Comité de discipline : deux juges vous disent tout

27 octobre 2014 | Dernière mise à jour le 27 octobre 2014
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Louis Lespérance, président de BECAS Assurances, membre du comité de discipline de la CSF de 2009 à 2012.

Vous connaissez sans doute un conseiller qui est déjà passé devant le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CSF). Peut-être avez-vous, vous-même, été convoqué devant le tribunal en déontologie. Conseiller a rencontré deux représentants qui ont déjà occupé la délicate fonction de juger leurs pairs.

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Pas de zone grise

Durant l’audience, seul le président du comité pose des questions. Si ses co-juges souhaitent demander une précision, ils chuchotent leur question au président, qui la pose directement à l’intimé.

« Notre rôle est d’être objectif sans idée préconçue, ni aucune recherche préalable, expose Louis Lespérance. Nous ne sommes pas des enquêteurs. Nous entendons les faits qui nous sont présentés, et nous déterminons s’il y a une infraction déontologique ou non. »

Pour cet ancien membre du comité de discipline, il n’y a pas de zone grise. « La déontologie, c’est blanc ou noir, dit-il. L’intimé a-t-il fait ce qu’on lui reproche ou pas ? Si oui, c’est une autre histoire de le justifier. Ce qui compte, c’est si le geste a été posé. »

L’attitude des accusés varie beaucoup. « Certains arrivent sincères, d’autres s’en fichent, témoigne Louis Lespérance. D’autres encore assurent qu’ils n’avaient pas le choix. »

L’étendue des accusations est très variable aussi. « On voit des faillites de clients dues aux agissements de leur conseiller », regrette Louis Lespérance, en se souvenant d’un octogénaire qui avait vu tout son argent dilapidé par son conseiller.

Ce genre de conséquences sont aggravantes pour l’accusé. Quand le client est lésé, ou si le représentant est un récidiviste, la sanction est pire, précise M. Lespérance, « surtout quand les faits sont les mêmes, comme signer à la place du client ».

Tout au long de son expérience au comité de discipline, Yvon Fortin a vu un type d’accusation prendre de l’ampleur : l’appropriation de fonds. « C’est devenu le chef d’accusation le plus fréquent. Ces plaintes-là sont rarement mal fondées. Et quand il y a appropriation de fonds, ce n’est pas accidentel, c’est conscient de la part du représentant. »

Yvon Fortin a également vu croître la présence d’avocats aux audiences au fil des années. « Il y a 15 ans, beaucoup de gens se représentaient eux-mêmes, évoque-t-il, mais c’était l’époque du tribunal du gros bon sens. Aujourd’hui, ça se rapproche des grands tribunaux. Il y a des règles à suivre, une façon de présenter les choses… Quand on en est à parler de la preuve, on n’en est pas au plaidoyer. »

L’enjeu des doubles poursuites

Parallèlement à la procédure devant le comité de discipline, d’autres poursuites peuvent être lancées au civil et au pénal. C’est le cas quand l’Autorité des marchés financiers se saisit du dossier. « Les conséquence n’interfèrent pas dans notre décision », assure Yvon Fortin.

Toutefois, « depuis 2011, la Loi sur la distribution de produits et services financiers permet que des procédures disciplinaires puissent être entreprises contre un même représentant tant par la syndique de la Chambre devant notre comité de discipline que par l’Autorité devant le Bureau de décision et de révision, ou même par les deux devant l’un ou l’autre de ces forums. C’est loin d’avoir été une mesure recherchée par la Chambre », indiquait Luc Labelle, le président et chef de la direction de la CSF, dans un discours prononcé devant le Cercle de la finance internationale de Montréal, le 10 avril 2014.

« Cette mesure peut forcément créer des dédoublements de justice disciplinaire, et occasionner de la duplication d’actions sur le plan des enquêtes et des mesures d’application », précisait aussi M. Labelle. Il avançait également avoir « entrepris des discussions avec l’Autorité en vue de mieux se coordonner dans l’administration de la Loi sur la distribution des produits et services financiers. (…) Au fond, tout cela est financé par les mêmes joueurs, il ne faut pas l’oublier ». La CSF a refusé de préciser à Conseiller où en sont les discussions avec l’Autorité.

