Bombardier : une enquête officielle est demandée

Par La rédaction | 10 juin 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : Jeangagnon [CC BY-SA 3.0 – https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0]

Fair Canada relance le débat sur la légalité du régime d’aliénation de titres automatiques (RATA) de Bombardier. L’organisme demande la révocation de l’ordonnance de dispense de l’entreprise et de tous les RATA en vigueur.

Rappelons qu’un RATA permet aux cadres d’une firme d’exercer des options ou de vendre automatiquement des actions, sans enfreindre la réglementation sur les délits d’initiés. Celui de Bombardier avait été créé en août 2018. Le titre de l’entreprise venait d’atteindre, à la mi-juillet, son sommet des sept dernières années, à 5,58 $. Les hauts dirigeants de Bombardier avaient transféré à une société de Calgary quelque 30 millions d’options exerçables dans le but de revendre les actions acquises sur le marché. 

À la fin septembre, les hauts dirigeants de Bombardier ont touché plus de 30 millions de dollars, rappelait encore récemment TVA Nouvelles. Dans les quatre mois suivants, le titre de l’entreprise s’était affaissé en Bourse, passant de 5,58 $ à 2,09 $. Selon Les Affaires, douze de ses hauts dirigeants ont touché le magot avant la suspension des transactions le 16 novembre 2018. À lui seul, le président et chef de la direction, Alain Bellemare, a empoché plus de 10,5 millions de dollars.

ENQUÊTE ABANDONNÉE

Devant les questions soulevées par ces transactions, l’Autorité des marchés financiers (AMF) avait amorcé une enquête en novembre 2018, finalement abandonnée le 26 avril 2019. L’AMF soutenait alors n’avoir « relevé aucune infraction ou manquement à la législation en valeurs mobilières de la part des membres de la haute direction participant ou de la part de Bombardier Inc. lors de la mise en place du RATA ».

L’AMF avait tout de même suggéré l’abandon de ce programme en raison des perceptions qu’il avait engendrées, une recommandation que comptait suivre Bombardier. Cette conclusion ne satisfait toutefois pas Fair Canada, qui a fait part de ses réserves dans une lettre adressée à Louis Morisset, PDG de l’AMF, dont une copie est disponible sur le site de Fair Canada. 

UN PROGRAMME PAS SI AUTOMATIQUE

L’organisme rappelle qu’il n’a fallu que deux mois au PDG de Bombardier pour vendre 52 % des actions qu’il avait placées dans un RATA de 24 mois. Si les actions avaient été vendues en parts plus égales tout au long des 24 mois, il n’en aurait vendu que 8 % au cours des deux premiers mois. Or, c’est justement cette précipitation qui lui a permis d’encaisser le magot, puisque le titre de Bombardier a rapidement baissé après l’instauration du RATA. 

Bombardier a volontairement suspendu son RATA en novembre 2018, mais n’a rapporté les opérations d’initiés qu’en mars 2019. « Pourquoi pas immédiatement? Et pourquoi n’avoir transmis que des informations minimales? » demande Fair Canada. L’organisme se demande aussi pourquoi l’AMF n’a pas exigé un rapport complet et immédiat des opérations d’initiés. 

DES DISPENSES UN PEU TROP PRATIQUES

Au Canada, un délit d’initié peut se produire dès qu’une personne achète ou vend les actions d’un émetteur au sujet duquel il connaît des informations non disponibles au public. Il n’est pas nécessaire de démontrer qu’il a utilisé ou caché ces informations, mais simplement qu’il les possédait. Afin de favoriser la transparence, toutes les opérations d’initiés doivent donc être rapportées en cinq jours ouvrables, sauf si vous disposez d’une ordonnance de dispense. Ces dispenses sont souvent accordées dans le cadre d’un RATA. 

Or, cette approche a parfois favorisé la fraude, selon Fair Canada. Des émetteurs et des initiés ont créé des RATA dans le seul but d’effectuer des opérations d’initiés sans avoir à les rapporter. En démarrant un RATA lorsqu’ils sont en possession d’informations privilégiées ou en terminant ou restructurant un tel programme en raison de ces informations, les initiés peuvent conserver des profits ou éviter des pertes.

REVOIR LE PROGRAMME

Fair Canada demande la révocation de l’ordonnance de dispense de Bombardier et souhaite que les initiés soient obligés de rapporter les détails de leurs transactions dans le RATA. Il exige aussi une enquête formelle sur l’utilisation du RATA par Bombardier.

Mais l’organisme souhaite également que tous les RATA en vigueur soient révoqués. Les entreprises devraient faire une nouvelle demande afin d’obtenir une dispense. Toutefois, de nouveaux critères devraient présider à ces exemptions. Les opérations d’initiés devraient obligatoirement être rapportées rapidement. Les transactions dans un RATA devraient être réellement automatiques et des périodes d’attentes devraient être obligatoires en cas d’implantation, d’amendement, de suspension ou d’interruption de ces programmes. 

Fair Canada sera-t-il entendu?

La rédaction