De l’importance du mode de vie

Par Pierre Saint-Laurent | 27 novembre 2015 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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La planification du mode de vie est tout ce que la planification financière n’est pas, c’est-à-dire le complément parfait du rôle prévenant traditionnel du conseiller financier. Son but est d’aller au-delà des préférences du client en matière d’investissement pour comprendre en quoi les choix actuels liés au train de vie et les modèles de dépenses finissent par influer sur les décisions d’investissement.

En adoptant une méthode de planification du mode de vie afin d’identifier et de documenter les principales habitudes d’achat de chaque client à valeur nette élevée, le conseiller en placement peut :

  • se faire une excellente idée des processus décisionnels financiers du client;
  • créer des occasions d’affinité, tenantcompte des intérêts actuels spécifiques du client, afin de le servir d’une manière dynamique et stratégique;
  • constituer une base de données sur le style de vie de chaque client, pour être à même de devenir le «conseiller principal» des clients fortunés et à valeur nette élevée, tout en établissant des relations avec d’autres professionnels qui servent ces clients;
  • maximiser l’effet de levier au sein de la collectivité par le biais du bouche à oreille et des références.

DE L’IMPORTANCE DU MODE DE VIE

Le mode de vie est l’envers de l’investissement : plus le train de vie d’un client est financièrement exigeant, moins ce client aura de revenus disponibles à investir. En fait, une consommation actuelle mal contrôlée ou peu utile accroît le risque de ne pas atteindre les objectifs futurs. Il doit y avoir une relation très étroite entre un plan de mode de vie bien conçu et le plan d’investissement qui en découle.

La planification des habitudes de vie se résume à comprendre les modèles de consommation de l’investisseur (ainsi que ses décisions en matière d’épargne et d’investissement) afin de brosser un tableau complet de ses désirs, besoins et objectifs.

Un conseiller aura intérêt à consacrer autant de temps à établir ce quimotive les besoins de consommation présents d’un investisseur qu’à définir le montant d’argent à économiser pour atteindre les objectifs financiers futurs.

Les questions de planification du style de vie revêtent une importance particulière lorsqu’on traite avec des investisseurs à valeur nette élevée. Ces clients ne sont pas nécessairement fortunés du fait qu’ils gagnent beaucoup d’argent.

Il existe une différence fondamentale entre bâtir sa fortune et maintenir un train de vie somptueux. En fait, les recherches montrent que plusieurs des personnes les plus riches au monde ont tendance à vivre bien en deçà de leurs moyens : elles économisent un pourcentage élevé de leurs revenus et sont extrêmement systématiques et méticuleuses pour ce qui est de l’accumulation de leurs richesses. Ce sont très souvent des entrepreneurs qui comprennent le risque de ne pas économiser pour favoriser leur autonomie financière. Autrement dit, le mode de vie actuel d’une personne est le facteur déterminant le plus important de la préservation de sa fortune, comme le confirme une excellente étude menée auprès d’un échantillonnage de millionnaires américains, publiée par Thomas J. Stanley dans The Millionaire Next Door.

LA VALEUR TEMPORELLE DE L’ARGENT : UN FACTEUR CLÉ

Bien qu’un dollar gagné puisse être utilisé de nombreuses façons, il est soit consommé ou économisé (c’est là l’une des notions les plus fondamentales de l’économie moderne). Pour un niveau de revenu donné, une personne peut décider de maintenir un taux de consommation élevé et choisir de réduire son épargne, ou l’inverse.

Le report de la consommation se traduit par une hausse future de la consommation, permettant du coup à l’investisseur de prendre part à l’un des phénomènes les plus percutants en investissement, à savoir ce que les techniciens de la finance appellent la «valeur temporelle» de l’argent.

Pourquoi donc la valeur temporelle de l’argent est-elle aussi importante? Comme nous le savons tous, le temps, c’est de l’argent (l’argent «patient» résultant de l’intérêt composé) et il favorise toujours l’investisseur qui adopte un horizon d’investissement à long terme et comprend ces principes financiers.