À la fin de l’audience, les trois juges font une synthèse. Il leur arrive de continuer à échanger, notamment par conférence téléphonique. « Le président rédige le procès et nous soumet le document pour voir si tout est conforme à ce qu’on a entendu », précise M. Lespérance.

La décision se prend à trois. « Le président du comité n’a pas préséance, affirme Yvon Fortin. Il m’est arrivé d’être en désaccord avec lui. Cette fois-là, j’avais même écrit ma décision, pour expliquer que l’intimé était responsable. Ça a fait un charivari car l’autre membre s’est finalement rallié à ma décision ! » La sanction va de la réprimande à la radiation permanente, en passant par une amende ou la radiation temporaire.

En 2013, le comité de discipline a retenu 414 des 438 chefs d’accusation présentés par la syndique de la CSF, soit 94,5 % des chefs d’accusation. Une seule plainte n’a donné lieu à aucune sanction (ni amende ni radiation), le chef d’accusation ayant été retiré.

Au final, Yvon Fortin et Louis Lespérance se disent très satisfaits de leur expérience en tant que juges. « J’ai participé au mieux-être de la profession et au maintien de l’intégrité, se félicite M. Lespérance. Cela m’a renforcé dans l’idée de mettre le client avant tout. C’est toujours le client qui prévaut sur tout geste professionnel. »

« Cela nous apporte aussi beaucoup à titre personnel, ajoute Yvon Fortin. Cette expérience me permet d’être plus vigilant dans mon exercice, même si personne ne peut prétendre à la perfection. »

En chiffres

  • 300 dollars : C’est le montant des honoraires versés par jour d’audience ou de délibéré à chaque membre du comité de discipline qui entend une plainte.
  • 120 dollars : C’est le montant versé par heure d’audience ou de délibéré ou de rédaction de la décision au président du comité de discipline, ou à celui ou celle qui le remplace (vice-président ou présidents suppléants). Il a également droit à 120 dollars de plus à titre de frais reliés au dossier.
  • En 2013, la syndique de la CSF a transmis 87 dossiers au comité de discipline. La CSF comptant près de 32 000 membres, c’est donc à peine 3 représentants sur 1 000 qui ont fait l’objet d’une présentation devant le tribunal professionnel.
  • La même année, 68 plaintes ont été entendues par le comité de discipline : 19 % concernaient le domaine des valeurs mobilières, 60 % visaient un représentant en assurance de personnes et 21 % touchaient à ces deux domaines.

À propos du comité de discipline

  • Le président (Me François Folot) et le vice-président (Me Jean-Marc Généreux) du comité de discipline de la CSF sont nommés par le ministre des Finances pour une période maximale de cinq ans. L’un ou l’autre peuvent présider les audiences, ainsi que l’un des trois présidents suppléants (Me Sylvain Généreux, Me Janine Kean, Me Claude Mageau).
  • «  Le comité de discipline de la Chambre est saisi de toute plainte écrite formulée contre un représentant par le syndic ou un tiers pour une infraction relative à la Loi sur la distribution de produits et services financiers, à la Loi sur les valeurs mobilières ou à leurs règlements. Le comité a compétence pour statuer sur les plaintes portées contre les représentants en assurance de personnes, les représentants en assurance collective, les représentants de courtier en épargne collective, les représentants de courtier en plans de bourse d’études et les planificateurs financiers. »
  • « Au terme de l’enquête, le syndic analyse le dossier et décide de porter plainte devant le comité de discipline ou non. Dans l’éventualité où aucune accusation n’est déposée contre le représentant, des mesures administratives peuvent s’imposer. Ces mesures peuvent prendre la forme de lettres de mise en garde, de lettres d’avis, de rencontres afin de discuter de la pratique professionnelle déviante ou d’un engagement à se conformer aux règles d’éthique. »

Source : Chambre de la sécurité financière

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Notre dossier sur les 15 ans de la CSF :

Ce texte est paru dans l’édition d’octobre 2014 de Conseiller. Cliquez ici pour consulter l’ensemble du numéro.