Bientôt la fin de Wall Street?

10 septembre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : 123RF

Les changements à la fiscalité des entreprises américaines favorisent le rapatriement dans ce pays des profits autrefois conservés à l’étranger. Ces profits servent surtout à financer des programmes de rachat d’actions. Avec quelles conséquences?

Dans un récent rapport, le Réserve fédérale américaine (Fed) constate que le rapatriement au pays de plus de 300 milliards de dollars américains (395 G$ CA) de profits dans le premier trimestre de 2018 dépasse de loin la moyenne des dernières années. Celle-ci se situait à environ 50 milliards de dollars américains (65,9 G$ CA) par trimestre.

La réforme fiscale diminuait à 15,5 % l’imposition de profits rapatriés de l’étranger, et à 8 % pour ce qui est des actifs non-liquides. Auparavant, les entreprises qui ramenaient les profits aux États-Unis payaient 35 % d’impôt.

DANS LES POCHES DES ACTIONNAIRES

Le programme de Donald Trump visait à relancer l’économie et à augmenter les salaires des travailleurs. L’économie a certes accéléré et le chômage a diminué. Le prix des actions est en forte hausse. Les salaires, toutefois, n’ont pas suivi, notamment parce que les entreprises ont préféré redonner ces profits à leurs actionnaires par l’entremise de programmes de rachat d’actions.

La Fed a jeté un œil aux 15 entreprises américaines possédant le plus d’actif financier à l’étranger. Ensemble, elles en possèdent environ 80 % du total et détiennent environ 80 % de leurs liquidités à l’étranger. La valeur des programmes de rachat d’actions de ces entreprises est passée de 23 milliards de dollars américains (30,3 G$ CA) au quatrième trimestre 2017 à 55 milliards de dollar américains (72,5 G$ CA) au premier trimestre de 2018.

NOCIF POUR L’ÉCONOMIE

Selon Patrick Artus, économiste de la firme Natixis, ces rachats massifs d’actions posent des problèmes économiques et pourraient même préfigurer la fin de Wall Street, incapable de bien jouer son rôle de financement de l’économie américaine.

Dans le quotidien économique Les Échos, M. Artus rappelle que dans la foulée de la réforme fiscale, les entreprises vont racheter 4,5 % des actions sur le marché, contre 3 % les années précédentes. La conséquence de ce rythme de rachat d’année en année est que le nombre d’actions cotées aux États-Unis est en forte baisse. Il y en moins maintenant qu’en l’an 2000.

Les actionnaires sont bien heureux de bénéficier des programmes de rachats d’actions. Le problème est qu’ils utilisent cet argent pour acheter de l’immobilier ou des produits financiers alternatifs. Ils ne le dépensent pas et ne l’investissent pas. « C’est donc très inefficace pour l’économie, déplore M. Artus. Ils ne contribuent pas à la croissance. Pour l’économie au sens large, il vaudrait mieux que les entreprises augmentent les salaires. »

Cette situation pose aussi un risque boursier, puisque les entreprises s’endettent pour racheter leurs actions. Elles ont donc moins de fonds propres et plus de dettes et s’en trouvent fragilisées.

LA FIN DE WALL STREET?

Par ailleurs, il y a 3 800 sociétés cotées en Bourse aux États-Unis, contre plus de 8 000 il y a 20 ans.

Les chefs d’entreprises n’ont plus envie d’être soumis aux questions des analystes, de publier des résultats trimestriels ou de remplir les fastidieux documents de la Securities and Exchange Commission. Combien d’entre eux rêvent de sortir de la Bourse, à l’instar d’Elon Musk, qui a dû toutefois renoncer à son projet de privatiser Tesla.

À ce rythme, prédit M. Artus, il n’y aura plus d’actions cotées en Bourse dans 20 ans, puisqu’elles seront toutes détenues par de grands investisseurs ou des fonds d’investissements privés. Wall Street perdra donc sa place au profit d’une économie du non-coté.

Partagez-vous les craintes de Patrick Artus?