Dix bonnes raisons de se spécialiser

Par Didier Bert | 16 février 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
11 minutes de lecture

Se spécialiser, on le sait, peut rapporter gros. C’est une chose de le dire, mais une autre de s’y mettre en partant du bon pied. Conseiller vous dresse ici ses 10 règles d’or pour comprendre en profondeur l’art de cibler sa clientèle.

1. Trouver sa clientèle cible Le conseiller devrait se concentrer sur une clientèle avec laquelle il partage des codes et des valeurs. Gil-Olivier Raynal, aujourd’hui conseiller principal en stratégie de marketing et de gestion de l’offre aux fortunés, au Mouvement Desjardins, a travaillé 17 ans dans des réseaux de vente. « Quand j’étais conseiller, je m’étais dirigé intuitivement vers une clientèle de professionnels et de chefs d’entreprise. On avait des affinités spontanées. Mon discours était trop complexe avec d’autres clients », raconte-t-il.

« L’approche intuitive n’est pas suffisante, car le conseiller doit comprendre les besoins et déterminer une solution adaptée », affirme-t-il. Le conseiller devrait réaliser une analyse du marché pour déterminer la clientèle à laquelle il pourra le mieux répondre, assure M. Raynal. « Il faut regarder les avantages que ces clients recherchent. Est-on en mesure de les combler? Quelle est la concurrence? »

Eric F. Gosselin, planificateur financier affilié au Groupe financier PEAK, est arrivé à la spécialisation « par accident ». Sa conjointe médecin lui a présenté un courtier en assurance vie dont la clientèle était formée uniquement de professionnels de la santé. Ce dernier lui a proposé de travailler en partenariat en ciblant le milieu des médecins. À présent, cette catégorie représente la moitié de la clientèle de M. Gosselin.

En 1985, au moment où il n’était pas encore spécialisé, Yvon Poudrier s’était donné comme défi de convaincre un chef d’entreprise. Il est alors entré dans un monde qu’il a appris à connaître et à apprécier. Il décrit un milieu où les gens aiment travailler. Vingt-cinq ans plus tard, le portefeuille de clients du Groupe Poudrier Planification, qu’il dirige, est composé à 90 % d’entrepreneurs. « Je ne me suis pas spécialisé, ce sont les gens d’affaires qui m’ont conduit à me spécialiser », confie-t-il.

2. Se placer comme interlocuteur unique En se spécialisant, les conseillers visent à prendre en charge l’ensemble des besoins financiers de chaque client. Celui-ci n’a plus à consulter des professionnels différents. Tout le monde est gagnant.

« Pour mon argent, je ne veux pas faire confiance à plusieurs personnes », lance Jasmin Bergeron, titulaire de la chaire en management des services financiers de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « Le client préfère avoir en face de lui un seul interlocuteur qui va chercher l’information là où elle est. » Le conseiller centralise à la fois les différents besoins du client, mais aussi les solutions disponibles. Le client n’a plus à passer d’un bureau à l’autre pour exprimer ses besoins d’hypothèque, puis de placement, par exemple. Cela lui évite de multiplier les rendez-vous et d’expliquer chaque fois sa situation. En une rencontre, plusieurs questions sont réglées, là où d’autres doivent prendre plusieurs rendez-vous.

3. Une meilleure connaissance de l’univers du client La spécialisation permet au conseiller de se plonger dans l’univers particulier de ses clients, voire de se mettre dans leur peau. « Le plus important, c’est de comprendre comment les gens pensent », croit Yvon Poudrier. « Pour créer un lien avec le client, il doit sentir que je le comprends, que j’ai le don de l’écouter, que j’offre la solution qui va le satisfaire », affirme-t-il. Rencontrer des clients issus du même monde permet de « saisir les valeurs et besoins de chacun, à ce moment de son parcours », ajoute-t-il.

« Quand vous n’avez jamais travaillé avec un industriel, vous ne savez probablement pas qu’il n’a que douze minutes à vous consacrer. Ces clients ont presque toujours le même comportement : il faut aller droit au but et montrer qu’on a des connaissances », observe Guy Duhaime, président du Groupe financier Multi Fonction (GFMC) de Saint-Hyacinthe, qui distribue des produits aux représentants en services financiers mais aussi directement à une clientèle d’industriels.

