De la Table ronde des millionnaires au comité de discipline

Par Didier Bert | 24 janvier 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : phartisan / 123RF

Elle donnait des conférences pour la Table ronde des millionnaires… À présent, la planificatrice financière Pascale Cauchi est accusée d’avoir encaissé des commissions de 5,5 millions de dollars en infraction avec le code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (CSF).

On lui reproche d’avoir agi comme intermédiaire en vendant pour 111 millions de dollars en licences et franchises de la société Prospector Networks à 150 de ses clients entre 2003 et 2007, peut-on lire dans la plainte signifiée en 2015. Le comité de discipline de la CSF vient d’achever les douze audiences relatives à cette cause, qui se sont tenues d’octobre à début décembre 2018. Initialement, la cause devait être entendue au printemps 2016.

La firme Prospector a finalement plaidé coupable à des accusations de fraude fiscale en 2015. Elle vendait en effet ces franchises en prétendant qu’elles vaudraient de généreux avantages fiscaux à ses acquéreurs… que l’Agence du revenu du Canada (ARC) leur a ensuite refusés.

Les investisseurs se voyaient proposer d’importantes économies d’impôt en achetant une franchise de commercialisation de logiciels. Ils effectuaient cet achat à crédit, en ne versant qu’un acompte de 50 % au promoteur, mais pourraient déduire presque la totalité du coût d’acquisition de leur revenu annuel imposable, se sont-ils fait promettre.

Pour ces ventes de franchises de commercialisation de logiciels, Mme Cauchi aurait reçu une rémunération de plus de 5,5 millions de dollars, « correspondant à environ 2,2 millions de dollars en espèces et 3,2 millions de dollars à titre de compensation sur les intérêts et capital dus sur les licences et franchises octroyées par la société à l’intimée », indique la plainte disciplinaire.

La conseillère est aussi accusée d’avoir fait signer en blanc 22 formulaires à huit de ses clients et de ne pas avoir respecté les limites de sa certification en faisant souscrire des contrats de franchise et de licence d’emploi de logiciels à cinq de ses clients.

DES INFRACTIONS MULTIPLES

La syndique adjointe de la CSF reproche à Pascale Cauchi d’être allée au-delà de ce que ses permis l’autorisaient et d’avoir contrevenu à la Loi sur la distribution de produits et services financiers, au Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et au Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières.

Au moment d’écrire ces lignes, Pascale Cauchi était toujours inscrite au registre de l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour le compte de Pascale Cauchi inc. et de Services d’investissement Quadrus en assurance de personnes, assurance collective de personnes, planification financière et comme représentante de courtier en épargne collective.

UN PARCOURS REMARQUÉ

Pascale Cauchi est reconnue comme une conseillère à succès depuis vingt ans. Dans son édition du 1er novembre 1999, la revue Commerce rapportait que Mme Cauchi était « la deuxième meilleure représentante London Life au Canada ». Cette performance lui vaut alors de siéger à un comité de la Great-West, propriétaire de London Life, composé de sept Canadiens chargés de surveiller le marché.

Sa clientèle est composée « principalement de professionnels de la santé tels que des dentistes, des optométristes, des pharmaciens et autres », précise une décision du comité de discipline de la CSF datant du 15 décembre 2017. L’intimée réclamait alors l’arrêt de la poursuite pour délais déraisonnables, requête qui a été rejetée.

Pascale Cauchi préside le chapitre québécois de la Table ronde des millionnaires (MDRT) de 2004 à 2008. Cet organisme international, fondé en 1927 aux États-Unis, rassemble 66 000 professionnels des services financiers dans 71 États. Les conseillers admis doivent avoir atteint un montant minimum de commissions (114 900 $ de commissions accumulées annuellement en 2018). Différents types d’adhésion sont accessibles en fonction du montant des commissions perçues dans l’année. Les membres de l’association doivent démontrer des connaissances professionnelles exceptionnelles, une éthique stricte et un service à la clientèle de haut niveau, précise le site web de MDRT.

Dès sa première année de présidence, Pascale Cauchi donne une douzaine de conférences devant d’autres conseillers. Présente dans les médias, elle souligne sa réussite professionnelle, se targuant notamment d’avoir peu souffert de la crise financière de 2008. Dans des articles parus à cette époque, elle prodigue également ses recommandations aux conseillers pour améliorer leur efficacité.

