Dessine-moi un investisseur

Par Jean-François Venne | 18 février 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
7 minutes de lecture

Bien connaître son client est non seulement une norme de conduite mais aussi un incontournable pour l’aider à atteindre ses objectifs. Néanmoins, c’est loin d’être facile. Il faut apprendre à conjuguer personnalité, besoins réels et horizon de placement pour dresser un portrait juste.

La règle est très claire. Tous les représentants des secteurs de l’assurance, de la planification financière et des valeurs mobilières ont l’obligation de bien connaître leur client. Ne pas établir un profil d’investisseur constitue un manquement au code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et une infraction à la réglementation nationale supervisée par l’OCRCVM. De plus, cette tâche doit être accomplie par le représentant et ne peut être déléguée.

De fait, le Règlement 31-103 sur les obligations et dispenses d’inscription et les obligations continues des personnes inscrites prévoit que ces dernières doivent prendre des mesures raisonnables pour, entre autres, disposer de renseignements suffisants afin d’être en mesure de s’acquitter de leurs obligations de convenance au client.

« Il s’agit d’une obligation de principe, précise Sylvain Théberge, directeur des relations médias de l’Autorité des marchés financiers. L’établissement des politiques et procédures pour déterminer la tolérance au risque revient à chaque société inscrite. La pratique courante dans le secteur des valeurs mobilières est d’utiliser un questionnaire, mais il n’y a aucune obligation de le faire. »

Cette réglementation est loin de déplaire à Denis Preston, planificateur financier et formateur à l’IQPF. « Au Québec, on a la chance d’avoir un encadrement de la connaissance du client répondant aux besoins de ce dernier, avance-t-il. Dans le reste du Canada, les compagnies de fonds communs s’encadrent elles-mêmes, en fonction de leurs besoins, et non de ceux de leurs clients ou des représentants. »

Du bon usage d’un questionnaire

Le Règlement 31-103 exige de mettre en lumière trois éléments pour établir le profil d’un investisseur : ses besoins et objectifs de placement, incluant l’horizon temporel, sa situation financière, ainsi que sa tolérance au risque.

Si un simple questionnaire permet assez bien d’établir les objectifs de placement et la situation financière, il en va tout autrement de la tolérance au risque. « Plusieurs approches psychométriques et normatives ont tenté d’évaluer cette tolérance, avec des résultats parfois mitigés », souligne Michel Mailloux, planificateur financier et formateur en déontologie financière.

Ce dernier est d’avis qu’un questionnaire peut faire partie des outils utilisés pour établir le profil d’un client, mais que ceux utilisés sont parfois peu efficaces. Parmi les problèmes les plus fréquents, il note un nombre trop limité de questions. « Moins il y a de questions, plus le risque d’erreur est grand », prévient-il. Le questionnaire peut aussi être biaisé, c’est-à-dire que les questions peuvent tendre à sous-estimer ou surestimer la tolérance au risque, ou encore trop théorique. « Peut-être que perdre 20 % de la valeur d’un portefeuille ne stressera pas trop un investisseur, mais que, si on lui explique que cela représente 50 000 $, il réagira différemment ! », souligne Michel Mailloux.

Il faut s’assurer que le client comprend bien les questions, et y répond sincèrement. « Plusieurs vont répondre ce qu’ils croient être ‘’la bonne réponse’’, plutôt que ce qu’ils pensent », dit le formateur. Votre investisseur dynamique est peut-être en fait un investisseur orgueilleux qui veut avoir l’air dynamique. Pas simple !

Établir un profil sans se tromper

• Multipliez le nombre de questions. Moins il y en a, plus fortes sont les chances de se tromper.

• Assurez-vous que le client comprend bien les questions.

• Attention aux contradictions entre les réponses. Elles peuvent révéler que l’investisseur comprend mal ce qui lui est demandé.

• Michel Mailloux est d’avis que l’horizon temporel devrait être traité à part. Selon lui, le profil d’un investisseur ne devrait pas changer du tout au tout selon qu’il veuille épargner pour sa retraite ou pour s’acheter une maison. « Un investisseur dynamique est un investisseur dynamique, point. Mais ses besoins peuvent changer en fonction de son horizon de placement. C’est différent. »

• Le questionnaire devrait permettre de faire le tour de la tolérance au risque, mais aussi des situations financière, d’emploi et de travail. Par exemple, les entrepreneurs sont souvent des investisseurs très dynamiques, dont une grande partie des avoirs sont concentrés dans leur entreprise. Peut-être que des placements plus prudents sont indiqués pour équilibrer le tout, ce que ne révélera pas un simple questionnaire sur la tolérance au risque.

• Établir un vrai profil d’investisseur exige plusieurs entrevues avec un client, en plus du questionnaire.

• Un profil doit être revu au moins une fois par année, et même plus si des événements viennent modifier la situation de l’investisseur.

Un outil parmi d’autres

Le questionnaire révèle la personnalité de l’investisseur. Un élément important, certes, mais insuffisant pour établir une stratégie de placement ou de planification financière gagnante, croit Denis Preston. « Se fier seulement au questionnaire est dangereux, dit-il. Cet outil doit servir à encadrer une discussion beaucoup plus profonde et complète avec l’investisseur. »

Une assertion que partage Denis Gauthier, premier vice-président et directeur national à la Financière Banque Nationale, Gestion de patrimoine. « Nous ne nous limitons pas au questionnaire, explique-t-il. En général, on le fait remplir lors de l’ouverture d’un compte. Mais les représentants ont eu deux ou trois rencontres préalables avec l’investisseur pour apprendre à le connaître. Lors de celles-ci, nous faisons le bilan des actifs et passifs du client, nous examinons ses situations familiales et d’emploi, nous discutons de ses objectifs. »

S’il admet que la tolérance au risque ne correspond pas toujours aux besoins réels du client, Denis Gauthier soutient qu’il est essentiel que le client soit à l’aise avec la gestion qui est faite de ses avoirs. « Nous devons bien expliquer les situations, dit-il.

Mais notre rôle n’est pas de convaincre à tout prix le client de prendre telle ou telle décision, en présumant que nous savons mieux que lui ce qui lui convient. Il faut agir en fonction de sa tolérance au risque. »

De son côté, Hélène Paradis, conseillère en placement à Gestion de patrimoine TD, soutient que la connaissance du client que l’on acquiert avec le formulaire, et même avec les discussions précédant l’administration de ce questionnaire, ont leurs limites. « Plus on chemine avec un client, mieux on le connaît et mieux on est à même de jauger sa réelle tolérance au risque », dit-elle.

Elle juge aussi que trop se fier à un questionnaire rigide est improductif. « Il faut faire preuve de gros bon sens, avance-t-elle. Si votre client a un profil d’investisseur très dynamique, mais qu’il est très fortuné et n’a pas besoin d’un fort rendement pour atteindre ses objectifs, pourquoi ne pas diminuer le risque ? Il faut voir le portrait d’ensemble, pas juste sa personnalité. »

Comme à la Financière Banque Nationale, Gestion Patrimoine TD révise les profils de ses clients annuellement. « Mais dans les faits, de telles révisions se font dès qu’un changement affecte l’investisseur, dit-elle. Une perte d’emploi ou le décès d’un conjoint peut contraindre un investisseur à devenir plus prudent, par exemple. »


• Ce texte est paru dans l’édition de février 2015 de Conseiller. Pour télécharger le PDF, cliquez ici. Cliquez ici pour consulter l’ensemble du numéro.

Jean-François Venne