M. Gosselin n’hésite pas à montrer qu’il est le conseiller dont ses clients ont besoin. « Quand je rencontre un nouveau médecin, je lui dis : “toi, c’est la première fois que tu commences dans ce métier, moi je l’ai déjà fait deux cent fois. J’ai vu tes collègues se poser les questions que tu te poses. Là, on va s’occuper de ton besoin maintenant, et au fur et à mesure que ta pratique va évoluer, je vais arriver avec des solutions pertinentes”. »

« Si vous rencontrez des clients pratiquant des métiers différents, vous devez apprendre à connaître plusieurs mondes », constate Jasmin Bergeron. Mais quand un conseiller travaille avec des professionnels issus du même secteur, il peut suivre plus facilement leur actualité. « Si vous voyez une nouvelle sur leur domaine dans le journal, vous pouvez leur envoyer un courriel », suggère M. Bergeron, qui note qu’une concentration des efforts permet un meilleur suivi du client.

4. Savoir faire appel à son réseau Le conseiller ne doit négliger aucune aide qui peut lui permettre de mieux comprendre l’univers dans lequel il se spécialise. Au début de sa carrière, un jour où Guy Duhaime rencontrait un agriculteur, celui-ci, voyant qu’il ne savait pas à quoi servait une pièce d’équipement, lui lança : « mon jeune, si tu veux percer le marché des agriculteurs, il va falloir que tu aies des notions de base! » Le jeune conseiller s’est alors lancé dans un travail de documentation sur ce secteur. « J’ai appelé des relations qui connaissaient l’agriculture. Je leur ai posé plein de questions. Quand je suis retourné voir le client, j’ai pu poser des questions plus précises et pointues sur sa situation », se souvient M. Duhaime.

5. Prendre contact avec ses clients Le conseiller peut profiter des regroupements de clients pour prendre plus facilement contact avec eux. Les banques l’ont bien compris, constate Jasmin Bergeron, qui donne en exemple « les agences bancaires installées dans les tours de résidences pour personnes âgées, boulevard Gouin à Montréal ».

Sans habiter au milieu de ses clients, le conseiller peut partager leurs activités. « Si vous faites partie du même club de golf que votre clientèle cible, vous allez vous familiariser plus facilement avec elle », note Guy Duhaime. Les relations se nouent progressivement jusqu’à faire affaire ensemble.

Quand la proximité devient un atout, les bénéfices peuvent être inespérés. « À Victoriaville, le sentiment d’appartenance est très fort, souligne Yvon Poudrier. Un client sollicité par quelqu’un de l’extérieur m’a déjà appelé pour m’en informer. »

De son côté, Eric F. Gosselin va rencontrer les étudiants en médecine dans les hôpitaux, comme au CHU de Sherbrooke, où il donne des conférences à l’heure du dîner. Il leur présente les défis financiers qu’ils devront relever dans leur vie professionnelle. Quand ces étudiants s’installent comme médecins, ils savent à qui s’adresser. « Maintenant, j’ai des clients en Abitibi, au Nouveau-Brunswick, à Ottawa… », se félicite le planificateur installé à Saint-Hubert.

Fabien Major, un conseiller en sécurité financière de Montréal qui s’est lancé comme indépendant, s’adresse à la clientèle en ligne. Très actif sur les réseaux sociaux tels que Twitter ou Facebook, il anime aussi un blogue financier. « Je partage mes connaissances et mes opinions sur les réseaux sociaux. Les clients potentiels peuvent se faire une idée de ce que je peux leur apporter », indique-t-il. Les réseaux sociaux lui permettent de se présenter auprès « des investisseurs les plus curieux, qui se servent d’informatique. [Mais] le but est toujours de rencontrer les gens en personne » souligne, M. Major qui dit avoir reçu la visite de lecteurs de son blogue, venus de Sherbrooke spécialement pour bénéficier de ses compétences.