LE RÔLE DE MME CAUCHI

Dès le 26 octobre 2009, le syndic de la CSF émet un avis d’ouverture d’enquête contre elle, qui débouchera sur le dépôt d’une plainte à la fin de 2014.

En 2012, Pascale Cauchi est citée à titre de témoin dans le dossier Prospector. Par des procédures judiciaires, un investisseur tente d’obtenir une reconnaissance de pertes financières de l’Agence du revenu du Canada, faute d’avoir reçu la déduction du prétendu abri fiscal vendu par la société Prospector World. C’est cette procédure qui permet de constater le rôle joué par Pascale Cauchi dans la vente de franchises distribuées par Prospector.

Lors du procès, des témoins signalent avoir entendu parler de Prospector par leur conseillère, Pascale Cauchi. « Mme Cauchi leur avait présenté Prospector comme un placement, structuré pour donner des avantages fiscaux, dans une entreprise informatique commercialisant de nouveaux logiciels innovateurs ayant un potentiel de croissance à long terme », indique le jugement rendu le 3 mai 2013 par le juge Paul Bédard, qui accueille l’appel de l’investisseur.

« Les franchisés témoins ont témoigné qu’ils ne lisaient pas les contrats que Mme Cauchi avait négociés pour eux. Puisqu’ils avaient une confiance aveugle en Mme Cauchi, ils signaient les contrats qu’elle leur présentait après qu’elle leur avait donné des explications sommaires à l’égard de la nature des documents, des droits des franchisés et de leurs obligations. Je suis d’avis que l’intimée aurait dû assigner Mme Cauchi à témoigner », peut-on lire dans le document.

LA SAGA PROSPECTOR

En 2015, la firme et son promoteur Claude Duhamel plaident coupable à des accusations de fraude fiscale relativement à 56 infractions à la Loi sur les valeurs mobilières, commises entre 2003 et 2007. Prospector avait vendu 1 100 franchises de commercialisation de logiciels à plus de 400 médecins, optométristes et dentistes, pour un total de 35 millions de dollars.

La firme faisait miroiter d’importants avantages fiscaux aux acquéreurs, équivalents à deux fois les sommes déboursées pour se procurer les franchises. Cependant, l’ARC a refusé ces déductions fiscales au motif qu’elles n’étaient pas reliées à une activité d’affaires réelle.

Prospector et Claude Duhamel reçoivent finalement des amendes de 302 000 $ pour collecte illégale de fonds et doivent verser 1,4 million de dollars à l’Agence du revenu du Canada pour fraude fiscale.

Claude Duhamel aurait évité la faillite personnelle de justesse. Une entente avec ses créanciers, dont l’ARC, lui permet de leur rembourser 750 000 $, relevait La Presse en 2011.

Sa dette envers ses créanciers s’élève alors à 46 millions de dollars.

L’AUTORITÉ REPREND L’ENQUÊTE

Bien que Claude Duhamel plaide coupable à des accusations de fraude fiscale en 2015, la Sûreté du Québec (SQ) le soupçonne ensuite d’avoir repris le même stratagème pour vendre des abris fiscaux sous le nom de Edge/Highshare.

La SQ évalue la fraude fiscale à 84 millions de dollars. Mais elle finit par abandonner son enquête à l’automne 2017, ne disposant pas de preuves suffisantes pour déposer des accusations compte tenu de la complexité du dossier, indiquait récemment La Presse.

Toutefois, l’Autorité a repris le dossier au pénal, rapporte le quotidien. Interrogée par Conseiller, cette dernière a refusé de confirmer si l’enquête concernait aussi Pascale Cauchi. « À ce jour, l’Autorité n’a pas déposé de poursuites contre Pascale Cauchi », ajoute Sylvain Théberge, directeur des relations médias de l’Autorité des marchés financiers.

De son côté, le cabinet de Pascale Cauchi a indiqué à Conseiller que celle-ci n’avait « aucun commentaire à faire » sur cette histoire. L’avocat de l’intimée, Me Pascal Pelletier, n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue, tout comme Claude Duhamel.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.