Plusieurs bonnes raisons incitent donc le conseiller à étudier le style de vie de sa clientèle à valeur nette élevée.

La principale, toutefois, est assez simple : bien des gens n’ont pas la moindre idée de leurs objectifs financiers. D’autres sont tellement pris par leurs activités qu’il leur reste très peu de temps pour planifier (sans parler d’optimiser) leurs finances personnelles. La richesse n’est pas synonyme de sagesse financière. Il arrive même que certaines des personnes les plus riches ne comprennent pas en quoi leur mode de vie actuel influe sur leurs affaires à long terme.

En aidant ces derniers clients à examiner leur façon de vivre présente, le conseiller peut évaluer d’une manière réaliste comment ils peuvent continuer de maintenir ou d’améliorer leur mode de vie tout en économisant en vue de la retraite, de la succession ou de la vente d’une entreprise.

REVOIR LE RÔLE DU CONSEILLER

Les personnes fortunées et à valeur nette élevée ont besoin d’aide pour différentes facettes de leur vie. Elles sont en général guidées relativement aux impôts, à la uccession, à la PME et au mode de vie, chaque facette représentant une partie de l’ensemble de leur situation financière.

Pour conseiller ces clients, il faut travailler en collaboration avec d’autres spécialistes (comptables, fiscalistes et autres) qui ont souvent entretenu des relations pendant plusieurs années avec un investisseur. Demandez-vous ce que vous pouvez apporter de plus. Comme spécialiste des finances, une méthode de planification des habitudes de vie peut vous permettre d’offrir de manière inégalée une gamme complète de conseils. Vous avez la capacité de prodiguer de précieux conseils à l’investisseur quant à ses décisions financières actuelles, et non pas simplement aux décisions dont les répercussions ne se feront sentir que dans 20 ou 30 ans. Vous avez l’occasion de proposer un programme exhaustif à l’investisseur disposé à recevoir vos conseils.

De plus, les planificateurs, courtiers, agents d’assurance et services de courtage réduit, ainsi que la nouvelle génération de conseillers associés aux banques, se livrent une bataille de plus en plus féroce pour gérer la fortune des investisseurs. Mais les personnes fortunées et à valeur nette élevée ont des préoccupations différentes de celles de l’investisseur moyen et doivent composer notamment avec des questions telles que les fiducies familiales, la planification successorale et les abris fiscaux. Cela demande des compétences financières qui permettent de traiter les questions particulières relatives à l’entreprise et au style de vie. Une bonne connaissance des modèles de consommation et d’épargne de l’investisseur s’impose pour offrir ce genre de conseils.

LES QUESTIONS PIÈGES

La planification du mode de vie repose sur des principes simples : découvrir ce que les investisseurs achètent, les services pour lesquels ils paient et les caractéristiques de leurs modèles de dépenses. L’objectif est de recueillir des données qui serviront à illustrer les répercussions sur le style de vie choisi et sur les décisions d’investissement. L’exécution d’un tel scénario est parfois plus délicate. Quelles questions poserez-vous? Dans quel ordre? En quoi cela est-il lié à l’investissement? Comment peut-on évaluer le mode de vie de l’investisseur? Comment peut-on l’aider à appliquer à sa situation d’aujourd’hui les avantages propres à la planification du style de vie?

La première étape pour répondre à ces questions est d’évaluer les choix et préférences de l’investisseur concernant le mode de vie, au moyen d’un questionnaire soumis au cours d’une rencontre privée. Typiquement, les questions posées aborderont une vaste gamme de sujets : emploi et satisfaction au travail, mois les plus occupés, appartenance à des associations, loisirs, bénévolat, revues favorites, plans de voyage et de vacances, etc.

Le but est de définir un modèle de dépenses liées au style de vie, classées selon leur importance relative. Par exemple, des vacances hivernales dans les Caraïbes sont-elles relativement plus importantes que des activités équestres l’été? Le classement est subjectif et tient compte des préférences mentionnées.

