Enquêtes de l’AMF
Y aurait-il un malaise, docteur?

Par Gérard Bérubé | 25 juin 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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La structure et les modalités de supervision et d’inspection des cabinets et conseillers financiers ne font pas l’unanimité. La non-proportionnalité observée, unique parmi les professions, dérange.

Coûts élevés de l’inspection, amendes minimales supérieures, double voire triple défense pour les mêmes faits, recours disciplinaires potentiellement abusifs et déclenchement du processus d’inspection théoriquement soumis à l’arbitraire composent les doléances entendues ici et là dans une industrie où les petits cabinets cohabitent avec les grandes institutions.

Pour sa part, l’Autorité des marchés financiers (AMF) préfère ne pas commenter. Le directeur des relations médias, Sylvain Théberge, indique que « tout ce qui touche nos procédures d’inspection et d’enquête est confidentiel ». Sur son site Internet, l’Autorité précise que « l’inspection se fait dans un esprit de coopération puisque les inspecteurs collaborent avec les inscrits à la recherche de solutions visant à corriger les lacunes constatées ».

L’exercice d’inspection de l’AMF chez Mérici Services Financiers, survenu à l’automne 2011, permet d’illustrer le processus. Maxime Gauthier, avocat et chef de la conformité au sein du cabinet regroupant des conseillers indépendants, constate d’entrée de jeu que, malgré la double structure, la mécanique est bien huilée entre l’AMF et les chambres, ici la Chambre de la sécurité financière. « Chacun est souverain, chacun est indépendant », souligne-t-il.

Cette précision étant, Maxime Gauthier détaille trois types d’inspection : celle portant sur les assises financières, l’inspection de nature disciplinaire et « l’inspection-surprise ». La première se fait généralement aux deux ans et est gratuite puisque les coûts sont défrayés à même les cotisations annuelles. « En ce qui concerne les frais d’enquête, ils font partie des frais de fonctionnement de la Chambre. Pour les frais d’expertise reliés au processus d’enquête, s’ils sont acceptés en preuve par le comité de discipline, ils feront partie des débours », précise toutefois l’organisme d’autoréglementation dans sa documentation. Il en est ainsi des inspections de nature disciplinaire menées par la Chambre, sauf si elles aboutissent à un jugement de culpabilité. Il y aura alors dépens et le conseiller devra couvrir les frais d’huissier, d’expertise et un montant forfaitaire par journée d’audiences.

En revanche, l’inspection visant à scruter la façon de faire des cabinets est facturée. Ici, l’on parle d’une inspection sur place non annoncée. « Le Service de l’inspection de l’Autorité visite l’établissement d’un inscrit sans lui annoncer sa venue au préalable. L’inspection est faite en fonction de certains facteurs de risque », peut-on encore lire sur le site de l’Autorité. « On ne s’en tire pas sans la présence d’enquêteurs pendant au moins une semaine, sinon plus. Dans notre cas, ils étaient deux à analyser nos dossiers internes, de manière aléatoire, précise Maxime Gauthier, revenant à sa propre expérience. Chaque enquêteur facture à l’heure, au tarif de 80 $. La préparation préalable à l’inspection et, par la suite, la rédaction du rapport sont également facturées. Faites le calcul, ça peut monter rapidement. »

Cette façon de faire n’est pas légion en matière de supervision, mais une tendance semble se dessiner. À titre d’exemple, la Réserve fédérale américaine vient d’annoncer que les institutions soumises à sa supervision devront désormais défrayer les coûts de l’exercice.

Risques d’abus?

Maxime Gauthier ne connaît pas les détails du processus de sélection conduisant à l’inspection. « Une cote de risque est attribuée à chaque cabinet. Le nom du cabinet est mis dans un chapeau puis il y a pige, ce qui prépare l’horaire de la prochaine année », résume-t-il.

Cette mécanique laisse le hasard décider, mais ouvre également la porte à l’arbitraire, voire à une intervention potentielle subjective. Peut-elle conduire à des abus? « Je ne suis pas un adepte de la théorie du complot », répond le chef de la conformité de Mérici. Peut-elle être dissuasive et faire taire ceux qui auraient tendance à s’élever contre l’Autorité? « Peut-être que les grandes dénonciations publiques vont attirer l’attention, mais si tu n’as pas de squelette dans le placard… J’ai de la difficulté à croire que de telles pratiques soient érigées en système. Je sais que mes propos ne plaisent pas à tous, mais j’aime accorder une présomption de bonne foi », répond M. Gauthier.

