Décéder sans testament : le lot de la majorité des Canadiens

19 octobre 2012 | Dernière mise à jour le 19 octobre 2012
9 minutes de lecture

Décéder sans testament peut causer de mauvaises surprises au conjoint survivant, surtout si aucun acte de mariage ou d’union civile n’est venu sceller l’union. « Dans une telle situation, l’enfant hérite de tout », précise Larry Bathurst, planificateur financier, qui a malheureusement dû faire face à un cas semblable parmi sa clientèle.

« Ce n’était peut-être pas ce qu’aurait souhaité le conjoint décédé », croit le planificateur financier.

Ce cas a créé bien des maux de tête à la famille. « En vertu de la loi, la conjointe, qui est aussi mère et tutrice, doit administrer l’héritage légué à son fils, précise Larry Bathurst. Quant à elle, elle ne bénéficie de rien et ne peut utiliser une partie de l’héritage de son enfant pour la gestion de la vie quotidienne. Cela chamboule considérablement la planification financière puisque Madame est maintenant seule à assumer la gestion de la vie familiale. »

« J’ai aussi connu un autre cas : une mère de 18 ans après le décès de son conjoint, ne se sentait pas apte à gérer les biens de son enfant de cinq ans et a donc refusé de le faire. Cela a entraîné la création d’un conseil de famille pour nommer un autre tuteur aux biens de l’enfant. Les frais juridiques associés à cette démarche pour qu’un juge entérine la nomination d’un tuteur se sont élevés à plusieurs milliers de dollars. »

Me Sophie Ducharme, notaire à Gestion privée 1859 (Banque Nationale) a vu un cas semblable. « Il s’agissait d’une famille reconstituée avec présence d’enfants issus d’une première union. Le nouveau couple, non marié, a conjointement acheté une résidence familiale et une résidence secondaire. Monsieur décède sans testament. L’enfant hérite de la totalité, dont la moitié des résidences principales et secondaires. La dame n’était pas dans le besoin, mais elle s’est retrouvée copropriétaire des immeubles avec son beau-fils, dont la mère, l’ex-compagne de Monsieur, agissait à titre de tutrice auprès de l’enfant. Une situation pas très agréable, convenons-en. »

« La préparation d’un testament ne constitue pas qu’une affaire d’argent, mais aussi de cœur, opine Me Ducharme. Un testateur peut s’assurer que tout se déroule bien après son départ. Sentiments et fric mal gérés peuvent constituer un cocktail explosif. »

Peu de testaments signés

Beaucoup de gens s’abstiennent pourtant de préparer leur testament.

Les résultats d’un sondage mené pour l’assureur Lawpro révèlent que la majorité des Canadiens adultes (56 %) n’ont pas de testament signé, ce qui est encore le cas de 24 % des répondants âgés de 55 ans ou plus.

Les trois principaux motifs invoqués pour s’abstenir de préparer un testament paraissent banals : coût trop élevé du document, ignorance de savoir par où commencer et être trop jeune pour que cela en vaille la peine. L’atteinte d’un âge charnière incite davantage les hommes (9 %) que les femmes (5 %) à tester. Pour les hommes comme pour les femmes, cette motivation vient toutefois loin derrière la naissance d’un enfant (30 %), le changement d’état matrimonial (20 %) et l’achat d’une résidence principale (13 %). Les femmes s’abstiennent tout autant que les hommes de tester. « Je démontre à mes clients que la préparation d’un testament ne fait mourir personne », souligne Me Natasha Girouard, notaire à la firme d’avocats BCF. « Je mentionne à mes clients que le règlement d’une succession sans testament s’avère beaucoup plus coûteux que la préparation d’un testament notarié », ajoute Larry Bathurst.

Même chez les baby-boomers fortunés, il en reste 15 % qui n’ont pas préparé de testament. Principal motif invoqué : le manque de temps. C’est ce qui ressort d’un récent sondage en ligne qu’a réalisé Léger Marketing pour BMO auprès de 1002 Canadiens âgés de 45 ans et plus, qui détiennent des biens investis (y compris les biens immobiliers) d’une valeur de 500 000 $ ou plus.

Il est vrai que la préparation d’un testament s’avère parfois complexe. « Le testateur d’une famille recomposée peut peiner à répartir ses biens en cas de décès », mentionne Larry Bathurst.

Bilan de vie, bilan de mort

Larry Bathurst produit plusieurs bilans : un bilan du client en vie, un bilan en cas de décès de l’un des conjoints, de l’autre ou un décès simultané. « Nous y précisons qui héritera s’il n’y a pas de testament. »

« Avant de préparer un testament, il faut préparer un bon bilan de nos biens, poursuit M. Bathurst. Sauf rare exception, mes clients passent ensuite chez le notaire. »

La fiducie testamentaire

L’absence de testament peut conduire à des situations difficiles, mais un testament mal ficelé aussi. Le Code civil prévoit certaines mesures, dont la fiducie, pour éviter que le fisc vienne déstabiliser une situation financière par ailleurs saine.

