Changements climatiques : le double discours de la finance

Par La rédaction | 9 Décembre 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Nuages de fumées toxiques produites par le secteur de l'énergie.
Photo : kodda / 123RF

Plusieurs centaines de projets de centrales à charbon dans le monde ont été financés par des institutions financières au cours des trois dernières années, accusent les organisations non gouvernementales européennes Urgewald et BankTrack.

Dans un rapport (en anglais seulement) publié jeudi dernier, les deux ONG environnementales estiment que s’ils se concrétisaient, ces projets entraîneraient une augmentation de 28 % du bilan carbone de cette filière énergétique, déjà lourdement impliquée dans le changement climatique. Au total, ajoutent-elles, les grands établissements financiers mondiaux ont injecté quelque 745 milliards de dollars américains dans 258 sociétés initiatrices de projets d’usines à charbon un peu partout sur la planète.

Dénonçant un double discours en matière de changement climatique, Urgewald et BankTrack ont ainsi recensé, avec le concours d’un réseau mondial d’ONG, les différents types de financements octroyés entre janvier 2017 et septembre 2019. Au total, soutiennent-elles, il existerait ainsi « plus de 1 000 projets de centrales ou unités de production de charbon » qui, s’ils voyaient le jour, « ajouteraient 570 gigawatts au parc mondial de centrales à charbon », soit une hausse de près de 30 % de ce secteur.

PLUSIEURS BANQUES CHINOISES EN ACCUSATION

Dans leur rapport conjoint, dont les conclusions sont reprises par l’Agence France-Presse, les deux ONG affirment avoir notamment constaté que 307 banques commerciales ont prêté directement 159 milliards de dollars à des compagnies soutenant la filière charbon. Selon les organisations non gouvernementales, les trois principaux prêteurs dans le monde sont les banques japonaises Mizuho, Mitsubishi UFJ Financial Group et Sumitomo Mitsui Banking Corporation, suivies par la banque américaine Citigroup et la principale banque française, BNP Paribas. Si l’on en croit les calculs des deux ONG, les institutions financières japonaises représenteraient à elles seules environ un tiers des prêts accordés, comparativement à 26 % pour les banques européennes.

Le rapport relève par ailleurs que, au cours des trois dernières années, quelque 300 banques ont soutenu des sociétés engagées dans la filière charbon, ce qui a permis à ces dernières de percevoir « plus de 585 milliards de dollars » par le biais d’émission de titres, comme des actions ou des obligations. Dans ce cas, les principaux établissements bancaires impliqués étaient basés en Chine, avec notamment Industrial and Commercial Bank of China et Ping An Insurance Group. Toutefois, ajoutent les ONG, d’autres groupes financiers occidentaux ont également participé à ces opérations, en particulier HSBC, RBS, Standard Chartered et Barclays.

Enfin, le rapport souligne l’importante responsabilité qu’ont les investisseurs dans le maintien, et même le développement, du secteur des énergies fossiles traditionnelles. En effet, critique-t-il, ceux-ci continuent d’acheter les titres mis sur le marché par les banques. Cette année, plus de 1 900 investisseurs institutionnels détenaient ainsi 276 milliards de titres liés au développement de projets charbon, affirment les auteurs de l’étude. Dans ce secteur, expliquent-ils, c’est BlackRock qui se montre le plus actif, devant le fonds de pension et d’investissement du gouvernement japonais et les fonds d’investissement Vanguard et Capital.

LES OBJECTIFS DE L’ACCORD DE PARIS AUX OUBLIETTES

Cité par l’AFP, Greig Aitken, responsable de la campagne climat pour BankTrack, déplore notamment le fait que « les grandes banques européennes comme BNP Paribas et Barclays excluent le financement direct de projets pour les nouvelles centrales au charbon, mais elles continuent d’accorder des prêts aux entreprises qui les font avancer ». De son côté, Lucie Pinson, responsable de la campagne finance privée de l’organisation, estime que certains établissements financiers « continuent de jouer contre la tenue des objectifs de l’Accord de Paris », qui prévoyait limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius.

Dénonçant ce qu’ils qualifient de « double discours », Urgewald et BankTrack s’en prennent également à la politique d’investissement du groupe espagnol Santander, commanditaire de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP25), qui se tient actuellement à Madrid. En effet, le géant ibérique, qui s’était engagé à ne plus financer directement le secteur du charbon, a injecté quelque 655 millions de dollars en 2018 et cette année dans trois entreprises qui s’apprêteraient à installer 5,7 gigawatts de production charbon supplémentaire en Pologne.

McGill veut « décarboner » son portefeuille de placements

Dans un communiqué publié la semaine dernière, l’Université McGill annonce son intention de « poursuivre son engagement visant à réduire l’empreinte carbone de son portefeuille de placements ». Une mesure qui s’inscrit « dans les efforts soutenus qu’elle déploie afin de lutter contre les changements climatiques et œuvrer de façon responsable pour la durabilité ».

Le Conseil des gouverneurs, sa plus haute instance dirigeante, a en effet approuvé l’ensemble des recommandations proposées par le Comité consultatif chargé des questions de responsabilité sociale. Dans un rapport (disponible en anglais seulement), ce dernier recommande de diminuer les placements à forte intensité de carbone, en particulier ceux du secteur des combustibles fossiles, dans le portefeuille de dotation de l’Université. Le document suggère aussi d’accroître ses actifs faibles en carbone par le biais d’« investissements à retombées sociales », notamment dans les secteurs des technologies propres, de l’énergie renouvelable et des fonds exempts de combustibles fossiles.

« L’adoption d’un mode d’investissement plus soucieux de l’empreinte carbone s’ajoute à la démarche entreprise par l’Université McGill et l’atteinte d’objectifs ambitieux en matière de changements climatiques et de durabilité, afin de devenir une institution carboneutre d’ici 2040. Ces recommandations appuient notre profond attachement au développement durable sur nos campus avec l’ajout d’efforts supplémentaires afin de définir des cibles et des démarches efficaces », déclare dans le communiqué Suzanne Fortier, principale et vice-chancelière de l’établissement universitaire.

La rédaction