Diversité : courir plus vite que les autres pour réussir

Par Carole Le Hirez | 4 novembre 2022 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les institutions ont beau avoir beaucoup investi dans l’inclusion au cours des dernières années, de nombreux obstacles se dressent encore sur le parcours des jeunes issus de diversité qui visent une carrière dans l’industrie, ont souligné les panélistes invités à partager leur expérience par le Comité jeune de Finance Montréal.

« [L’industrie] fait des erreurs, on se trompe, on manque de maturité », a reconnu Guy Cormier, président et chef de la direction du Mouvement Desjardins, en introduction au panel. Il a souligné que les dirigeants ont besoin « de trucs et de conseils » pour mettre en place des initiatives porteuses dans leurs organisations.

Certains biais inconscients continuent à être bien présents dans l’industrie, malgré les efforts déployés. « On en a tous. On les développe très tôt dans notre vie. Ces raccourcis mentaux influencent toutes nos prises de décisions. Ils nous amènent par exemple à s’entourer de gens qui nous ressemblent », a indiqué Rachel Dupuis, conseillère organisationnelle chez Desjardins.

La spécialiste a démystifié en préambule quelques concepts courant sur la diversité, telle que l’intersectionnalité, qui représente le fait qu’une personne issue de la diversité peut avoir des défis multiples, comme être une femme noire appartenant à la communauté LGBTQ+. Elle risque alors de rencontrer plus d’obstacles dans son parcours professionnel.

SE DISTINGUER PLUTÔT QUE S’INTÉGRER

Souvent, on demande aux jeunes issus de la diversité qui veulent faire carrière de s’intégrer. Ils perçoivent rarement d’emblée leur bagage culturel comme un atout, ce qui contribue à ralentir leur progression.

« Je voulais m’intégrer en essayant de ressembler aux autres. Cela m’a pris beaucoup de temps avant d’être capable d’utiliser les avantages de ma différence pour me démarquer et en faire bénéficier mon organisation », a relaté Wills Theagene, directeur principal, Équité à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ).

Pour faire en sorte que les employés se sentent à l’aise d’exprimer leur différence, Investissement Québec (IQ) a lancé la boîte d’outils Factorielle, en début d’année. Cette initiative veut inciter les entreprises québécoises à reconnaître la diversité de genre, souligne Bicha Ngo.

Selon la première vice-présidente exécutive, Placements privés d’IQ, la reconnaissance de la différence doit être clairement énoncée dans les plans stratégiques des organisations et elle doit être assortie d’objectifs mesurables.

Par exemple, IQ vise à faire passer ses interventions dans des entreprises dirigées par des femmes de 12 % à 18 % en 2023. « Auparavant, on ne suivait pas cet indice. Aujourd’hui, les directeurs sont évalués en fonction de ces objectifs », signale Bicha Ngo.

IQ encourage également ses fonds partenaires à investir dans des entreprises détenues par des femmes. « Ces actions permettent de sensibiliser l’écosystème », déclare la dirigeante, qui siège au comité parité de l’organisation.

MANQUE DE CAPITAL ET D’ACCOMPAGNEMENT

Les investisseurs et les gestionnaires de portefeuille ont le pouvoir de faire bouger les choses, insiste Wils Theagene, qui dirige Équité 253. Ce fonds d’investissement de 250 millions de dollars sur quatre ans a été mis sur pied pour encourager les entreprises à utiliser la diversité comme vecteur de croissance. Elles ont cinq ans pour obtenir 25 % de diversité dans leur conseil d’administration, leur direction et leur actionnariat. Lancé en octobre 2020, le fonds a effectué quatre investissements depuis sa création.

Cependant, il faut faire plus, martèle Wils Theagene. « Il n’y a pas assez de capital, on manque d’accompagnement. Les gens représentant la diversité ne fréquentent pas les réseaux financiers traditionnels à cause de mauvaises expériences en raison des biais inconscients qui persistent. »

Le contexte économique, marqué par la pénurie de main-d’œuvre, l’inflation et la hausse des taux d’intérêt offrent à l’industrie des occasions de se positionner sur ce sujet, affirme-t-il.

DES PANSEMENTS SUR LE BOBO

Ces constats incitent Pelra Azondekon, directrice générale chez AsterX Capital, à considérer que l’industrie est en phase de changement plutôt que d’évolution. « Pour qu’il y ait une véritable évolution, il faut que tout le monde aille dans le même sens. Or, l’industrie est plutôt en mode réactif actuellement. Elle répond à une chaîne d’événements qui sont mis en évidence par des réalités qui persistent », estime-t-elle.

Elle compare les initiatives mises en place à des « pansements sur des bobos », faute d’un effort concerté de l’industrie pour s’attaquer systématiquement au problème.

« On doit être soucieux du fait que tous les acteurs se sentent interpellés par les problématiques et par les solutions, indique-t-elle. Sans cela, on risque de regarder les arbres sans voir la forêt. »

Actuellement, les organisations sont encore sur la défensive face aux réprimandes, considère la directrice. « Elles vivent dans la peur de mal faire et d’être pointées du doigt pour un comportement discriminatoire. Or, elles doivent justement admettre certains comportements pour arriver avec des initiatives plus rassembleuses. »

Wils Theagene s’impatiente. « On n’en fait pas assez, cela ne va pas assez vite. Il n’y a pas assez de cadres, de vice-présidents, d’entrepreneurs pour incarner la diversité. Les chiffres sont trop bas. Il faut brasser, pousser plus », croit-il.

Comment changer les choses ? Les dirigeants doivent créer des opportunités de communication franche, où les gens se sentent à l’aise de s’exprimer, dit Pelra Azondekon.

Selon Bicha Ngo, les gestionnaires doivent chercher à s’entourer de gens différents d’eux. Ils doivent également garder l’esprit ouvert pour reconnaître les différences de l’autre.

On doit davantage sensibiliser les organisations et les aider à progresser à tous les niveaux : recrutement rétention, promotion, mentorat et sponsorship, estime Wils Theagene.

Il ne faut pas négliger non plus le rôle des parents et de l’éducation, car la discrimination commence souvent dès l’école. « Mes parents m’ont toujours dit que je devrais courir plus vite que les autres. J’ai su très tôt que je devrais en faire plus pour arriver », dit Pelra Azondekon.