La fiducie testamentaire bénéficie de certains avantages fiscaux « dont le taux d’imposition progressif, comme un individu, à l’exception de l’exemption personnelle de base. Cela peut permettre d’éviter une ponction du fisc pouvant aller jusqu’à 13 000 $ par année. Il ne s’agit pas d’un report, mais bien d’une déduction », explique Me Natasha Girouard.

La création d’une fiducie au conjoint permettra quant à elle un report d’impôt. « La personne décédée paie un impôt sur son gain en capital. La loi prévoit toutefois une exception : la création d’une fiducie pour son conjoint. Cet outil entraînera un roulement de l’impôt à payer jusqu’au moment du décès de ce deuxième conjoint ou lorsqu’il vendra le bien mis en fiducie », poursuit-elle.

Ce deuxième conjoint pourra aussi réduire la charge fiscale liée à son décès par une donation entre vifs. « Inflation aidant, le transfert de propriété avant le décès diminue les charges fiscales à payer puisque la valeur de l’immeuble est moindre que ce qu’elle sera au moment du décès. On accélère ainsi le paiement de l’impôt, mais la facture est moindre », ajoute la notaire.

La Société de gérance des fonds FMOQ retient trois principaux motifs qui amènent un testateur à créer une fiducie :

  • un remariage (famille reconstituée) : la transmission du patrimoine en fiducie permet au testateur, advenant qu’il décède en premier, de léguer un bien au conjoint survivant pour garantir son bien-être, tout en s’assurant que ce dernier le transmettra, à son décès, aux personnes de son choix (par exemple, ses enfants issus d’une première union);
  • des héritiers mineurs ou inaptes : la fiducie permet une administration des biens adaptée aux besoins des enfants, advenant le décès prématuré des parents. En effet, elle permet de pourvoir à leurs besoins essentiels tout en évitant les règles de la tutelle et de la curatelle et en empêchant qu’un enfant qui n’est pas en mesure de gérer adéquatement son héritage le dilapide, et ce, même s’il a plus de 18 ans;
  • des héritiers autonomes financièrement : dans le cas où l’héritage est important et que les légataires ont déjà des revenus, il est possible de fractionner, entre la fiducie elle-même et les héritiers, l’imposition des revenus engendrés par les biens fiduciaires, et de réduire ainsi les montants d’impôts à payer.

Saviez-vous que…

L’enfant mineur qui dispose de biens de 25 000 $ ou plus, acquis par héritage ou autrement, ne peut gérer seul ses biens, et ses parents non plus. Ils se feront superviser par un conseil de tutelle, qui veillera à la bonne gestion des biens. Le conseil de tutelle devra approuver tout emprunt bancaire ou une vente inférieurs ou égaux à 25 000 $. Au-delà de cette somme, l’autorisation devra provenir du tribunal. Le tuteur doit présenter un rapport annuel au conseil de tutelle et au curateur public. Celui-ci dispose d’un pouvoir d’enquête. Il peut demander au tribunal de changer le tuteur. La fiducie testamentaire au mineur permet d’éviter ces procédures.

Les formulaires de testament sur Internet : un piège?

On trouve sur Internet des sites de vente de formulaires de testament, prérédigés, avec des champs à compléter. Reproduisant la forme d’un document notarié, le document a des allures officielles. « Les gens se sentent protégés par le vocabulaire juridique, argue la notaire Me Sophie Ducharme, mais il s’agit d’une fausse protection. Le testateur n’a pu bénéficier d’un échange avec un notaire et les formulaires génériques ne sont pas adaptés à toutes les situations. Ils occultent la réflexion et, de toute manière, ne dispensent pas de l’homologation devant le tribunal. De plus, ils requièrent la signature de deux témoins non mentionnés dans le testament. En effet, pour être valides, les “testaments-o-matiques” doivent être entièrement rédigés de la main (et non du clavier) du testateur. Quant au testament par vidéo, il n’a encore aucune valeur. »

Un testament notarié demeure toujours la meilleure piste. Il court beaucoup moins le risque d’un conflit d’interprétation entre les héritiers, est plus facile à repérer lors du décès et ne requiert pas les frais d’homologation.

« Quant au planificateur financier, affirme Me Natasha Girouard, celui qui a bien informé son client des règles fiscales liées à un décès facilite notre travail de notaire. »

Cet article est tiré de l’édition de septembre du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.