Changements réglementaires : menaces ou occasions?

Par Christine Bouthillier | 4 mai 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
5 minutes de lecture
George Tsartsianidis / 123RF

Les changements réglementaires se multiplient à vitesse grand V dans l’industrie de l’assurance depuis plusieurs années et l’accalmie ne semble pas en vue. Vente d’assurance sur Internet, divulgation des commissions, plusieurs bouleversements pourraient survenir. Au lieu de s’y opposer, comment s’en servir pour tirer son épingle du jeu? Ces experts avancent des pistes de solution.

Réunis jeudi lors d’un panel de la Journée de l’avenir professionnel en services financiers du Regroupement des jeunes courtiers du Québec (RJCQ), le directeur vente et recrutement à La Capitale Yves Lefrançois, le vice-président au développement des affaires à Financière S_entiel Frédéric Perman et le courtier hypothécaire agréé à Planiprêt et conseiller en sécurité financière Hugo Neveu se sont montrés tour à tour inquiets et optimistes quant aux changements réglementaires.

« Y a-t-il quelqu’un qui doute que le projet de loi 141 (PL 141) soit accepté? Ça s’en vient, les démarches sont déjà entreprises », lance d’entrée de jeu Hugo Neveu.

Pour lui, la vente d’assurance sur Internet sans représentant prévue par le PL 141 est donc pratiquement chose faite. Et il ne la voit pas nécessairement d’un bon œil.

« Ma crainte, c’est que les clients vont probablement souscrire un produit que n’aurait pas choisi quelqu’un qui a de l’expérience dans le domaine. Ils risquent d’acheter un prix plutôt qu’un produit adéquat. »

S’ils ne savent pas s’ajuster, les conseillers qui ne vendent que des produits simples risquent aussi d’en pâtir.

« Si l’ensemble de votre modèle d’affaires est axé sur la recommandation de produits simples, de commodités, je suis préoccupé pour vous. Mais si vous créez vraiment de la valeur ajoutée pour votre client, la vente d’assurance sur Internet ne représente qu’un compétiteur supplémentaire parmi d’autres », ajoute Yves Lefrançois.

La clé réside dans une offre de services qui se démarque. Pour développer leur propre créneau, les conseillers devraient réfléchir au modèle d’affaires qu’ils ont envie d’investir et s’associer avec un plus gros cabinet, suggère-t-il.

« Créer un modèle d’affaires est très difficile lorsqu’on est tout seul dans son sous-sol », note-t-il.

UN OUTIL PLUTÔT QU’UN ENNEMI

« [Avec Internet], il y a une occasion de s’outiller », affirme cependant Hugo Neveu.

Pourquoi ne pas permettre aux clients d’entrer leurs données (nom, adresse, etc.) en ligne avant la rencontre avec le conseiller? Les assureurs le font déjà, les clients le souhaitent et cela permet au représentant de sauver du temps, ajoute-t-il. Plusieurs plateformes offrent d’ailleurs ce service.

Le PL 141 lui-même pourrait devenir une occasion. Sous réserve des règlements qui seront fixés par la suite, un représentant pourrait demander à son adjointe d’effectuer la collecte de données sans qu’elle n’ait besoin de détenir un permis, tant qu’un superviseur du cabinet en possède un, explique M. Lefrançois.

De façon générale, le web est un outil incontournable pour se faire connaître de la clientèle, rappelle aussi Frédéric Perman. Non, les épargnants ne magasineront pas leur conseiller sur un moteur de recherche, mais vont l’utiliser pour s’informer sur un professionnel qu’on leur a recommandé. Si celui-ci n’a pas de site web ou de page Facebook ou LinkedIn, il en ressort perdant, estime pour sa part Hugo Neveu.

« Mais attention, vous avez un code de déontologie à respecter. Vous êtes conseillers en sécurité financière 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Vous ne pouvez pas montrer des photos de party sur Facebook. Vous ne travaillez pas au dépanneur, vous êtes des professionnels », prévient Yves Lefrançois.

DIVULGUER LES COMMISSIONS?

Faudrait-il divulguer le montant des commissions en assurance comme c’est le cas dans l’industrie des fonds communs? Sur cette question, les participants au panel se sont montrés plus partagés.

« Qu’est-ce que ça va apporter de plus à la qualité du service? » lance M. Perman, une interrogation accueillie par des applaudissements de l’assistance.

Un des conseillers dans la foule soutient également qu’aucun client ne lui demande une telle divulgation, mais que cette dernière est plutôt souhaitée par les grandes institutions financières.

« Les compétiteurs des banques sont dans la salle. Ces dernières ont peur du travail que vous faites, car vous offrez des horizons de solution qu’elles ne peuvent pas offrir », ajoute Frédéric Perman, faisant référence aux réseaux captifs.

Si les commissions en viennent à être divulguées, les représentants ont intérêt à prouver leur valeur ajoutée, faute de quoi les clients se demanderont pourquoi ils les paient, affirme pour sa part Yves Lefrançois. Et cela passe par l’explication détaillée des responsabilités des conseillers, notamment en conformité, et des frais qu’ils déboursent.

« Au bout du compte, il n’en reste pas beaucoup », souligne-t-il.

Pour lui, une question demeure. Que la prime du client soit de 2 000 $ ou 8 000 $, le travail du représentant est le même, mais la commission est beaucoup plus élevée… Le consommateur pourrait s’interroger sur la légitimité d’un tel déséquilibre. Les assureurs devraient peut-être songer à se diriger vers des commissions nivelées, estime-t-il.

LES LIMITES DE L’ABF

Finalement, faut-il un formulaire d’analyse des besoins financiers (ABF) universel? Pour un même client, une ABF réalisée par plusieurs conseillers peut donner des résultats différents, comme personne n’utilise le même formulaire.

Si Hugo Neveu prêche pour un formulaire de collecte de données uniforme, Frédéric Perman estime qu’il faut faire confiance au jugement des professionnels, qui connaissent leur client. Ce dernier est d’ailleurs en mesure d’approuver ou pas les recommandations de son conseiller.

« Mais l’ABF est parfois trop vague. On le voit, elle est souvent l’objet de contestations devant le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière. Elle mérite d’être un peu mieux encadrée », ajoute-t-il.

De son côté, Yves Lefrançois estime qu’il faudrait donner les moyens aux agents généraux de superviser les représentants pour s’assurer que l’ABF est effectuée dans les règles de l’art. « Là, les représentants doivent se superviser eux-mêmes… »

Si plusieurs de ces changements sont hypothétiques, d’autres risquent de survenir dans un avenir proche. Et sur ce point, tous les intervenants sont d’accord : ce sont ceux qui sauront les transformer en occasions d’affaires qui en ressortiront gagnants.

Christine Bouthillier

Titulaire d’un baccalauréat en science politique et d’une maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal, Christine Bouthillier est journaliste depuis 2007. Elle a débuté sa carrière dans différents hebdomadaires de la Montérégie comme journaliste, puis comme rédactrice en chef. Elle a ensuite fait le saut du côté des quotidiens. Elle a ainsi été journaliste au Journal de Montréal et directrice adjointe à l’information du journal 24 Heures. Elle travaille à Conseiller depuis 2014. Elle y est entrée comme rédactrice en chef adjointe au web, puis est devenue directrice principale de contenu de la marque (web et papier) en 2017, poste qu’elle occupe encore aujourd’hui.