Enquête : évitez de vous enfoncer dès le premier rendez-vous

Par Jacques Franc de Ferrière | 8 juillet 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Lorsque les organismes d’autorégulation (l’Organisme Canadien de Réglementation du Commerce des Valeurs Mobilières (OCRCVM) et la CSF – au Québec seulement) ouvrent une enquête, la première rencontre entre l’enquêteur et le conseiller déterminera souvent si la syndique de la Chambre (ou l’OCRCVM) abandonnent la procédure ou, au contraire, passent à l’étape suivante.

La CSF a refusé d’accorder une entrevue à Conseiller.ca, mais Elsa Renzella, Vice-Présidente par intérim de la Mise en Application à l’OCRCVM, nous a détaillé l’importance de ce premier contact :

« La première rencontre entre l’OCRCVM et le conseiller est une étape cruciale puisqu’elle permet à ce dernier de répondre aux préoccupations réglementaires qui donnent lieu à l’enquête. Il est important de noter que les réponses données lors de cet entretien peuvent être déposées comme preuve à toutes les audiences disciplinaires qui pourraient suivre. »

Un juge de la CSF préférant garder l’anonymat explique d’ailleurs qu’il arrive que des conseillers voulant jouer cartes sur table s’incriminent sans s’en rendre compte dans des dossiers n’ayant rien à voir avec la plainte initiale, et soient poursuivis par la syndique en conséquence.

Contacter son avocat dès que possible

Pour éviter les faux pas, la solution la plus sûre est de contacter un avocat dès que vous êtes mis au courant de l’enquête. Me Martin Courville, du cabinet De Chantal D’Amour Fortier, est un spécialiste des procédures disciplinaires de la CSF, à la défense. Il suggère aux conseillers de « consulter un avocat avant d’envoyer leurs réponses aux questions de la syndique. Il va de soi que pour répondre adéquatement, le conseiller doit voir son avocat pour vérifier qu’il ne fait pas d’aveux ou d’admissions qui pourront lui porter préjudice. Il faut aussi rester clair, concis et éviter les malentendus. »

Mais lors de l’entretien, le conseiller sera seul à répondre aux questions de l’enquêteur, son avocat restant simple spectateur, à cause des prérogatives spéciales des organismes d’autorégulation (voir encadré) : « Le conseiller est obligé de répondre à toutes les questions de l’enquêteur. Le rôle de l’avocat est donc limité durant la rencontre, mais essentiel pour sa préparation », assure Martin Courville. Attention donc, un avocat qui ne serait pas habitué à la procédure pourrait même être un handicap. « L’avocat ne doit pas objecter aux questions, car ce pourrait être considéré comme une entrave à l’enquête », précise-t-il.

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Est-ce mal vu de se présenter sans avocat?

Un conseiller qui veut régler l’affaire rapidement pourrait penser se débrouiller sans avocat et ainsi donner l’impression d’être plus honnête. Me Courville met cependant en garde contre cette tentation : « L’enquête et son résultat ne sont pas une affaire de perception, mais une question de preuves. Un conseiller qui est accompagné d’un avocat est un conseiller qui prend soin de ses affaires. À partir du moment où l’avocat connaît bien son rôle lors de l’entrevue il n’y aura pas de préjudice. »

Elsa Renzella confirme qu’il est « très commun que les conseillers soient accompagnés d’un juriste lors de ces entretiens. Concrètement, nos employés savent et acceptent que les conseillers ont le droit à un avocat durant l’étape de l’enquête. »

Comment ça ce passe en pratique?

Si une plainte ou une dénonciation sont adressées à la CSF ou à l’OCRCVM, une enquête peut être ouverte. Le conseiller est mis au courant par une lettre officielle, qui contiendra parfois toute une série de questions pointues auxquelles il devra répondre dans un délai précis. Si ses explications satisfont les enquêteurs, ils peuvent abandonner l’enquête ou proposer un arrangement. Sinon, ils continuent la procédure et demandent un entretien formel.

Les enquêteurs peuvent aussi demander le dossier du client établi par le conseiller, selon la nature de la plainte. Le plus souvent ce document est consulté lors des accusations :

  • de fausses signatures
  • de mauvaise conformité des placements eu égard au profil de l’investisseur.

Enfin, Me Courville recommande aux conseillers de compléter leurs dossiers dès réception de la première lettre d’une autorité d’autorégulation : « La clé du succès dans une enquête disciplinaire est de connaître son dossier, s’assurer qu’il soit complet et que tout s’y retrouve. »

Combien ça coûte?

Le seul frais au début de la procédure sera celui de votre conseiller juridique, soit votre avocat. Pour relire vos réponses à l’autorité et vous préparer à un entretien avec les enquêteurs, il ne facturera que quelques heures, « un excellent investissement s’il peut éviter qu’une plainte soit déposée, car les coûts de l’avocat lors d’audiences devant le comité de discipline peuvent vite être élevés », résume Me Courville.

Le coût de la défense lors d’une procédure disciplinaire avait été estimé pour Conseiller.ca par Me Karen Rogers, associée du cabinet Heenan Blaikie : « un avocat, c’est entre 250 $ et 700 $ de l’heure [selon son ancienneté et sa réputation]. Nous facturons 8 heures par jour de procès plus une journée de préparation avant les audiences. De plus, une expertise coûte entre 25 000 et 50 000 $. Le total peut monter à 100 000 $ assez facilement. »

Les pouvoirs spéciaux des enquêteurs

Les autorités d’autorégulations possèdent des pouvoirs d’enquête que même les forces de l’ordre n’ont pas. Ainsi, aucun des témoins qu’elles interrogent n’a le droit de garder le silence : refuser de parler ou de collaborer avec les enquêteurs est une obstruction passible d’une amende.

Notons que même coopérer de mauvaise grâce peut être pénalisant : « Les réponses du conseiller lors d’une entrevue sont étudiées afin de déterminer s’il y a assez d’éléments pour engager une action disciplinaire. Son comportement est un facteur déterminant pour établir sa crédibilité, similairement aux autres témoins de l’affaire », confirme Elsa Renzella.

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