Coût du sort – Quand le cabinet est en péril

7 septembre 2015 | Dernière mise à jour le 7 septembre 2015
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Les cabinets de services financiers, comme n’importe quelle entreprise, doivent un jour ou l’autre faire face à un coup dur. Décès, maladie grave, invalidité, catastrophe naturelle… Seriez-vous prêt si le malheur frappait ?

Daniel Bissonnette, planificateur financier et chef de la conformité à Planifax, se rappelle d’une période particulièrement ardue. « Une personne de notre cabinet a eu de graves problèmes de maladie mentale, et a fini par se suicider. C’était la première fois que nous vivions une chose pareille. C’était déroutant et extrêmement difficile pour tout le monde. On travaillait avec cette personne depuis 20 ans, et on n’a rien vu venir… », confie-t-il.

Les clients dont s’occupait le représentant ont été transférés à deux de ses collègues. Mais comme un malheur n’arrive jamais seul, l’un d’entre eux s’est tué dans un accident de la route. « Par la suite, la transition a été très éprouvante, il y a eu beaucoup de travail à faire pour remonter la pente », se remémore M. Bissonnette.

Un événement tragique a aussi secoué l’équipe du cabinet SFL du Fjord à Chicoutimi, raconte sa directrice et planificatrice financière, Hélène Deschênes. « L’un de mes directeurs adjoints s’est noyé durant la fin de semaine. Il est parti le vendredi et il n’est jamais revenu… Sur le plan humain, cela a été extrêmement difficile, et sur le plan professionnel, nous n’avions personne pour prendre la relève à court terme. J’ai donc tenu le fort pendant les mois qui ont suivi, bien que mon horaire était déjà très chargé, ce qui a fait augmenter mes tâches de façon exponentielle », explique-t-elle.

Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers, a lui aussi quelques tristes souvenirs à partager. « L’un de nos conseillers et sa femme ont été assassinés par l’un de leurs fils. Ça a été terrible. Ce représentant était assez jeune et n’avait pas encore pris de dispositions, mais il avait eu des discussions avec un collègue pour mettre en place une convention prévoyant un achat croisé de clientèle advenant le décès ou l’invalidité de l’un ou de l’autre. Je l’ai mentionné au second fils du conseiller décédé, mais celui-ci a finalement choisi de vendre à quelqu’un d’autre », indique M. Savard. Outre la perte tragique d’un collègue, le cabinet a donc dû composer avec la perte de clientèle.

« Si le cabinet n’est pas bien structuré, ça va être dur. Et dans un petit marché, lorsque la compétition l’apprend, on peut perdre des clients. » – Gino-Sébastian Savard

Gino-sébastian Savard

PENSER À LA RELÈVE

Car au-delà des drames humains, il faut aussi pouvoir garder les affaires à flot. « Si le cabinet n’est pas bien structuré, ça va être dur. Et dans un petit marché, lorsque la concurrence l’apprend, on peut perdre des clients », prévient M. Savard.

Certes, depuis avril 2012, le plan de continuité des activités (PCA) a été rendu obligatoire par l’Autorité des marchés financiers. Cet outil incite les gestionnaires à réfléchir et à mettre en place une stratégie au cas où un évènement (incendie, inondation, pandémie…) mettrait les activités du cabinet en péril. Toutefois, un PCA c’est bien, mais cela ne suffit pas. Car qu’advient-il des dossiers clients gérés par un conseiller si celui-ci tombe malade, devient invalide ou décède ?

« Dans un cabinet où l’on travaille en duo ou en équipe de plusieurs personnes, je recommande de prendre des ententes entre associés », conseille Sylvain B. Tremblay, vice-président, gestion privée à Optimum gestion de placements et vice-président du conseil d’administration de l’Institut québécois de la planification financière. Par exemple, si l’un des associés devient inapte ou décède, l’autre prendra la relève. « Il s’agit de prévoir le rachat des parts de l’associé invalide ou décédé par les autres associés. On retrouve fréquemment ce type de convention dans des associations de professionnels et d’associés en affaires. Elles sont préparées par un avocat d’affaires ou un notaire », soutient M. Tremblay, qui ajoute que des ententes de ce type sont effectivement prévues par Optimum.

