Conseiller débutant cherche clients sans préjugés

Par Hélène Roulot-Ganzmann | 14 octobre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
11 minutes de lecture

Pas toujours simple d’être pris au sérieux quand vient le temps de planifier la retraite d’un client de 20, 30, voire 40 ans son aîné. Voici les conseils de vos confrères pour gagner en crédibilité.

Mélanie Lagacé a 37 ans. Elle vient tout juste d’obtenir son diplôme de planificatrice financière auprès de l’Institut québécois de planification financière (IQPF), mais elle a embrassé la carrière de conseillère à l’âge de 24 ans.

« Je fais toujours très jeune, mais à l’époque, on me donnait 18 ans, raconte-t-elle. C’est quelque chose que j’abordais tout de suite lors de la première rencontre avec les clients. Je leur disais que je n’avais pas l’âge que mon apparence me donnait, et je mettais de l’avant ma formation. »

Mme Lagacé a donc choisi la tactique de la justification, histoire d’évacuer illico le problème, et cela semble avoir fonctionné pour elle. Mais d’autres recommandent de ne pas démarrer la relation de cette façon.

Mélanie Lagacé

Mélanie Lagacé

« Je leur disais que je n’avais pas l’âge que mon apparence me donnait et je mettais de l’avant la formation que j’avais. »

– Mélanie Lagacé

« Beaucoup de jeunes conseillers n’assument pas leur manque d’expérience et ils font valoir leurs diplômes et formations au premier contact, indique par exemple Rob Kochel, vice-président d’Invesco Consulting. Nos recherches démontrent que cette approche ne donne pas de très bons résultats car elle manque souvent de naturel. En réalité, les investisseurs préfèrent l’apprendre au fil de la conversation. Ils souhaitent que le conseiller leur parle d’eux, pas de lui. Il vaut mieux agir en professionnel plutôt qu’avoir à prouver qu’on l’est. »

PRENDRE LE TEMPS

Lorsqu’il s’agit de préparer sa retraite, la relation entre le client et le conseiller est imaginée sur le long, voire le très long terme. Et le sujet est particulièrement sensible puisque le moindre faux pas peut avoir des conséquences très préjudiciables, comme le fait de devoir reculer le moment de quitter la vie active, ou de renoncer à ses rêves de voyages ou de chalet.

« Dans le contexte de fraudes et de scandales qui ont secoué l’industrie ces dernières années, il est normal que le client soit inquiet lorsqu’il nous rencontre pour la première fois, admet Hugo Neveu, jeune conseiller en sécurité financière chez Hugo Neveu services financiers, et membre fondateur du Regroupement des jeunes courtiers de Québec (RJCQ). Leur crainte, c’est que nous ne soyons que de passage et que nous partions avec leur pactole. Lorsque que ça fait vingt-cinq ans que tu es installé, c’est assez facile de les rassurer, mais quand tu arrives et que tu n’as pas de références, il faut faire preuve d’imagination, de confiance en soi et, surtout, de patience. »

Prendre le temps. Écouter. Plus une personne est âgée, plus elle va avoir de temps et plus elle aura envie qu’on l’écoute, estiment les conseillers, toutes générations confondues.

« Avant de savoir comment la financer, un client doit déterminer le type de retraite qu’il souhaite, indique Rob Kochel. Le premier pas, c’est donc de l’aider à se visualiser à la retraite. S’il peut s’y voir, il va s’investir et s’assurer que son conseiller trouve les moyens d’y parvenir. Moins ils ont d’expérience, plus les conseillers démarrent leur entretien en parlant argent. C’est la pire des approches. »

« Il faut démarrer l’entretien 100 % préparé et savoir de quoi on parle, mais il faut surtout comprendre les attentes du client, confirme M. Neveu. Or, tous envisagent leur retraite de manière différente. Quels sont ses objectifs, son bagage, par quoi il a été déçu dans la vie, est-ce qu’il a vécu des choses agréables, désagréables, etc. ? Cela peut nécessiter plusieurs rendez-vous avant même de sortir nos batteries de chiffres. Le problème, c’est qu’en tant que jeune conseiller, c’est ce qui nous manque le plus, le temps. Mais un client âgé est souvent bien plus rentable qu’un jeune. »

Annie Bienvenue

Annie Bienvenue

« Ils doivent s’intéresser à ce public. Lire des articles, écouter des récits, saisir dans quel contexte il a grandi, puis vieilli. »

– Annie Bienvenue

COMPRENDRE CE CLIENT

Prendre le temps de connaître le client, discuter, rebondir. Oui, mais comment, alors que les sujets de conversation, les préoccupations, la situation économique, les besoins, les intérêts, le langage même, sont radicalement différents entre un boomer qui prépare ses vieux jours et un Y qui débarque sur le marché du travail ?

