Augmenter l’âge de la retraite, pas une solution magique

Par Pierre-Luc Trudel | 28 avril 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Alors que l’espérance de vie des Canadiens ne cesse de s’allonger, hausser l’âge minimum d’admissibilité aux régimes de retraite publics semble inévitable pour assurer leur pérennité. Mais est-ce vraiment le cas?

Le constat de l’actuaire-conseil Pierre Bergeron est clair : le fait d’augmenter l’âge d’admissibilité aux prestations de retraite est « non relié au maintien de l’équilibre économique ni à la viabilité financière des régimes ».

S’il est vrai que l’espérance de vie a fait un grand bond au cours des dernières décennies, celle-ci est loin d’être la seule responsable des problématiques vécues par les systèmes de retraite, a expliqué l’expert de PBI Conseillers en actuariat lors d’une table ronde organisée par l’Observatoire de la retraite.

« Lorsque l’on regarde le bilan actuariel de l’ensemble des régimes de retraite au Québec, on constate que ce n’est pas la hausse de l’espérance de vie qui explique la majeure partie des problèmes de déficits », a-t-il assuré.

Des évaluations actuarielles réalisées par l’Institut canadien des actuaires ont par exemple confirmé « la viabilité du Régime de rentes du Québec (RRQ) et du Régime de pensions du Canada (RPC) pour les 75 prochaines années, selon les taux de cotisation prévues ».

Le constat est semblable pour le programme de Sécurité de la vieillesse (SV), aucune crise ne menaçant sa viabilité selon les paramètres actuels. L’impact financier de l’augmentation de l’âge d’admissibilité sur le régime serait par ailleurs minime.

« Oui il y a des fluctuations selon les années, mais les coûts sont sous contrôle. Il est faux de dire que d’augmenter l’âge d’admissibilité à la retraite serait avant tout motivé par une question de viabilité financière. » Les gouvernements pourraient certes vouloir réduire les coûts des régimes, mais il s’agirait alors davantage d’une décision politique, laisse entendre Pierre Bergeron.

POURQUOI COPIER LE VOISIN?

Il n’y a pas qu’au Québec où le débat sur l’âge de la retraite soulève les passions. De nombreux pays de l’OCDE ont repoussé l’âge d’admissibilité à leurs régimes de retraite publics au cours des dernières années. Mais il ne s’agit pas d’une raison pour les imiter, croit Pierre Bergeron.

« On a souvent tendance à vouloir imiter le voisin plutôt que de chercher à mieux comprendre le problème que l’on vit ici. Nous n’avons pas du tout le même système au Canada qu’ailleurs dans le monde. À un problème différent, il faut chercher une solution différente », a-t-il déploré, en prenant en exemple l’ancien gouvernement conservateur, qui avait haussé l’âge d’admissibilité à la SV à 67 ans, décision qui a depuis été renversée par l’actuel gouvernement libéral.

UNE TENDANCE NATURELLE

Mettant en doute la pertinence de hausser l’âge d’admissibilité aux prestations de retraite gouvernementales, Pierre Bergeron a expliqué que la tendance était de toute façon à un report naturel de la retraite chez les Canadiens.

La disparition graduelle des régimes de retraite à prestations déterminées oblige en effet beaucoup de travailleurs à retarder leur départ de la vie active, puisqu’ils doivent assumer eux-mêmes les coûts associés à une plus grande longévité.

L’amélioration de la santé des travailleurs âgés, les nombreux emplois disponibles, le faible taux d’épargne et l’endettement élevé sont d’autres facteurs qui contribuent à une hausse naturelle de l’âge de la retraite.

PAS UNE DÉPENSE

L’actuaire a finalement insisté sur le fait qu’un régime de retraite n’est pas une dépense, mais plutôt un investissement. « Il s’agit d’épargne retardée qui va éventuellement être utilisée pour acheter des biens et des services et payer des impôts », a-t-il souligné.

Selon lui, passer d’un modèle de planification de la retraite « à prestations déterminées » à un modèle basé essentiellement sur les REER serait « inefficient et coûteux pour l’ensemble de la société ».

De là l’importance de bien peser le pour et le contre avant de repousser l’âge d’admissibilité aux rentes de retraite publiques. D’autant plus qu’il s’agirait, selon M. Bergeron d’une mesure régressive, puisque de nombreuses études ont démontré que l’espérance de vie est plus faible chez les individus défavorisés.

« Il faudrait plutôt encourager le report de la retraite sur une base facultative », a conclu l’actuaire.

Pierre-Luc Trudel