Deuxième partie – « Ils veulent m’épuiser financièrement »

Par Didier Bert | 6 mai 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Michel Marcoux a accepté de répondre en exclusivité aux questions de Conseiller.ca.

Conseiller.ca : Pourquoi interjetez-vous appel?

Michel Marcoux : Le seul argument de la Chambre de la sécurité financière a été de dire que, puisque j’ai été reconnu coupable par l’AMF, je le suis aussi devant la Chambre. Mais je n’ai jamais été reconnu coupable! Devant l’AMF, j’avais déposé une reconnaissance de culpabilité uniquement pour arrêter le dossier. J’avais reconnu n’avoir pas collaboré entièrement avec des enquêteurs. L’AMF devait me rendre tous les documents à la suite de cette entente. Les informations transmises à la Chambre l’ont été de manière illégale.

C.ca : Croyez-vous être victime d’acharnement?

MM : Ça ressemble à de l’acharnement un peu. Je regrette mon « deal » hors cour avec l’AMF. On m’avait dit : « t’en entendras plus jamais parler ».

C.ca : Pensez-vous que vous payez vos prises de position dans les médias?

MM : J’espère que non.

« Si le législateur ne veut plus de comptes offshore, il faut faire une loi, mais ce n’est pas à la Chambre de décider. »

C.ca : Savez-vous pourquoi l’AMF a lancé une enquête sur votre cabinet?

MM : Ils cherchaient du blanchiment. Et ils avaient raison de faire leur travail. Mais après deux ans et demi, ils n’avaient rien trouvé. D’ailleurs, les comptes de Dominion Investments ont été dégelés depuis.

C.ca : Ces comptes existent-ils encore?

MM : Oui! Aujourd’hui, j’ai encore des comptes au nom de Dominion Investments sous gestion¹.

C.ca : Est-ce légal?

MM : Personne ne m’a dit que c’était illégal d’avoir des comptes offshore (NdR : ouverts pour un client étranger). La Chambre me dit que ce n’est pas correct. Demandez-lui l’article de loi sur lequel elle s’appuie, elle n’en a pas apporté. Elle voudrait se mettre à la place du législateur. Si le législateur ne veut plus de comptes offshore, il faut faire une loi, mais ce n’est pas à la Chambre de décider. Quand on ouvre un compte avec un prête-nom, c’est légal aussi. Quand on l’a fait il y a 15 ans, on a appelé l’AMF, et personne ne nous a dit que c’était illégal.

Extrait de la décision du comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CSF) en date du 7 août 2012 sur la plainte disciplinaire portée par Caroline Champagne, syndique de la CSF, contre Michel Marcoux :

« Elle (la syndique de la CSF, NdR) signale que l’intimé a référé bon nombre de clients pour l’ouverture de comptes dans des paradis fiscaux puisqu’il a déclaré à l’enquêteur de la Chambre avoir référé chez Dominion environ cinquante clients qu’il détenait en épargne collective et mentionné que de ce nombre, environ huit ou dix avaient ouvert un compte avec Dominion. »

C.ca : Quel était l’intérêt de Dominion Investments d’ouvrir des comptes chez Avantages Services financiers?

MM : Comme firme de courtage aux Bahamas, Dominion voulait passer par un courtier canadien parce que ses clients voulaient des fonds canadiens. Il m’est arrivé d’aller à Nassau (NdR : capitale des Bahamas) pour rencontrer des investisseurs comme Dominion, la BNP Paribas Nassau, la Banque de Hong-Kong. Je leur disais : « Si vous voulez investir au Canada, je suis le meilleur. » C’était légal! D’ailleurs, avec les centres financiers internationaux, le gouvernement provincial avait créé des mesures fiscales incitatives pour aller chercher des actifs à l’extérieur du Canada et les gérer ici. Et ça existe encore.

C.ca : Pourquoi Dominion Investments utilisait des pseudonymes?

MM : Ils n’avaient pas le droit de révéler le nom de leurs clients, parce qu’à Nassau c’est un crime de briser le secret bancaire. C’est toujours Dominion qui demandait d’ouvrir les comptes. Il s’agissait de l’argent de leurs clients. Est-ce que chaque compte représentait un client, deux clients ou davantage? Je n’en avais aucune idée.

C.ca : D’où provenait l’argent qui alimentait les comptes de Dominion Investments?

MM : Tout ce que je recevais de Dominion venait de la Banque Royale (RBC) à Montréal. Dominion n’avait pas placé de l’argent uniquement chez moi. Il y en avait dans plusieurs institutions financières.

C.ca : Croyez-vous que ces autres comptes étaient au nom de pseudonymes?

MM : C’est sûr que tous les comptes de Dominion au Canada étaient sous des pseudonymes. Pourquoi tout est correct à la Banque Royale et pas chez Avantages? Je suis le seul à avoir été accusé. Est-ce que c’est réservé aux grandes institutions financières? Je commence à me poser la question.

C.ca : Que vont devenir les comptes de Dominion Investments ouverts chez Avantages?

MM : Dominion Investments est en liquidation. Un liquidateur de Nassau a été nommé. Pour l’instant, ils laissent les comptes chez nous. Si j’avais mal agi, ce serait encore illégal. Pourtant, personne ne m’a dit de fermer ces comptes.

« Ils veulent m’avoir à l’usure. Mais je n’ai pas le choix. »

C.ca : Jusqu’où irez-vous dans le combat judiciaire qui vous oppose à la Chambre?

MM : Je commence à trouver les factures d’avocat un peu élevées. C’est leur propre tribunal, leur propre jury. Ils veulent m’épuiser financièrement. Ils veulent m’avoir à l’usure. Mais je n’ai pas le choix.

C.ca : Combien vous a coûté la procédure jusqu’à maintenant?

M.M. : Depuis le début des procédures lancées par l’AMF et la CSF, j’ai dépensé 250 000 $ en frais d’avocats.

C.ca : D’après vous, qu’est-ce que la Chambre espère comme sanction?

MM : Je ne sais pas ce qu’ils veulent… La radiation? Je ne quitterai pas l’industrie. Quand j’ai été inspecté par l’AMF, on ne m’a jamais dit que je ne pouvais pas ouvrir de tels comptes avec un prête-nom. Si on me dit de ne plus le faire, je ne le ferai plus. Mais il n’y a rien qui dit que je n’ai pas le droit.

C.ca : Est-ce que vous continuez à le faire?

MM : J’ai arrêté. Mais ceux que j’avais, je les ai encore. C’est ceux de Dominion.

C.ca : Est-ce que Dominion et ses clients paient des impôts relativement à ces comptes?

MM : Je n’en sais rien.

C.ca : Êtes-vous inquiet que l’AMF ne renouvelle pas votre permis?

MM : Non, j’ai le droit de pratiquer. Et le renouvellement vient d’avoir lieu.

C.ca : Qu’en pensent vos clients?

MM : Ils se sentent loin de tout ça.

C.ca : Regrettez-vous d’avoir ouvert ces comptes pour Dominion Investments?

MM : Avec ce que je sais aujourd’hui, je ne le referais pas. Mais avec les renseignements que j’avais à l’époque, qu’est-ce que j’aurais pu faire?


1. Les comptes ouverts sous pseudonymes par Avantages Services financiers, pour son client Dominion Investments basé aux Bahamas, l’ont été au Canada.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.