPMG ». En effet, souligne l’expert, la difficulté, dans ce cas, est qu’on a affaire à deux juridictions différentes.

« Sa mise en application est dans une zone grise. Vous avez affaire à une juridiction qui pourrait ne pas coopérer et des gens se cachent derrière ça », confirme Jeffrey Kaufman, un avocat de Toronto consulté par Radio-Canada. Le juriste souligne par ailleurs que, sur le plan légal, rien n’obligeait le cabinet comptable à informer les sociétés de l’île de Man concernées de l’existence de l’avis du ministère de la Justice. « L’ensemble de KPMG doit se conformer aux lois canadiennes et agir dans le meilleur intérêt de leurs clients, soutient-il. Je ne connais aucune loi au Canada qui les aurait forcés à aviser leurs clients. »

En réponse aux questions de Radio-Canada, la firme comptable déclare qu’elle s’est conformée à ses obligations de conservation de documents, ajoutant qu’elle n’était pas propriétaire de ces compagnies. « Personne chez KPMG n’a été invité à détruire des documents » et « personne n’a conseillé une telle destruction », assure-t-elle. Pourtant, note la chaîne d’information, « les documents d’entreprises consultés (…) montrent que presque toutes les sociétés liées au stratagème de KPMG ont été dissoutes à la suite de l’enquête lancée par l’Agence du revenu du Canada [ARC] en 2012 ».

ÉVITER LES « CONTRAINTES » CANADIENNES

Les quatre sociétés de l’île de Man dont il est question sont liées à une riche famille de Colombie-Britannique, les Chan, dont la fortune est estimée à plus d’un milliard de dollars, affirme Enquête, qui précise que Caleb et Tom Chan sont « des philanthropes et des promoteurs immobiliers milliardaires bien connus dans l’ouest du pays ». Dans une lettre envoyée à Radio-Canada, leur avocat, Daniel Reid, affirme cependant qu’ils n’étaient pas au courant d’une éventuelle destruction de documents après que l’ARC eut ouvert une enquête et que leurs sociétés immatriculées dans l’île de Man eurent été utilisées à des fins philanthropiques.

Selon Enquête, certains documents internes de KPMG prouvent toutefois que le stratagème fiscal du cabinet comptable à l’île de Man « était également vendu à de riches clients pour éviter les “contraintes” des lois canadiennes encadrant les dons de bienfaisance ». Interrogé par la chaîne publique, le ministère de la Justice s’est refusé à commenter ce dossier, déclarant simplement qu’un « avis de conservation » est une lettre légale qui exige de celui qui la reçoit qu’il préserve les documents dont il est question.

La rédaction