« Il y a un décalage entre les générations, admet Annie Bienvenue, conférencière, formatrice, coach et blogueuse pour conseiller.ca. Les anciens ont été éduqués dans le respect de la hiérarchie et ils s’attendent aujourd’hui à recevoir ce même traitement. Les jeunes conseillers doivent le leur donner puisqu’ils sont en position de service. Ils doivent également s’intéresser à ce public. Lire des articles, écouter des récits, saisir dans quel contexte il a grandi, puis vieilli. Je ne pourrai jamais rien lui vendre si je ne le comprends pas. »

« Il y a des sujets qui sont universels, complète Sylvie Lauzon, directrice régionale à RBC Planification financière. La famille, par exemple. La plupart du temps, c’est très important pour les clients les plus âgés. Ils parlent tous ou presque de leurs petits-enfants. Les jeunes planificateurs ont eux aussi une famille, des grands-parents, des neveux, des nièces, une culture familiale à laquelle se référer. »

Mme Lauzon, qui supervise une vingtaine de planificateurs dont la moitié a entre 26 et 35 ans, indique par ailleurs qu’il s’agit d’un enjeu qui est abordé dans les modules de finance comportementale que l’IQPF offre à ses étudiants depuis maintenant plusieurs années. En arrivant sur le terrain, ce problème du fossé générationnel n’est donc pas totalement une surprise, pour les planificateurs tout du moins.

« C’est vrai, mais les clés, il faut aller les chercher en nous », nuance Pierre-Luc Lavoie qui, à 25 ans, est sorti major de la promotion 2014 de l’IQPF. « Je travaille chez Desjardins Vallée de la Matapédia dans le Bas-Saint-Laurent. Mon portefeuille est composé de préretraités et d’entrepreneurs. Très peu sont jeunes. La plupart me parlent de chasse, de pêche, de quatre-roues. Alors, je me tiens au courant sur ces sujets. Pour le reste, je me suis toujours investi dans la communauté. J’ai toujours côtoyé des gens de toutes les générations. »

Avoir confiance pour inspirer confiance

Faire preuve de confiance en soi, montrer que l’on est en plein contrôle de la situation, voilà qui semble être le maître mot lorsqu’un conseiller souhaite convaincre un client de le suivre. Facile à dire. Moins facile à faire lorsque l’on sort de l’école et que l’on n’a aucune expérience.

« Personne n’a aucune expérience, objecte Annie Bienvenue. On peut avoir fait de la compétition de haut niveau, avoir gagné sa vie pour financer ses études, avoir été sauveteur, avoir accompli des choses dont on est fier, etc. Il faut arriver devant le client avec notre bagage au complet. »

Ça passe aussi par le non verbal, ajoute la spécialiste du comportement. La poignée de main, le sourire, la voix, la respiration, l’attitude, la gestuelle, tout en soi doit être dénué de nervosité.

« Quatre-vingt-treize pour cent de la confiance que l’autre place en nous vient du non verbal, indique-t-elle. Ma crédibilité provient de la cohérence entre ce que je pense, ce que je dis et ce que je dégage. Si les trois disent la même chose, ça fonctionne. »

Pierre-Luc Lavoie

Pierre-Luc Lavoie

« Ça paraît que tu n’as pas son expérience et tu dois les convaincre en quelques minutes que tu ne vas pas les envoyer dans le mur… »

– Pierre-Luc Lavoie

COACHING

Il admet cependant s’être fait aider au début par le collègue qu’il a remplacé.