En tout état de cause, selon André Buteau, planificateur financier pour la Financière Liberté 55, il est essentiel de mettre en place des stratégies flexibles qui peuvent s’adapter aux différents cas de figure pour la prise en charge de la clientèle. « Au final, il faut toujours se rappeler que c’est de la responsabilité du cabinet d’assurer le suivi du service aux clients », assure-t-il.

« Pour un cabinet où l’on travaille en duo ou en équipe de plusieurs personnes, je recommande de prendre des ententes entre associés. » – Sylvain B. Tremblay

Sylvain B. Tremblay

Que faire lorsqu’on travaille en solo ? Idéalement, on trouve un « dauphin », à qui on vendra notre clientèle lorsque l’on se retirera des affaires. « On peut former un collaborateur de confiance, avec qui l’on s’entend bien et qui travaillera avec nous. Cela permet d’assurer une belle continuité lorsqu’on transférera les dossiers à ce collaborateur », souligne Mélissa Lanthier, conseillère en sécurité financière, en assurance et rentes collectives chez Lafond Services financiers.

En s’y prenant à l’avance, on aura aussi l’occasion de présenter aux clients la personne qui prendra la relève, afin qu’un lien de confiance puisse s’établir entre eux. Attention de ne pas attendre trop longtemps, il pourrait être trop tard… « L’un de nos représentants, qui travaillait dans le secteur de Mont-Joli, a eu un grave problème de santé mais ne s’est pas occupé de sa relève pour autant. Il est retourné au travail et, quelque temps plus tard, une crise cardiaque l’a emporté. Même si notre cabinet a assuré l’intérim, nous n’avons pas réussi à lui trouver un successeur dans la région et, au bout du compte, ce qui restait de ses clients – beaucoup étaient partis – a été racheté par un jeune conseiller », raconte Gino-Sébastian Savard, qui rappelle par cet exemple l’importance de prévoir des ententes avec d’autres conseillers ou des associés pour les cas d’invalidité et de décès.

À Planifax, les événements douloureux ont incité les gestionnaires à entreprendre une réflexion. Ainsi, témoigne Daniel Bissonnette, les conseillers ont pris des ententes entre eux, qui prévoient les différents cas d’invalidité. « Pour le court terme par exemple, soit 90 jours et moins, un collègue prend la relève et perçoit des honoraires. Pour le moyen terme, le remplaçant sera rémunéré à partir des frais de service. On demande aussi à chaque personne d’exprimer des vœux dans son testament concernant le transfert de clientèle et le cabinet essaye de les respecter, autant que possible. »

Hélène Deschênes mentionne que des mesures ont aussi été prises dans son cabinet, après l’accident qui a coûté la vie à l’un de ses directeurs. « Cet événement nous a permis de prendre conscience de nos lacunes. La description des tâches est désormais plus détaillée, et nous avons mis en place des procédures opérationnelles et des systèmes qui permettent la libre circulation de l’information dans l’équipe », fait-elle valoir.

PRÉVOIR DES ASSURANCES

Certaines assurances peuvent aussi donner un bon coup de pouce en cas de coup dur, affirme Raphaël Hainault, planificateur financier à la Financière des professionnels. « Il existe une assurance protection pour employé-clé, qui couvre la vie et l’invalidité. La prestation est payable à l’employeur, ce qui lui permet de continuer à faire rouler son entreprise. Cette assurance est assez onéreuse, surtout en ce qui concerne l’invalidité, mais cela peut valoir la peine compte tenu de la perte de revenus qu’elle couvre. »

Si on pratique en solo, on peut aussi s’assurer soi-même en tant qu’employé-clé, suggère M. Savard, pour une somme correspondant au prix de vente de sa clientèle. « Si l’on décède, on pourra donc léguer à sa succession la pleine valeur de son cabinet », souligne-t-il.

En cas de convention entre conseillers pour le rachat de la clientèle au décès, prendre une assurance vie bénéficiant à son successeur est également une bonne idée. « C’est aussi vrai entre associés. Par exemple, si une convention prévoit le rachat des parts du défunt par ses associés, avoir prévu une assurance vie fait en sorte que l’on n’a pas à payer la succession à même les capitaux du cabinet, et mettre les finances de celui-ci en péril », souligne Sylvain B. Tremblay, qui conclut que dans ce domaine, on ne peut rien laisser au hasard, car « au bout du compte, c’est le client qui écope si on n’a pas bien fait les choses ».


• Ce texte est paru dans l’édition de septembre 2015 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.