Encadrement de l’épargne collective : l’AMF fait preuve d’ouverture

Par Ronald McKenzie | 21 juin 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Maxime Gauthier, avocat et chef de la conformité chez Mérici Services Financiers.

« Pour la première fois depuis les 18 derniers mois, j’ai vraiment l’impression qu’on a une chance d’être entendus. Si les cabinets indépendants ne saisissent pas cette chance maintenant, ils vont passer à côté de quelque chose. »

Me Maxime Gauthier a réagi promptement au texte de notre journaliste Gérard Bérubé selon lequel l’harmonisation pancanadienne avec l’Association canadienne des courtiers en fonds mutuels (ACFM, ou MFDA en anglais), tant souhaitée par les institutions québécoises présentes hors Québec, soit retenue.

En entrevue à Conseiller.ca, le chef de la conformité et représentant en épargne collective chez Mérici Services Financiers réfute les opinions que plusieurs ont exprimées à Gérard Bérubé. « L’Autorité des marchés financiers [AMF] a été très claire au sujet de l’organisme d’autoréglementation. Elle a dit que la spécificité québécoise sera respectée », précise Me Gauthier.

Présent à la rencontre organisée par l’AMF le 14 juin dernier à Montréal, l’avocat a noté un « souci très sincère » du régulateur de tenir compte des problèmes qu’occasionnerait aux cabinets indépendants l’implantation des règles de l’ACFM. « La préoccupation de préserver les acquis québécois et de protéger les petits cabinets me semblaient constants. L’AMF ne veut pas que les indépendants meurent », dit le juriste.

Cette préoccupation, tant Mario Albert, grand patron de l’AMF, qu’Alain Paquet, ministre délégué aux Finances, semblent la partager, constate-t-il.

Malgré ce « réel changement d’attitude » de la part de l’AMF, quatre problèmes majeurs, inhérents aux règles de l’ACFM, pourraient entraver sérieusement le développement des cabinets indépendants.

1. Alourdissement de la structure des succursales. Est considéré comme une succursale un bureau qui compte quatre conseillers ou plus. Or, les règles de l’ACFM stipulent que chaque succursale doit disposer d’un directeur et d’un chef de la conformité (ce peut être la même personne, jusqu’à un certain point). Comme ce directeur et ce chef doivent détenir des compétences minimales, cela entraîne des frais supplémentaires de formation pour le cabinet. Et en raison des responsabilités qui leur échoient, un directeur de succursale et un chef de la conformité pourraient commander une rémunération supérieure ou des avantages accrus. Normal. L’ennui, c’est que les petits cabinets « n’ont pas cette marge de manœuvre-là », dit Me Gauthier.

2. Complication dans la supervision des comptes. Me Gauthier explique que les règles de l’ACFM interdisent aux personnes qui réalisent les transactions de faire ensuite les « rapprochements ». Cette séparation des tâches est logique, souligne-t-il. Sauf que, pour un petit cabinet, cela impliquerait l’embauche d’un employé supplémentaire. Actuellement, les volumes de transactions ne permettent pas à Mérici, par exemple, d’avoir deux employés pour exécuter ce travail. « Une seule personne polyvalente peut s’en charger. Autrement, nous n’arriverions pas. »

3. Interdiction de cumuler deux titres. On l’a vu, Maxime Gauthier est chef de la conformité et représentant en épargne collective. En qualité de chef de la conformité, il a le devoir d’inspecter le travail qui se déroule dans les succursales. Pas de problème. À titre de représentant en épargne collective, il sert des clients. Pas de problème non plus. Le hic, c’est que les règles de l’ACFM l’empêchent de porter ces deux chapeaux à la fois. « Ça se comprend : je suis une personne liée. Mais cette interdiction doit-elle m’obliger à embaucher un vérificateur externe qui me facturera le gros prix pour effectuer une inspection que je peux faire moi-même et qui sera valide? » demande-t-il.

4. Interdiction de transférer une clientèle en bloc. Ici, il y a vraiment du sable dans l’engrenage. Les règles de l’ACFM défendent aux conseillers de transférer d’un coup l’ensemble de leurs clients d’un cabinet à un autre. Présentement, cette pratique est permise au Québec, mais pour combien de temps encore? Un conseiller qui compte 400 clients, par exemple, pourrait devoir demander à chacun d’eux, individuellement, la permission de transférer leur compte advenant un changement de cabinet. Ouf! Si cette règle est appliquée, elle constituera « une entrave importante à la mobilité des représentants dans l’industrie des services financiers », dit Me Gauthier.

L’interdiction de transférer une clientèle en bloc pourrait engendrer plusieurs conséquences néfastes :

* Difficulté pour les cabinets indépendants de recruter des professionnels aguerris.

* Découragement des jeunes conseillers en épargne collective, incapables de se bâtir une clientèle dans un délai raisonnable au sein d’un cabinet indépendant.

* Baisse marquée de la rémunération des représentants de carrière en épargne collective qui changent de cabinet et qui acceptent de reconquérir leurs clients un à la fois.

* Débauche des clients en catimini. Un conseiller qui souhaite changer de cabinet pourrait, sous la table, faire signer à ses clients des autorisations de transfert. Ce faisant, il sera « déloyal à son employeur » jusqu’au moment où il remettra sa démission, fait remarquer Me Gauthier. Si ce conseiller a de nombreux clients, il pourrait pêcher en eau trouble pendant longtemps.

L’AMF a pris bonne note de ces doléances, signale Me Gauthier. Elle n’a rien promis, mais elle s’est engagée à en évaluer les tenants et aboutissants. En soi, c’est un pas dans la bonne direction, dit-il. « L’ouverture est là, le travail se fait. Vrai, ce n’est pas aussi rapide qu’on le voudrait. Vrai, nous ne gagnerons pas toutes les batailles. Mais croire que l’AMF souhaite notre disparition [celle des cabinets indépendants], je ne suis plus de cette école », conclut Me Gauthier.

Ronald McKenzie