Élaborer un meilleur portefeuille de titres à revenu fixe

Par Peter Drake | 14 septembre 2010 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
10 minutes de lecture

L’un des éléments les plus fondamentaux de l’économie de la retraite est le rôle des titres à revenu fixe dans le portefeuille de vos clients. Certains éléments ont changé au fil des ans : vos clients qui sont présentement à la retraite conservent probablement une plus forte proportion d’actions que ceux qui les ont précédés, parce qu’à l’époque, le modèle standard préconisait un portefeuille de retraite composé entièrement, ou presque, de titres à revenu fixe. Cependant, la base demeure la même : presque tous les portefeuilles ont besoin de titres à revenu fixe pour contrebalancer la volatilité (potentielle) des actions, et la pondération de ces titres doit augmenter à mesure que le client approche de la retraite ainsi que lorsqu’il prend sa retraite. La pertinence des titres à revenu fixe ne se limite pas à leur importance structurelle dans le portefeuille de vos clients : au moment de rédiger cet article, la presse financière souligne que les investisseurs favorisent largement les obligations par rapport aux actions parce qu’ils s’attendent à un meilleur rendement relatif.

La stratégie de portefeuille de base n’a peut-être pas changé, mais la manière de l’appliquer a changé, en ce sens que les occasions de placement dans les titres à revenu fixe sont maintenant plus nombreuses, tout comme les risques qui s’y rattachent. J’aimerais vous parler de trois éléments qui ont changé et leurs répercussions.

1) Un univers en constante expansion Il y a belle lurette qu’on ne se contente plus de sélectionner les titres parmi les obligations du gouvernement du Canada en allant, de temps à autre, du côté des obligations provinciales et de sociétés. L’offre de titres à revenu fixe a augmenté de trois manières. Premièrement, on trouve un plus grand nombre d’émetteurs sur le marché traditionnel des obligations gouvernementales (à tous les paliers) et de sociétés, et de nouveaux émetteurs, dont les organismes sans but lucratif comme les hôpitaux et les universités. La dernière fois que j’ai jeté un coup d’œil à l’indice DEX Universe Overall Bond, il comptait 1 093 titres. Ce nombre a augmenté de plus de 60 pour cent en 17 ans. Du côté des obligations fédérales, provinciales, municipales et de sociétés traditionnelles, les obligations provinciales et de sociétés occupent beaucoup plus de place qu’il y a une décennie. Deuxièmement, il y a plus de nouveaux types d’émissions de titres à revenu fixe, comme les titres adossés à des créances mobilières. Troisièmement, on trouve une sélection géographique beaucoup plus étendue de titres à revenu fixe, par suite de la mondialisation des marchés financiers, ce qui augmente considérablement le nombre de titres dans lesquels on peut investir. Ces changements s’accompagnent d’un assouplissement des restrictions imposées aux investisseurs canadiens à l’égard des titres étrangers. Ce phénomène ajoute la fluctuation des devises dans le processus de sélection des titres à revenu fixe.

En règle générale, lorsque le bassin de titres disponibles s’élargit, c’est une bonne nouvelle. Cependant, l’inconvénient est que cela exige des connaissances plus approfondies de l’univers de titres et qu’il faut davantage de temps pour analyser les diverses possibilités de placement et sélectionner les titres qui constitueront un portefeuille.

2) De nouveaux risques plus complexes Si tous les investisseurs ne se préoccupent pas des risques de placement après les événements qui ont secoué les marchés financiers ces trois dernières années, ils auraient intérêt à le faire. Le fait que les investisseurs ont oublié que les placements comportent toujours des risques (même lorsque tout semble bien aller), qu’ils n’ont pas tenu compte des nouveaux risques au cours des années qui ont précédé la crise et qu’ils ont carrément omis de bien évaluer les risques de certains placements sont autant de facteurs qui ont contribué à cette crise financière mondiale qui a fait de nombreuses victimes. Il ne faut pas se leurrer, les risques existent (et existeront toujours) malgré la fin de la crise financière mondiale et la résolution de la crise de la dette souveraine en Europe, que les investisseurs semblent avoir mis en veilleuse. Bien que le risque cyclique rattaché à la crise financière mondiale semble s’être dissipé, d’autres risques subsistent et de nouveaux risques entrent en ligne de compte. En clair, comment pouvons-nous être sûrs que tous les problèmes entourant la création des titres et l’évaluation du crédit ont été résolus? Qui plus est, de nouveaux problèmes sont-ils créés?

Outre la simple augmentation du nombre de titres, qui en complique la sélection, l’évaluation des risques est beaucoup plus complexe qu’autrefois. Parmi les raisons qui expliquent ce phénomène, citons le manque de compréhension des changements structurels des marchés des titres de créance, le manque de compréhension, de transparence et d’évaluation fondée sur le marché de plusieurs instruments financiers, les enjeux plus complexes entourant le rendement des émetteurs, en particulier les émetteurs privés, étant donné que de plus en plus d’entreprises exercent leurs activités à l’échelle mondiale. Ajoutez à cela la volatilité des devises dont j’ai parlé plus tôt, le risque de défaut, le risque de solvabilité et le risque économique auquel nous sommes confrontés à l’heure actuelle et vous avez une foule de risques à évaluer.