6. Obtenir des références plus facilement L’un des bénéfices les plus évidents de la spécialisation est la possibilité d’obtenir facilement des références. Au sein d’une même communauté de clients, les informations circulent vite, surtout quand il s’agit de recommander des performances remarquables. « Vous avez des ambassadeurs qui travaillent pour vous, affirme Jasmin Bergeron. Ils diront : “ce conseiller comprend notre jargon”. »

« Comme client, on ne veut pas être le premier, c’est-à-dire le cobaye. Et surtout pas en situation de planification financière! », croit Eric F. Gosselin. Lui-même a l’habitude de donner trois cartes d’affaires : une pour le client, et deux pour ses amis.

Yvon Poudrier recrute principalement ses clients parmi les propriétaires de PME de la région de Victoriaville. « C’est un marché difficile car ce sont des gens qui ne font pas confiance à tout le monde », explique-t-il. Il y a 25 ans, son premier dossier avec un client de ce milieu a pris deux ans à aboutir. Aujourd’hui, il évalue à plus de 80 % le pourcentage de clients obtenus par recommandation. « Le référencement, c’est une roue qui tourne. Il faut savoir l’utiliser », assure-t-il.

7. Ne pas courir après tous les lièvres En portant ses efforts au même endroit, le conseiller multiplie les bénéfices. « Le travail de ciblage sert la rentabilité », soutient Gil-Olivier Raynal. « On clarifie les attentes des clients, on affine nos connaissances, on répond mieux à leurs besoins. La rentabilité s’accroît. Le client est mieux servi. Tout le monde est gagnant. »

Yvon Poudrier suggère de viser un créneau avec une clientèle à forte valeur ajoutée. Lui qui travaille pour une clientèle de chefs d’entreprise voit bien les retombées dont il bénéficie. « Les propriétaires d’entreprises ont chacun plusieurs tiroirs. Ils ont des besoins très diversifiés, et des capacités financières intéressantes pour faire des affaires, souligne-t-il. Dix dossiers de propriétaires de PME représentent plus que dix autres dossiers. Quand on rencontre un propriétaire d’entreprise, c’est comme si on avait cinq à dix tiroirs avec des aspects fiscaux, financiers, successoraux… Il faut penser au transfert d’entreprise, au financement de la relève, ou encore aux produits pour la famille de l’entrepreneur. »

8. Cerner les risques de la spécialisation Le conseiller doit connaître les risques liés à la spécialisation dans un groupe de clients. « Les risques dépendent de la clientèle, note Jasmin Bergeron. Ce groupe de clients sera-t-il encore là dans quelques années? Est-il sujet à une disparition brutale provoquée par une crise, ou par la perte de vitesse d’un secteur économique? » questionne M. Bergeron. Selon les réponses à ces questions, le conseiller pourra alors adopter une stratégie telle que se tourner vers une clientèle complémentaire, plus jeune ou plus fortunée.

9. Maîtriser sa communication Mieux vaut ne pas trop montrer sa spécialisation, car on risque de susciter des craintes chez les autres clients. Les cabinets de services financiers mentionnent rarement leurs clientèles de prédilection sur leurs sites Web. « Je ne connais pas de collègue qui se dise ouvertement spécialisé, constate Eric F. Gosselin. Si je le déclarais, d’autres populations ne viendraient pas me voir ». « Le dire, c’est se fermer un potentiel », affirme Gil-Olivier Raynal. Or, la spécialisation engage à porter une attention particulière à un groupe de clients, mais elle n’oblige pas à refuser les autres.

10. Servir les autres clients? Le conseiller spécialisé doit concentrer ses efforts sur une certaine clientèle, mais les autres clients potentiels ne doivent pas être négligés. « Quand on se spécialise, on ne ferme pas nécessairement la porte aux autres, mais on a plus de facilité avec cette clientèle-là, observe M. Gosselin. Quand un client de ce groupe arrive, on déploie des solutions qu’on a déjà éprouvées. On est toujours en terrain connu. Les solutions sont plus faciles à approfondir et à vulgariser. »

« On cible une clientèle, mais on n’a pas que ces clients-là », précise Guy Duhaime. « Je ne peux pas dire non à quelqu’un qui vient investir beaucoup d’argent parce qu’il ne fait pas partie de ma cible. Par contre, le développement d’affaires se fait dans un secteur très spécialisé », explique M. Duhaime. Et puis, qui sait ? Un client différent est peut-être le début d’une future spécialisation…


Cet article est tiré de l’édition de février 2011 du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.