L’étape suivante consiste à évaluer ces préférences dans une juste perspective. Chaque élément du mode de vie actuel est mis en contraste avec des éléments potentiels du mode de vie futur. Autrement dit, des scénarios ultérieurs sont comparés aux décisions de consommation présentes. Par exemple, l’appartenance à un club dont on ne profite que très rarement peut être évaluée par rapport aux avantages d’investir dans un régime enregistré d’épargne-études qui permettrait aux petits-enfants de fréquenter l’université de leur choix.

La dernière étape consiste à servir le client en fonction du style de vie. Pour y arriver, le plan du mode de vie dresse le tableau des habitudes de vie futures qui soient pratiques, réalisables et conformes au train de vie actuel.

Votre analyse du mode de vie présent d’un client et les conséquences des décisions courantes constituent la base d’un scénario réaliste d’un style de vie futur.

Un nombre surprenant d’investisseurs encaissent paye après paye ou reçoivent un relevé de compte mensuel après l’autre et économisent selon les mécanismes automatiques mis en place. Il est également inquiétant de constater que ces investisseurs à valeur nette élevée ne consacrent pas plus de temps qu’il faudrait à la gestion de leurs finances. Comme le cite Talbot Stevens, dans son best-seller national Financial Freedom Without Sacrifice, même la plus élémentaire discipline consistant à se «payer soi-même en premier lieu» ou à économiser 10 % de son revenu est rarement respectée en pratique; c’est pourtant une discipline qui s’applique aux personnes à valeur nette élevée comme à quiconque.

BIEN MAÎTRISER LES DONNÉES SUR LE CLIENT

L’avantage de documenter un plan de mode de vie au nom de chaque investisseur est que cela permet de créer une base de données exceptionnelle sur les clients. Grâce aux éléments permettant de suivre les besoins et les modèles de consommation actuels des clients, un conseiller peut facilement établir des rapports stratégiques pour offrir des conseils plus appropriés et améliorer le niveau de service offert à chaque client.

Par exemple, une tendance dominante dans les besoins de vos clients aux plans des loisirs, du foyer ou de la famille peut se traduire par une occasion de faire équipe avec des fournisseurs de services de votre région qui comblent ces besoins. Ou encore, vous pouvez identifier certains de vos clients qui consacrent beaucoup de leurs temps libres à une activité précise : collection d’oeuvres d’art, décoration d’intérieur, chasse ou pêche, pour ne nommer que celleslà. Prenons un exemple plus concret : si la moitié de vos clients jouent au golf à intervalles réguliers, votre affiliation à un club de golf ou à un détaillant d’équipement ou encore votre commandite d’événements spéciaux permettront d’associer votre nom à ce type d’activité et favoriseront une visibilité exceptionnelle.

Le fait de vous identifier aux besoins de vos clients concernant leur mode de vie du moment présente des avantages considérables. Les investisseurs cessent de vous considérer strictement comme le spécialiste du placement axé sur l’avenir, mais vous voient également comme celui qui les encourage à vivre pleinement leur vie dès maintenant tout en réalisant leurs objectifs financiers de demain.

QUAND PRÉSENT ET FUTUR SE CÔTOIENT

Il ne fait aucun doute que des objectifs à long terme sont les principaux facteurs de la planification financière de toute une vie; en fait, l’approche à long terme est la base même de l’accumulation d’actif, de la gestion du risque et de la constance. Mais cela soulève précisément la question consistant à établir la façon dont la planification du style de vie complète les moyens traditionnels. Rien ne fait mieux ressortir les avantages des objectifs à long terme qu’un examen minutieux des répercussions des activités financières et économiques présentes sur ces objectifs.

Et n’est-il pas plus facile d’intéresser vos clients à ce qu’ils vivent maintenant plutôt qu’à ces objectifs à long terme, si lointains?

Pierre Saint-Laurent, M. Sc., AFA, est vice-président du marketing à StrategicNova. Économiste d’expérience, il a siégé à plusieurs comités de l’Institut des fonds d’investissement du Canada.


• Ce texte est paru dans l’édition de janvier 2001 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Pierre Saint-Laurent