3) La tendance des taux d’intérêt Les marchés obligataires ont connu 30 années extraordinaires. En jetant un coup d’œil aux taux des obligations à long terme du gouvernement du Canada, on constate qu’ils ont plafonné en 1981, période de resserrement marqué de la politique monétaire visant à mettre un terme à une longue période de forte inflation des prix à la consommation, suivie d’une longue et constante diminution jusqu’à présent. Évidemment, le taux des obligations n’a pas chuté en ligne droite, ça n’arrive jamais, mais l’écart entre le taux plafond de 19,1 pour cent de l’indice obligataire universel DEX enregistré en septembre 1981 et le taux de 3,0 pour cent en vigueur à la fin de juillet 2010 en dit long. Tandis que les rendements obligataires ont chuté, les cours ont augmenté et les détenteurs de titres à revenu fixe ont été largement récompensés sous forme de gains en capital. C’est le taux des obligations à court terme qui a le plus chuté, en raison de la courbe de rendement inversée en 1981 et, plus récemment, de la forte influence de la politique de taux zéro de la Banque du Canada, politique à laquelle elle vient tout juste de mettre fin.

La tendance des 30 dernières années est-elle une indication de la tendance des 30 prochaines années? Ça me paraît peu probable. Certes, les médias accordent plus d’attention à la déflation qu’à l’inflation ces temps-ci. Que vous croyiez, comme moi, que le scénario de déflation est peu probable, ou non, et si l’on se fie au passé, l’inflation devrait reprendre sa place dans les manchettes. Étant donné le ralentissement de la reprise économique, le faible taux d’utilisation des capacités de production en Amérique du Nord et le regain d’intérêt pour la déflation, il est difficile en ce moment d’attirer l’attention des gens sur la probabilité d’un retour de l’inflation. Or, l’inflation, surtout celle à long terme, est sans contredit l’une des pires menaces à la viabilité du portefeuille de vos clients.

Pourquoi devrait-on s’attendre à ce que l’inflation devienne une préoccupation? Le retour à un taux d’inflation sensiblement plus élevé est probable par suite d’une reprise économique soutenue, même si la reprise demeure lente. Même si les banques centrales ont clairement indiqué qu’elles étaient conscientes du besoin de retirer (graduellement) les énormes mesures de relance qu’elles ont injectées dans les marchés financiers et dans l’économie, en réaction à la crise financière mondiale de 2008 et 2009, la lenteur avec laquelle elles vont procéder au retrait de ces mesures et les sommes considérables qui ont été injectées dans l’économie jusqu’ici devraient suffire à redémarrer l’inflation. Si vous lisez attentivement les communiqués des dirigeants des banques centrales, vous verrez qu’ils se préoccupent beaucoup plus de contenir l’inflation que de lutter contre la déflation, malgré le récent engagement de la Réserve fédérale américaine à adopter une série de mesures d’assouplissement quantitatif. Enfin, l’inflation se manifeste déjà dans certains pays des marchés émergents à forte croissance, comme l’Inde et la Chine, et leurs autorités monétaires ont déjà réagi, ce qui aura certainement des répercussions en Amérique du Nord et en Europe.

Aucun de ces arguments ne vise à suggérer que nous subirons une période de forte inflation. La Banque du Canada a fait un travail remarquable pour maintenir l’inflation à l’intérieur de sa fourchette cible de 1 à 3 pour cent depuis l’établissement de ces objectifs au début des années 90. Qui plus est, la Banque du Canada a démontré qu’elle est en mesure de continuer de contenir l’inflation. Ceux et celles qui ont observé Ben Bernanke, président de la Réserve fédérale américaine, avant la crise financière mondiale, savent qu’il a la ferme intention de contenir l’inflation. Enfin, l’histoire nous apprend que l’incidence de l’inflation est beaucoup plus fréquente que celle de la déflation.

Bref, nous pouvons nous attendre à certaine une hausse du taux d’inflation. Si tel est le cas, les taux d’intérêt vont augmenter eux aussi, la hausse des taux à court terme étant liée au resserrement du taux directeur par la banque centrale, tandis que celle des taux à plus long terme sera provoquée par le rajustement des marchés en prévision de l’inflation.

Conclusion Évidemment, aucun des changements susmentionnés n’a pour but de vous laisser entendre que les titres à revenu fixe n’ont plus leur place dans le portefeuille de vos clients. Ils servent uniquement à démontrer que le monde des titres à revenu fixe est plus complexe que par le passé, et nous n’avons même pas effleuré la question de la courbe de rendement et de ses changements d’inclinaison éventuels, ni des risques entourant la spéculation sur les écarts de duration. À mon sens, ce que cela signifie, c’est que les conseillers vont devoir être conscients des enjeux potentiels et se sentir très à l’aise au moment d’acheter des obligations pour leurs clients ou de s’allier à des gestionnaires de portefeuille de titres à revenu fixe qui vont les aider à gérer les portefeuilles de leurs clients.

Peter Drake est vice-président, Retraite et recherches économiques à Fidelity Investments Canada. Fort de plus de 35 années d’expérience à titre d’économiste, il dirige les initiatives de recherche de Fidelity axées sur la retraite au Canada à notre époque.

Les opinions exprimées sur une société, un titre, une industrie ou un secteur du marché en particulier représentent un point de vue personnel à un moment donné et ne constituent pas nécessairement celles de Fidelity ou d’une autre personne au sein de l’organisation. Ces opinions sont appelées à changer à tout moment en fonction de l’évolution des marchés et des autres facteurs, et Fidelity décline toute responsabilité en ce qui a trait à la mise à jour de ces points de vue. Ces points de vue ne peuvent pas être considérés comme des conseils en placement.

Peter Drake