Budget fédéral 2015 : dividendes et réorganisations d’entreprise dans la ligne de mire

30 septembre 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Le paragraphe 55(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu est une disposition anti-évitement destinée à empêcher l’utilisation de dividendes intersociétés libres d’impôt de manière à diminuer le gain en capital découlant de la vente d’une action. Il s’applique généralement lorsque l’objet du dividende[1] est de diminuer sensiblement le montant du gain en capital qui aurait été réalisé lors d’une vente d’une action à sa juste valeur marchande (JVM).

Toutefois, il ne s’applique pas dans la mesure où la diminution du gain peut raisonnablement être attribuable à la partie du revenu, gagnée ou réalisée par une société (« revenu protégé »), après 1971, se rapportant à l’action[2].

Le budget fédéral 2015 élargit le champ d’application de cette règle anti-évitement pour les dividendes reçus après le 20 avril 2015, mais comme il est peu probable que ces modifications entrent en vigueur avant les élections fédérales de cet automne, et que l’Agence du Revenu du Canada n’a pas encore fait connaître sa position, les planificateurs et fiscalistes devront malheureusement, dans l’attente, vivre avec cette incertitude fiscale.

FONCTIONNEMENT DE LA RÈGLE

Illustrons le fonctionnement de la règle avec un exemple :

Gesco désire vendre les actions qu’elle détient dans Opco, société exploitée activement, à un tiers acquéreur. Avant la vente, l’acquéreur accorde un prêt à Opco, qui se sert ensuite de ces fonds pour verser un dividende à Gesco. Ce dividende intersociété est libre d’impôt pour Gesco et il a pour effet de diminuer la JVM des actions de Opco, réduisant ainsi le gain en capital non encore réalisé par Gesco sur la valeur des actions de Opco.

Au moment de la vente des actions de Opco par Gesco, le gain en capital réalisé est moins élevé qu’il ne l’aurait été si Opco n’avait pas versé le dividende. Cette stratégie, communément appelée « dépouillement des gains en capital », a pour objectif de réduire le gain en capital par le versement de dividendes.

Pour éviter un tel dépouillement, la règle anti-évitement du paragraphe 55(2) LIR requalifie généralement le dividende versé à Gesco en gain en capital, sauf si l’une des situations d’exception décrites ci-dessous s’applique.

EXCEPTIONS À LA RÈGLE (AVANT LE 20 AVRIL 2015)

L’ancienne règle anti-évitement ne s’appliquait pas dans l’une ou l’autre des situations suivantes (et donc le dividende n’était pas requalifié en gain en capital) :

  • Le dividende pouvait raisonnablement être attribué au « revenu protégé en main »;
  • Le dividende avait été reçu dans le cadre d’opérations entre parties liées[3] ne faisant intervenir aucune partie non liée;
  • Le dividende était assujetti à l’impôt de la partie IV pourvu qu’il n’ait pas été remboursé;
  • Le dividende avait été remboursé dans le cadre d’une réorganisation « papillon ».

LA RÈGLE APRÈS LE 20 AVRIL 2015

La nouvelle règle ajoute deux nouveaux tests d’objet. Elle pourrait s’appliquer pour convertir un dividende déductible[4] en gain en capital lorsque l’un des objets du dividende est de :

  • Diminuer sensiblement la JVM d’une action;
  • Augmenter sensiblement le total du coût des biens du bénéficiaire du dividende.

Tel que vu précédemment, l’ancienne règle prévoyait une exception pour les opérations entre parties liées pour tous les types de dividendes. La nouvelle règle anti-évitement prévoit que cette exception entre parties liées ne s’appliquera qu’aux dividendes réputés qui découlent d’un rachat, d’une acquisition ou d’une annulation d’actions en vertu du paragraphe 84(3) LIR. Il s’agit d’un changement majeur qui modifiera certainement nos planifications fiscales.

EXEMPLES D’APPLICATION DE LA NOUVELLE RÈGLE

PAIEMENT D’UN DIVIDENDE EN ESPÈCES ENTRE PARTIES LIÉES

Dans le cadre d’une réorganisation d’entreprise entre parties liées, ou d’une stratégie de protection des actifs, Opco paie un dividende en espèces à Gesco, qui en retour accorde un prêt à Opco.

Dans cette situation, le nouveau paragraphe 55(2) LIR pourrait s’appliquer si les tests d’objet décrits précédemment sont remplis, sauf évidemment si le dividende provient du revenu protégé.

Paiement d’un dividende en actions

Avec la nouvelle règle, le montant d’un dividende en actions ne sera plus égal au capital versé des actions reçues à titre de dividendes mais correspondra au plus élevé entre leur capital versé et leur JVM. En conséquence, tous les types de dividendes en actions entreront désormais dans le champ d’application du paragraphe 55(2) LIR.

REVENU PROTÉGÉ

L’exception visant le revenu protégé ne s’appliquera désormais plus lorsqu’il y aura une perte accumulée sur une action ou quand la JVM d’une action est égale à son PBR. En effet, l’exception s’applique uniquement lorsqu’il y a un gain accumulé sur une action.

CONCLUSION

Les deux nouveaux tests d’objet, combinés à la modification de l’exception entre parties liées, placent les planificateurs et fiscalistes dans une grande incertitude sur l’application du paragraphe 55(2) LIR à certains dividendes. Les sociétés qui désireront payer un dividende intersociété important ou procéder à une réorganisation devraient examiner précieusement les nouvelles règles et calculer minutieusement le revenu protégé de la société afin de s’éviter de mauvaises surprises.

Me Odile St-Hilaire, notaire fiscaliste, et Michel Lessard, fiscaliste, assureur vie agréé et Pl. Fin., Lessard & St-Hilaire, société professionnelle inc.


• Ce texte est paru dans l’édition de septembre 2015 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web. [1] Ou le résultat dans le cas d’un dividende réputé visé au paragraphe 84(3). [2] De tous les articles de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’article 55 est parmi les plus complexes, il n’est donc pas possible d’examiner ce sujet plus à fond dans la présente chronique en raison des contraintes d’espace. [3] À noter que selon l’alinéa 55(5)e) LIR, deux frères ou sœurs seraient non liées pour les fins du paragraphe 55(2) LIR. [4] Autre qu’un dividende réputé découlant du rachat, de l’acquisition ou de l’annulation d’actions en vertu du paragraphe 84(3) LIR.