Des publicités de Canac déclenchent la grogne des conseillers

Par Alizée Calza | 3 avril 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Capture d’écran

Les récentes publicités du quincailler indépendant Canac semblent en froisser plus d’un dans l’industrie du conseil. Imitant une réclame vantant les services d’un cabinet financier, elles finissent sur un retournement humoristique qui suggère de laisser tomber les conseils au profit d’actions plus « utiles » et sur le slogan « Canac aide pour vrai », sous-entendant que ce n’est pas le cas avec les conseillers. Ces derniers, indignés par ce message, manifestent leur mécontentement.

« Les nouvelles pubs de Canac massacrent la profession des conseillers », peste Daniel Guillemette, président de Diversico, Experts-Conseils dans une publication LinkedIn partagée le 2 avril dernier. Dans son message, il donne l’adresse courriel du directeur marketing de l’entreprise et propose à tous ceux qui partagent son avis de lui faire parvenir leurs plaintes.

Lui-même a déjà fait connaître son déplaisir par courriel. Il déplore notamment un commentaire de Patrick Delisle, directeur marketing de Canac, qui affirme en entrevue avec Le Grenier que le slogan « Canac aide pour vrai » sous-entend les « valeurs de respect envers la clientèle ».

« Votre discours semble tellement contradictoire. D’un côté, vous faites la promotion de vos « valeurs de respect ». De l’autre côté, vous démontrez un profond mépris pour les 32 000 conseillers du Québec qui « aident pour vrai » les clients qu’ils desservent », peut-on lire dans le message que lui a adressé Daniel Guillemette, qu’il a partagé avec Conseiller.

En entrevue, le président de Diversico explique que lui-même ou sa pratique ne seront certainement pas touchés par ces publicités, mais il s’inquiète toutefois de l’incidence qu’elles pourraient avoir sur la société en général.

« Canac montre un conseiller qui a l’air d’un sans-dessein et qui ne sert à rien… Il traite la profession de conseiller de manière disgracieuse pendant que l’État dépense des fortunes pour faire valoir la valeur du conseil », affirme-t-il.

Le président de Diversico fait également remarquer qu’il n’y a pas de lien à faire entre un quincailler et le fait d’aider les Québécois à mettre de l’ordre dans leurs finances personnelles. Canac veut au contraire amener les gens à dépenser davantage, fait valoir Daniel Guillemette. Même si les prix sont bons, les gens vont dépenser quand même, ajoute-t-il.

L’APCSF SUIT LE DOSSIER

Au fait de la situation, l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF) compte bien intervenir. Son président, Flavio Vani, a très vite été contacté à ce sujet par ses membres et a soumis le cas au conseil d’administration de l’Association.

« S’attaquer à des professionnels de la sorte est vraiment une mauvaise idée, affirme-t-il en entrevue avec Conseiller. Nous allons suivre cette affaire de très près. Nous allons voir si nous pouvons agir, au moins faire en sorte que la publicité soit retirée, autrement nous allons vérifier quelles sont les possibilités pour les obliger à le faire. »

En attendant, plusieurs de ses collègues ont déjà écrit à l’entreprise pour faire part de leur mécontentement.

« C’est tapageur et mesquin. Ces publicités sont faites de façon cavalière. À mon sens, c’est maladroit », estime Patrice Lortie, vice-président du conseil d’administration de l’APCSF, qui indique avoir contacté la Chambre de la sécurité financière (CSF) à ce sujet.

Du côté de cette dernière, on juge les publicités « déplorables », explique la porte-parole de la CSF Priscilla Franken. Discréditer le fait que les conseillers sont des professionnels va à l’encontre de la mission de protection du public de la Chambre, estime-t-elle.

« Des gens bien conseillés sont des gens bien protégés : la CSF et ses membres travaillent d’arrache-pied pour […] les sensibiliser à l’importance de l’épargne [et] de la planification de la retraite, mais aussi à l’importance de faire affaire avec un professionnel certifié, formé et soumis à un code de déontologie rigoureux », ajoute Mme Franken.

« Cette publicité vient dire aux Québécois que le travail dudit professionnel est futile [et] ridiculise 32 000 professionnels [qui aident] les consommateurs québécois à réaliser leurs projets, atteindre leurs objectifs d’épargne, et accessoirement, budgéter leurs achats en quincaillerie pour leurs éventuelles rénovations », s’insurge-t-elle.

PAS SI CHOQUANT

Cependant, ce ne sont pas tous les conseillers qui se sont sentis visés par la publicité.

« Personnellement, quand je les ai vues à la télévision, j’ai pouffé de rire. J’ai aimé qu’on se moque un peu du caractère très léché des réclames de certains cabinets, affirme ainsi Maxime Gauthier, chef de la conformité et représentant en épargne collective à Mérici Services financiers.

Il estime que le but des annonces n’était pas de discréditer la profession de conseiller et que cela n’aura aucune répercussion sur les clients.

« Ils vont continuer de nous apprécier et nous continuerons d’en avoir de nouveaux. Il faut savoir rire de soi-même et ne pas avoir la peau trop mince. »

Il comprend toutefois que d’autres aient une perspective différente. « On n’a pas tous les mêmes sensibilités », affirme-t-il.

CANAC SURPRIS PAR LES RÉACTIONS

Contacté par Conseiller, Patrick Delisle affirme avoir été surpris des réactions des conseillers. Il fait ainsi valoir que le message des publicités n’est pas de présenter les conseillers comme étant obsolètes, mais simplement de montrer « qu’avec les vrais prix de fous chez Canac, on peut rénover à peu de frais ».

« [Nous sommes étonnés de ce mécontentement] puisque les personnages financiers ainsi que leur environnement de travail sont présentés avec tout le professionnalisme que l’on connaît de ces cabinets ou travailleurs. Les lieux sont propres, les clients sont bien accueillis et la réaction lors de la scène humoristique est très posée et contrôlée », explique-t-il.

L’analogie avec les professionnels de la finance dans les annonces veut démontrer que, grâce aux prix réduits que propose le quincailler indépendant, les Québécois peuvent réaliser leurs projets sans s’endetter ou les planifier pendant des années.

« Les contrastes en humour sont souvent très puissants, c’est pourquoi les personnages sont plus grands que nature et les situations tout aussi improbables », explique Patrick Delisle, ajoutant que les économies réalisées sur les rénovations pourraient permettre à leurs clients d’investir dans leur retraite ou encore dans des REEE pour leurs petits-enfants.

Canac n’a pas l’intention de retirer les publicités. Elle fait valoir qu’une histoire peut être perçue de façon différente selon son auditoire.

« Nous sommes convaincus que notre approche ne brime pas la profession et saura faire sourire les consommateurs (comme c’est le cas jusqu’à présent) sur les situations cocasses qui s’y déroulent », conclut Patrick Delisle.

Avec la collaboration de Jean-François Parent.

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Alizée Calza

Alizée Calza est rédactrice en chef adjointe pour Conseiller.ca et pour Finance et Investissement.