Appel à une divulgation climatique harmonieuse

Par James Langton | 15 novembre 2022 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les autorités canadiennes de réglementation des valeurs mobilières (ACVM) reconsidèrent leurs propositions de divulgation des risques climatiques à la lumière des commentaires des entreprises et organisations canadiennes visant à aligner les règles sur les normes mondiales.

En octobre 2021, les ACVM ont été parmi les premières à présenter des propositions visant à renforcer les normes d’information sur le climat pour les sociétés ouvertes. Depuis, l’International Sustainability Standards Board (ISSB) a lancé et publié ses propres projets de normes et la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis est entrée dans la danse. Maintenant, les ACVM examinent comment ces initiatives peuvent affecter leurs propositions.

Les émetteurs canadiens, les gestionnaires d’actifs, les groupes commerciaux et d’autres intervenants ont présenté de nombreux mémoires dans le cadre des consultations de la SEC et de l’ISSB. La plupart des mémoires encouragent les divers organismes de normalisation à harmoniser leurs propositions.

« Idéalement, la SEC et les ACVM devraient aligner leurs exigences de déclaration sur les normes mondiales, comme celles proposées par l’ISSB, afin de favoriser la cohérence et la comparabilité des données », affirme l’Institut canadien des relations avec les investisseurs dans son mémoire à la SEC.

En outre, certaines soumissions ont fait remarquer que si des exigences divergentes ajoutaient des coûts de conformité pour les entreprises, elles n’offriraient que peu d’avantages aux investisseurs.

« L’introduction d’obligations supplémentaires en matière d’information sur le climat, alors que des règles similaires sont en cours d’élaboration au Canada, constituerait un fardeau réglementaire important pour les émetteurs sans améliorer l’accès à l’information sur le climat », déplorait la Financière Sun Life dans son mémoire à la SEC.

Bien que les trois organismes de réglementation aient fondé leurs exigences proposées sur les recommandations du Task Force on Climate-Related Financial Disclosures (TCFD), il existe des différences fondamentales entre les approches qui ne peuvent être résolues aisément.

Dans l’ensemble, les propositions des ACVM sont beaucoup moins exigeantes que celles de la SEC et de l’ISSB. L’initiative des ACVM prévoit des obligations d’information volontaires et limitées, tandis que la SEC demande des obligations d’information plus étendues, notamment une information détaillée sur les risques climatiques en fonction de l’emplacement et une information exhaustive sur l’impact financier. L’ISSB imposerait également des exigences plus étendues que les propositions des ACVM.

D’autres points clés de divergence comprennent l’emplacement de la divulgation (dans les états financiers des émetteurs ou non) et le degré de surveillance requis (comme une attestation indépendante).

« Des divergences dans les méthodologies et les exigences apparaissent, ce qui pourrait entraîner une confusion accrue pour les investisseurs et les autres parties prenantes, des défis opérationnels, un fardeau pour les préparateurs de rapports et une augmentation des coûts de conformité », soulignait l’Association des banquiers canadiens dans son mémoire au CSI.

De plus, les mémoires présentés à la SEC par plusieurs émetteurs ont fait valoir que les sociétés intercotées devraient être autorisées à se fier au soi-disant système de divulgation multijuridictionnel pour se conformer aux règles américaines en respectant les normes canadiennes qui seront probablement plus laxistes.

Cependant, les gestionnaires d’actifs et les fonds de pension préfèrent généralement les normes plus strictes de la SEC et de l’ISSB.

« Alors que les exigences canadiennes en matière de divulgation liée au climat sont actuellement officialisées par les [ACVM], nous craignons qu’il y ait des écarts importants entre les exigences de la norme des ACVN et ce que la [SEC] a proposé, commentait le gestionnaire de fonds NEI Investments, basé à Toronto, dans sa soumission à la SEC. À l’heure actuelle, nous pensons que la meilleure façon d’assurer une norme de divulgation cohérente entre les sociétés inscrites est d’exiger que tous les émetteurs suivent les exigences de divulgation de la [SEC]. »

Dans la mesure où les normes de l’ISSB répondent aux exigences de la SEC, NEI estime « qu’il serait très utile d’aligner les deux régimes de sorte qu’ils soient interchangeables à des fins de conformité. »

Pourtant, les ACVM ont révélé dans leur soumission au ISSB qu’elles semblent engagées dans une approche plus souple, préconisant des règles moins strictes.

