Des cadeaux empoisonnés?

Par Pierre-Luc Trudel | 3 octobre 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Satisfait de vos services, un client vous offre un cadeau dont la valeur financière est loin d’être anecdotique. Vous êtes touché par une telle attention, mais accepter ce présent pourrait bien vous attirer des ennuis.

La conseillère en sécurité financière Lise Bélanger en sait quelque chose. En juin dernier, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CSF) l’a radiée pour une période de cinq ans parce qu’elle a accepté 20 000 $ en argent comptant offerts par une cliente comme « marque de gratitude ».

En agissant de la sorte, la conseillère s’est placée en situation de conflit d’intérêts, a jugé le comité de discipline.

ZONE GRISE

Problème, le code de déontologie de la CSF n’aborde pas spécifiquement la question des cadeaux, bien que certains articles puissent nourrir la réflexion. De façon générale, il s’agit de s’assurer d’éviter les conflits d’intérêts en ces circonstances.

L’article 18 stipule notamment que « le représentant doit, dans l’exercice de ses activités, sauvegarder en tout temps son indépendance et éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts ».

Les articles 19 et 20 mentionnent également que le représentant « doit subordonner son intérêt personnel à celui de son client » et « doit porter des jugements et formuler des recommandations de façon objective et indépendante, sans égard à son gain personnel. »

DÉPARTAGER L’ACCEPTABLE ET L’INACCEPTABLE

Plus concrètement, accepter un cadeau de faible valeur, telle une bouteille de vin à 20 $, est raisonnable puisque cela ne place pas le représentant dans une situation de conflit d’intérêts. En revanche, il en est autrement pour une bouteille de vin valant 2000 $, explique Julie Chevrette, conseillère principale aux communications et marketing à la Chambre de la sécurité financière.

« Un principe qui peut guider les membres de la CSF est l’indépendance professionnelle et l’intégrité, importantes à préserver dans toute situation », dit-elle.

La CSF invite également les conseillers à se renseigner sur les règles en vigueur auprès du courtier, cabinet ou société auquel ils sont rattachés, chacun d’eux ayant sa propre politique en ce qui a trait aux présents.

PAS D’ARGENT EN CADEAU

Les Règles des courtiers membres de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) se montrent un peu plus précises au sujet des cadeaux en introduisant la notion de « contreparties ».

La règle 43 stipule que les représentants inscrits ne doivent pas, directement ou indirectement, « accepter toute contrepartie, ce qui comprend toute rémunération, toute gratification ou avantage, versée par une personne autre que le courtier membre pour des services rendus à un client ».

L’organisme indique cependant qu’un représentant peut accepter « une contrepartie autre que de nature financière, de valeur minime, versée sporadiquement, de sorte qu’elle ne peut permettre à une personne raisonnable de conclure qu’elle cause une situation de conflit d’intérêts ou qu’elle influence de manière indue le courtier membre, ses employés ou ses mandataires ».

UNE QUESTION DE JUGEMENT

Dans le cas de Lise Bélanger, le comité de discipline de la CSF lui a notamment reproché d’avoir caché à son employeur qu’une cliente lui avait fait un « don » de 20 000 $. Sa sanction aurait-elle été différente si elle avait divulgué ce cadeau?

La Chambre indique ne pas pouvoir se prononcer spécifiquement sur la décision qu’aurait prise le comité de discipline si les circonstances avaient été différentes, mais pose tout de même la question suivante : l’employeur aurait-il permis que la représentante accepte un cadeau d’une somme si importante? Les chances sont plutôt minces, si l’on se fie aux règles qui prévalent dans la majorité des institutions financières.

À TD, par exemple, on conseille aux employés de « ne pas accepter un cadeau, une activité de divertissement ou tout autre avantage dont la valeur est autre que symbolique de la part de clients actuels ou potentiels », note Fiona Hirst, directrice, Affaires internes et publiques au Groupe Banque TD.

La banque encourage en outre ses conseillers « à déterminer si un cadeau pourrait raisonnablement être considéré comme une tentative d’influencer leur comportement ». Dans le doute, ceux-ci sont invités à consulter leur gestionnaire, les ressources humaines ou le service de la conformité.

Le code de déontologie de la Banque Nationale va dans le même sens et appelle au jugement de ses employés. Parmi les critères pour déterminer si un cadeau est acceptable ou non, on cite les circonstances et la fréquence des présents, de même que leur valeur. Certains types de cadeaux doivent être refusés en tout temps, estime l’institution financière : l’argent comptant, les chèques, les certificats-cadeaux et les billets de loterie.

La politique de SFL trace des limites plus nettes. Les cadeaux de moins de 250 $ ou d’une valeur nominale modeste (tasse à café, stylo, fleurs) sont acceptables et n’ont pas à être divulgués par écrit. Ceux d’une valeur de plus de 250 $ sont pour leur part interdits, à moins qu’ils soient approuvés par le directeur épargne et le conseiller en conformité.

Dans tous les cas, les cadeaux ne doivent pas être suffisamment importants ou fréquents pour inciter une personne raisonnable à douter que le conseil rendu par le représentant ait été influencé par ceux-ci.

À Manuvie, tout cadeau est carrément interdit, quel qu’il soit, explique Anne-Julie Gratton, conseillère principale, relations médias : « Nos politiques et procédures interdisent certaines transactions, activités et pratiques qui donnent lieu à un conflit d’intérêts ou à l’apparence de conflit d’intérêts entre les conseillers et leurs clients. La réception de cadeaux ou l’offre d’activité de divertissement de la part d’un client font partie des situations que Manuvie a identifiées comme conflit d’intérêts. »

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Pierre-Luc Trudel