« Il y a eu transfert de connaissances terrain, explique-t-il. C’est sûr qu’au début, ce n’est pas facile. Les clients sont habitués à parler avec un interlocuteur, ils lui font confiance et toi, tu dois reprendre les rênes. T’es bien moins âgé que lui. Ça paraît que tu n’as pas son expérience et tu dois le convaincre en quelques minutes que tu ne vas pas l’envoyer dans le mur… Être présenté par son prédécesseur, ça aide pas mal. »

D’autant que les jeunes conseillers qui se retrouvent avec une clientèle âgée sont souvent ceux qui l’ont rachetée à un conseiller prenant lui-même sa retraite. Celui qui se construit sa propre clientèle aura en effet plutôt tendance à aller la chercher dans une fourchette oscillant entre dix ans de moins et dix ans de plus que lui.

À l’instar de Laurie Therrien, 30 ans, planificatrice financière chez Therrien Alain Services financiers.

« J’ai commencé à 19 ans dans le cabinet qui appartenait à mon père et je suis passée par presque tous les postes, raconte-t-elle. C’est sûr qu’au départ, ce n’était pas facile d’établir ma crédibilité chez les retraités et les préretraités. Certains clients étaient plus réticents que d’autres. La transition s’est faite sur plusieurs années et petit à petit, les bras se sont décroisés. J’ai gagné leur confiance. Mon père m’a toujours présentée comme sa relève. Aussi, il a toujours dit que celle qui en connaissait le plus en matière de normes légales et fiscales, par exemple, c’était moi. Parce que, justement, je sortais de l’école. »

PLUS OBJECTIFS

Aujourd’hui, son père a quitté le cabinet et Mme Therrien a refait une segmentation avec des clients plus près de son âge. « Qui finissent par m’envoyer leurs parents, ajoute-t-elle. Ils apprécient le fait que je sois jeune parce que, me disent-ils, je vais pouvoir les suivre tout au long de leur retraite. »

Il n’y a donc pas que des désavantages à être jeune conseiller, alors même qu’on va devoir encore travailler trente, quarante, parfois cinquante ans, avant de finir par atteindre la retraite soi-même.

« Ça rend le conseiller plus objectif, croit d’ailleurs Pierre Larose, planificateur financier proche de la retraite, qui forme depuis quelques années sa relève. Il n’est pas lui-même aux prises avec ses doutes par rapport à sa propre retraite, il est plus détaché. D’autant que les conseillers ne sont pas toujours les mieux chaussés de ce point de vue… Avant de parler retraite avec ses clients, un jeune conseiller peut par ailleurs faire la preuve de ses talents sur un tout autre sujet. Une fois la confiance du client acquise, il n’aura aucun souci à l’emmener vers le thème le plus délicat en général, à savoir la planification de la retraite. »

Cravate et talons hauts ?

Gagne-t-on en crédibilité lorsque l’on met une cravate pour les hommes, des talons hauts pour les femmes ? Est-ce d’autant plus important que l’on est jeune et que l’on souhaite convaincre un client âgé ? À ces questions, les réponses divergent.


«Dans mon service, tous les planificateurs sont en complet-cravate, quel que soit leur âge. Les femmes sont en tailleur. Nous évoluons dans une industrie très traditionnelle, être bien habillé, ça contribue à inspirer confiance au client. »

– Sylvie Lauzon


« J’ai l’habitude de dire que, dans une réunion, le conseiller doit être la personne la mieux habillée. Il détient l’avenir du client entre ses mains. Rien qu’avec son apparence, il peut le convaincre qu’il est taillé pour ça. »

– Rob Kocher


« Un conseiller doit porter ce qui lui permet de se sentir en confiance. Le jeans-t-shirt n’est pas un bon choix si ma confiance s’enlise parce je sens dans le regard de l’autre que ce n’est pas adéquat. »

– Annie Bienvenue


« J’essaye d’être un caméléon car on a souvent tendance à faire confiance aux gens qui nous ressemblent. Je ne porte jamais de jeans à la première rencontre et, par la suite, j’avise. »

– Hugo Neveu


«Je serais bien mal placé pour conseiller qui que ce soit en la matière… moi qui n’ai porté ni cravate ni veston depuis plus de quinze ans ! »

– Pierre Larose


«Dans ma région, l’habillement n’a aucun impact. Ma clientèle a beau être âgée, je m’habille jeune, je ne porte pas de chemise brune. Je crois que les gens apprécient ce côté dynamique. »

– Pierre-Luc Lavoie


• Ce texte est paru dans l’édition d’octobre 2016 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Hélène Roulot-Ganzmann