Caisses de retraite : comment se préparer à mieux gérer les risques?

Par Benoit Hudon | 1 juin 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Plusieurs promoteurs de régimes de retraite à prestations déterminées ont décidé au cours des dernières années de migrer vers un régime à cotisations déterminées, ou s’apprêtent à le faire. Nous observons ainsi un changement marqué dans le profil de risque des régimes à prestations déterminées. En effet, ces régimes sont de plus en plus matures. Dans un tel contexte, est-il souhaitable de maintenir l’approche de gestion en place, ou est-ce qu’un changement de cap s’impose?

Tout promoteur ou comité de retraite doit comprendre l’évolution du profil de risque de ses régimes de retraite et se doter d’un itinéraire de retraite cohérent, soit une stratégie communément appelée « Journey Planning ». La clé : être prêt à agir lorsque les opportunités surviennent.

En quoi la planification d’un itinéraire consiste-t-elle? Nombreux sont ceux qui associent le besoin de se doter d’un itinéraire à une décision, par le promoteur, de terminer son régime de retraite à prestations déterminées (maintenant ou dans quelques années). Une telle décision crée effectivement ce besoin. D’autres considèrent qu’un itinéraire ne consiste qu’à modifier sa politique de placement en fonction des obligations du régime. En réalité, un itinéraire intégré comprend bien plus qu’une simple revue de la politique de placement ou une décision relative à la stratégie de sortie.

Le promoteur doit d’abord comprendre le risque de contraction, c’est-à-dire le risque que des conditions défavorables aient un impact à court terme.

Ensuite, se préparer à l’expansion, c’est-à-dire être prêt à agir au fur et à mesure que la situation financière ou les conditions économiques s’améliorent. Les organisations qui prennent le temps de définir clairement, et à l’avance, les actions à prendre pour diminuer le risque à plus long terme ont une longueur d’avance sur les autres. Comme les périodes de conditions favorables peuvent être de très courte durée, et comme les gains peuvent être perdus rapidement, l’essentiel devient d’être prêt à agir rapidement, et donc de mettre en place un processus de suivi rigoureux.

En d’autres mots, un itinéraire établit un cadre qui facilite la prise de décision. Dans un contexte où la prise de décision implique souvent des parties externes au comité de retraite, il est impératif d’avoir une structure de gouvernance claire. Ceci est particulièrement vrai dans les organisations plus vastes ou plus complexes où l’autorité en matière de prise de décisions est souvent dispersée dans l’ensemble de l’organisation.

Composantes d’un itinéraire de retraite

ava_objectifs-seuils-tolerance Un itinéraire complet harmonise tous les aspects clés de la gestion du régime. Chaque élément aura une importance relative selon les priorités de l’organisation.

Un promoteur pourrait ainsi décider de modifier le type de régime de retraite offert à ses employés afin de gérer l’évolution des obligations futures (par exemple, en migrant vers un régime à cotisations déterminées). Cette stratégie est très populaire, mais elle ne règle en rien les enjeux reliés aux prestations qui ont déjà été accumulées dans le régime.

Pour gérer les risques reliés aux prestations accumulées, on devra plutôt avoir recours aux politiques de provisionnement et de placement. Ce sont ces deux politiques qui auront l’impact le plus important sur la gestion des risques pour les prestations accumulées.

En ce qui concerne la politique de placement, nous observons l’émergence de stratégies sophistiquées de gestion (gestion dynamique unilatérale ou bilatérale, émergence de gestionnaires spécialisés dans la gestion adossée au passif actuariel, etc.).

Par ailleurs, tout promoteur devrait se questionner sur sa cible de provisionnement. Est-ce que la cible devrait se situer à un niveau de solvabilité de 100 %, ou plutôt cotiser en excédent de 100 % afin de créer une marge pour écarts défavorables? Plusieurs lois provinciales, incluant celle du Québec, ont été modifiées, ou sont en voie de l’être, afin d’exiger la création d’un tel coussin de sûreté. Mais devrait-on se limiter à ce niveau? L’objectif devient alors d’identifier le niveau de cotisation qui sera optimal en fonction des risques identifiés par le promoteur.

Ultimement, pour un promoteur qui veut éliminer son obligation, un règlement des prestations par le biais d’un achat de rentes peut être une stratégie intéressante.

Des leçons à tirer de l’histoire récente? Lorsque le niveau de provisionnement est faible (généralement après une période marquée par une conjoncture défavorable des marchés), le désir de réduire le risque lié au régime est élevé. Par contre, le coût associé à la mise en place de techniques de réduction de risque est élevé. Par conséquent, peu de promoteurs voudront alors agir à court terme. Cette situation a été observée suite aux crises financières de 2001, puis celle de 2008.

