De l’utilité des programmes de dénonciation

Par Jean-François Parent | 15 novembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les programmes de dénonciation permettent réellement d’endiguer les délits sur les marchés boursiers. C’est du moins le constat posé par trois régulateurs, réunis pour en discuter lors du Rendez-vous avec l’Autorité lundi, à Montréal.

Lancé en septembre dernier, le programme de l’Autorité des marchés financiers (AMF) permet aux lanceurs d’alerte de dénoncer confidentiellement des infractions par la poste ou par courriel. Des ressources sont également consacrées à l’analyse des informations soumises par l’entremise d’une ligne téléphonique d’assistance réservée aux dénonciateurs.

Si le nombre de tuyaux reçus par l’AMF depuis juin semble modeste (une trentaine de dossiers portant sur des infractions commises par des sociétés publiques lui ont été acheminés), il reste que le nouveau programme « donne de bons résultats », selon Éric René, directeur des services d’enquête à l’AMF et responsable du programme de dénonciation.

« Les dénonciations reçues nous ont permis de faire la lumière sur des informations ou même des situations que nous n’aurions jamais pu découvrir par nous-mêmes. C’est donc un outil qui s’avère utile », poursuit-il.

DES TABOUS À BRISER

Mis sur pied au début des années 2000, dans la foulée de l’affaire Enron (elle-même éventée par des dénonciateurs), les programmes de dénonciation sont aujourd’hui la norme dans la majorité des places boursières.

La pente a été abrupte, surtout dans la mesure où les dénonciateurs sont souvent perçus comme des mouchards. C’est pourquoi les programmes ontarien et québécois sont tout récents, explique Heidi Franken, cheffe du Bureau de dénonciation de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO).

« Il faut notamment lancer la discussion sur l’importance de la dénonciation, qui est encore trop mal perçue », dit-elle.

Et si la crise financière des dernières années a favorisé l’essor de programmes de lanceurs d’alertes, beaucoup reste à faire pour les soutenir. Malgré l’adoption de dispositions supplémentaires, comme la loi Dodd-Franck sur les marchés financiers, plusieurs sociétés ne se privent pas de bafouer la réglementation, observe pour sa part Jane Norberg, cheffe du Bureau de dénonciation à la Securities and Exchange Commission américaine.

« Certains contrats d’emploi prévoient des sanctions pour ceux qui recevraient des paiements versés sous les auspices de la loi Dodd-Franck », déplore Jane Norberg.

À l’occasion, des dénonciateurs ont soudainement cessé de collaborer, invoquant la perte de leurs avantages sociaux ou de leur indemnité de départ s’ils dénoncent quoi que ce soit aux autorités, par exemple.

Tout n’est pas perdu cependant, puisqu’il « arrive que nous imposions des sanctions lorsqu’il est clair qu’une société entrave le travail de la SEC », poursuit Mme Norberg.

RÉCOMPENSER OU PAS?

Les risques encourus par ceux qui dénoncent des stratagèmes douteux, visant à flouer les investisseurs, incitent d’ailleurs plusieurs autorités de réglementation dans le monde à offrir des récompenses aux dénonciateurs.

C’est le cas de la CVMO, notamment. Des montants allant de 1,5 à 5 millions de dollars sont prévus au terme des enquêtes menant à des accusations.

« La grande question était de savoir si cela allait en inciter plusieurs à engorger le système avec des plaintes frivoles, relate Heidi Franken. Pour l’essentiel, nous avons surtout des problèmes avec la juridiction des infractions. »

Certains dénonciateurs ne sont pas toujours au fait des zones d’intervention de la CVMO et vont dénoncer des situations qui sont du ressort du fisc, ou d’autres régulateurs.

En vertu de la Loi Dodd-Franck, la SEC peut offrir des récompenses allant de 10 à 30 % des amendes imposées aux sociétés dénoncées. Depuis 2011, 14 000 informations ont été traitées par la SEC, qui a ainsi imposé 504 M$ d’amendes et remis 346 M$ aux investisseurs victimes des stratagèmes dénoncés par les lanceurs d’alerte.

« Au total, 35 dénonciateurs se sont partagés 130 M$ », indique Jane Norberg.

Cette année, la SEC a reçu 30 % d’informations de plus que l’an dernier à propos d’infractions à la Loi sur les valeurs mobilières américaine.

PAS D’INDEMNITÉ À L’AMF

Du côté de l’AMF, on s’est finalement positionné contre la rémunération des dénonciations.

Le régulateur a comparé les programmes ontarien et américain, qui offrent des récompenses aux dénonciateurs, à ceux de l’Australie et l’Angleterre, qui ne rémunèrent pas les lanceurs d’alerte.

« On a remarqué que le simple fait d’avoir un programme structuré pour recevoir les dénonciations augmentait la qualité et l’importance », indique Éric René.

D’une part, le régulateur n’a tout simplement pas les moyens de rémunérer les dénonciateurs. D’autre part, « la majorité des programmes en place dans le monde n’offrent pas de rémunération et fonctionnent très bien », insiste celui qui dirige le programme québécois.

Il dit constater que les dénonciateurs sont surtout des gens proches de l’industrie, qui vivent mal avec ce qu’ils ont constaté et qui ne dénoncent donc pas par appât du gain.

Jane Norberg estime au contraire que les dénonciateurs prennent des risques et qu’ils doivent donc être compensés. « La conclusion est qu’il ne peut être établi avec certitude, à partir de données précises, que l’incitatif financier génère plus de dénonciations de qualité », affirme Éric René.

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Jean-François Parent