Par exemple, les ACVM estiment qu’il est « prématuré à l’heure actuelle d’exiger la divulgation des émissions de gaz à effet de serre du champ d’application 3 ainsi que l’analyse de scénarios ou d’autres évaluations de la résilience climatique ».

Le champ d’application 1 fait référence aux émissions directes d’un émetteur, le champ d’application 2 couvre les émissions indirectes sur lesquelles une entreprise a un contrôle (comme sa propre consommation d’énergie), tandis que le champ d’application 3 comprend toutes les émissions liées aux activités d’une entreprise (en amont et en aval). L’analyse de scénarios – recommandée dans le cadre des exigences de la TCFD mais exclue dans la proposition des ACVM – vise à projeter comment une entreprise pourrait être affectée par le changement climatique.

Dans son mémoire à l’ISSB, les ACVM reconnaissent la valeur potentielle de ces types de divulgation, mais suggèrent que la divulgation soit introduite sur une base volontaire ou que les exigences soient introduites progressivement afin de donner plus de temps à l’industrie pour développer les données et les méthodologies.

« Nous ne sommes pas en faveur de l’obligation de divulguer ces informations tant que les évaluations de la résilience climatique n’auront pas atteint un stade plus avancé et qu’il n’y aura pas de consensus sur les hypothèses, les méthodologies et les délais appropriés pour ces évaluations », ont-elles annoncé.

Les ACVM ont également suggéré que la divulgation entourant les compensations de carbone proposée par l’ISSB est prématurée, étant donné la jeunesse relative du marché des compensations de carbone – malgré le fait que le système d’échange de droits d’émission de l’Union européenne est en place depuis 2005. De plus, les ACVM ont recommandé que les normes de déclaration de l’ISSB prévoient des aménagements pour les petits émetteurs.

Certains investisseurs s’opposent à cette approche prudente, arguant qu’il n’est pas nécessaire d’attendre que la déclaration des émissions soit hautement normalisée avant d’exiger des entreprises qu’elles communiquent des informations.

« Bien que nous comprenions que les méthodologies d’évaluation des émissions du champ d’application 3 continuent d’évoluer, la véritable valeur d’une évaluation des émissions du champ d’application 3 ne réside pas dans le chiffre lui-même. Il s’agit plutôt d’une lentille à travers laquelle les entreprises, et les investisseurs peuvent voir la stratégie de l’entreprise », expliquait NEI Investments dans sa soumission à la SEC.

« Comme pour l’analyse de scénarios, nous pensons que la véritable valeur des rapports sur le champ d’application 3 réside dans le processus et nous aimerions que toutes les entreprises ayant une empreinte importante dans le champ d’application 3 entreprennent l’exercice d’évaluation de leur exposition, ajoutait NEI. Nous pensons que la tendance internationale est à la divulgation des émissions de portée 3. »

La British Columbia Investment Management, basée à Victoria, en Colombie-Britannique, est également favorable à la divulgation obligatoire pour les entreprises lorsqu’elles sont jugées importantes. « L’analyse des scénarios est un pilier clé des recommandations de la TCFD et est plus importante pour les entreprises dont les activités sont à forte intensité de capital et celles qui sont fortement touchées par la transition et le risque climatique physique », assurait la société dans sa soumission à la SEC.

La SEC avait prévu de finaliser ses exigences en octobre 2022, mais cette date a été repoussée après que la période de consultation a été prolongée d’un mois. L’ISSB prévoit de publier les normes finales au premier trimestre 2023 (l’Organisation internationale des commissions de valeurs devant approuver les exigences finales peu après).

Les ACVM ont suivi un calendrier similaire pour la finalisation de leurs règles, en s’attendant à ce que ces exigences soient introduites progressivement sur plusieurs années.