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Le rebond des marchés financiers et les cotisations du promoteur à la caisse contribuent par la suite à l’amélioration du niveau de provisionnement. S’ensuit alors une amélioration de la capacité du promoteur à mettre en œuvre des solutions de réduction des risques. Cependant, souvent, le souvenir de l’expérience douloureuse s’est estompé et le désir d’agir s’atténue. Malheureusement, c’est ce que nous avons observé durant la période 2003-2005.

La période actuelle sera-t-elle différente? Les marchés financiers ont rebondi de façon marquée au cours des deux dernières années. Est-ce que les promoteurs et les comités de retraite emprunteront une avenue différente cette fois-ci?

La gestion des risques axée sur le règlement de l’obligation Avec la volatilité des marchés financiers, les écarts de crédit, et les changements d’ordre réglementaires récents, l’efficacité des méthodes de gestion traditionnelles diminue. Des techniques de gestion de risques nouvelles et plus raffinées ont émergé : règlements forfaitaires, conversion en rentes (partielle ou complète), répartition dynamique de l’actif, placements adossés au passif (« LDI »), immunisation, ou carrément la liquidation du régime.

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En particulier, de plus en plus de promoteurs mettent en œuvre des stratégies de règlement (achats de rentes, paiements forfaitaires, etc.). Un achat de rente cristallise le coût pour la portion du régime qui est réglée. Dans les faits, un achat de rente fait en sorte de transférer les risques de longévité et d’investissement à l’assureur.

Comme pour tout produit de marché, la prime chargée varie non seulement en fonction des conditions de marché, mais également selon la compétitivité des différents assureurs à un point précis dans le temps. Il peut être payant d’être diligent et prêt à saisir les opportunités disponibles dans le marché.

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En effet, dans plusieurs cas récents, il a été possible d’acheter des rentes à un taux plus favorable que celui requis aux fins de l’évaluation actuarielle de solvabilité. Un gain actuariel pouvait alors être cristallisé. Seuls les promoteurs prêts à agir ont pu saisir ces opportunités.

Une autre option disponible pour régler son obligation actuarielle est d’offrir un paiement forfaitaire unique lorsque le participant arrive à la retraite. Cette méthode suscite de plus en plus d’intérêt. Contrairement à un achat de rentes, il n’y a pas d’enjeu de capacité du marché, c’est-à-dire que le paiement peut se faire en tout temps à même la caisse de retraite. Le promoteur n’est ainsi pas sujet à « l’appétit » des compagnies d’assurances. Autre avantage, une fois le paiement effectué, le lien entre le régime et le participant est rompu, ce qui n’est pas toujours le cas avec un achat de rentes. Donc plus besoin de comptabiliser cette obligation dans les livres.

Une autre stratégie qui est considérée présentement par certains promoteurs est d’offrir une valeur de transfert aux participants retraités. Cette approche n’est pas sans risque. Elle démontre par contre que les promoteurs recherchent activement de nouvelles voies pour gérer les risques.

Un itinéraire intégré de retraite peut comprendre plusieurs autres éléments. Certaines organisations ont décidé de terminer leur régime, puis d’en créer un nouveau. D’autres ont décidé de fusionner certains régimes.

Finalement, pour les promoteurs sujets aux règles comptables canadiennes, il est essentiel de bien comprendre l’impact que les nouvelles normes IFRS ont sur les régimes de l’entreprise, en particulier en ce qui concerne les règles limitant le surplus pouvant être reconnu aux livres (règles IFRIC-14). Dans le secteur financier par exemple, l’impact de ces nouvelles normes pourrait être important étant donné l’obligation de maintenir un certain niveau de réserves. L’impact des normes IFRS pourrait être, dans certains cas précis, que l’entreprise doive cotiser des montants supplémentaires aux réserves.

Une bonne compréhension des risques Se doter d’un itinéraire de retraite requiert une bonne compréhension des risques, ainsi qu’une bonne préparation, afin d’être prêt à agir lorsque les circonstances sont favorables.

Naviguer en tenant compte de la gouvernance de l’organisation requiert une planification adéquate, une certaine éducation et une compréhension claire des risques présents et des options disponibles. En établissant une gouvernance claire, une organisation s’assurera d’être prête lorsque les opportunités se présenteront.

Finalement, chaque itinéraire est propre au contexte de l’organisation. Il y a ce que les chiffres disent, puis il y a les contraintes avec lesquelles chaque organisation doit composer. Il faut ainsi tenir compte, dans tout itinéraire, des objectifs financiers de l’organisation, de ses contraintes organisationnelles et de ses besoins opérationnels.


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Benoit Hudon, f.s.a., f.i.c.a. est conseiller principal et chef du secteur Retraite, au bureau de Montréal de Towers Watson.

Benoit Hudon