Reste que plusieurs commentaires négatifs ont été recueillis auprès de conseillers. Ils ont toutefois été obtenus sous le couvert de l’anonymat. Les dénonciations ou doléances portent pour l’essentiel sur la superposition des régimes réglementaires, qui peut mener à la double pénalité pour une même faute. Certains déplorent également un flou juridique dans le cas de sanctions administratives venant de l’AMF, dont certaines décisions sont finales et sans appel alors qu’il peut exister un processus d’appel à l’interne pour d’autres.

Ils pointent également en direction de l’encadrement disciplinaire pour trouver préjudiciable qu’une audition soit dévoilée publiquement avant qu’une décision soit rendue. D’autres, enfin, attribuent à la Chambre le réflexe de multiplier les éléments d’enquête et d’allonger la liste d’information demandée au-delà des renseignements pertinents à la cause. Puisque les amendes obtenues entrent dans le financement de la Chambre, il peut en résulter une situation de conflit d’intérêts potentiel.

Un problème de proportionnalité?

André Bois, avocat spécialisé dans le domaine financier, associé au cabinet Tremblay Bois Mignault Lemay, reçoit lui aussi de nombreux échos d’insatisfaction. Il observe un « zèle particulier » à l’endroit des petits cabinets, « sous prétexte que la grande institution est capable de se surveiller elle-même et peut tout régler à l’interne ». Et si une procédure disciplinaire est enclenchée, quel que soit le bien-fondé de la plainte ou la décision finale, « c’est coûteux et tatillon ».

Il lui arrive aussi de constater que, si le syndic dépose une plainte, le comité de discipline va généralement élargir le spectre de son investigation. « Beaucoup d’accusations peuvent s’ajouter. Voulant acheter la paix, le conseiller va plaider coupable à un ou quelques chefs et accepter l’amende. Une amende pour les grosses firmes de ce monde! », poursuit l’avocat, qui soutient également que les amendes minimales sont plus élevées en vertu de la Loi sur la distribution des produits et services financiers qu’en vertu du Code des professions. Dans le premier cas, l’amende minimale pour une personne physique varie de 2 000 à 5 000 $ selon la nature de l’infraction, contre 1 000 à 1 500 $ dans le Code des professions.

À cette sanction disciplinaire peut s’ajouter une mesure administrative contre le conseiller, touchant son cabinet ou sa certification. « On parle de deux flagellations pour la même faute. De trois si la faute mène à une condamnation au pénal », déplore Me Bois. Et si le conseiller interjette appel, « cela ne suspend pas la sanction », contrairement à ce qui se passe dans d’autres professions.

La pensée d’André Bois se résume à la non-proportionnalité du système disciplinaire régi en vertu de la Loi sur les produits et services financiers. Selon lui, elle renferme quelques particularités non observées ailleurs, notamment dans le Code des professions.

Pas si fréquent que ça?

Jean-Pierre Michaud apporte un son de cloche différent. L’associé au bureau de Borden Ladner Gervais à Montréal estime que les cas d’abus de pouvoir et de réglementation discrétionnaire ne sont pas fréquents. Le droit disciplinaire et les litiges commerciaux font partie du champ de spécialisation de cet avocat, qui s’active notamment dans l’univers des valeurs mobilières. Ici, l’autoréglementation est placée sous la juridiction de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières, dont les pouvoirs sont clairement définis. « Je ne vois pas en quoi ce serait différent pour la distribution des produits et services financiers », dit-il.

Au chapitre de la double structure réglementaire, Jean-Pierre Michaud souligne que la Cour suprême doit rendre une décision, fort attendue, dans une cause portant sur une infraction impliquant à la fois le pénal et le civil. Dans l’intervalle, il demande : « Si une personne est frappée de mesures administratives, peut-elle ensuite se laver les mains et soutenir qu’elle n’a pas à être poursuivie au pénal ou au criminel pour les mêmes faits sous le prétexte qu’elle a déjà été jugée et qu’elle a payé? » Selon pareil raisonnement, un Vincent Lacroix aurait pu s’en sortir avec une simple sanction administrative, illustre-t-il.

Sans se limiter à ce cas extrême, l’associé de Borden Ladner Gervais rappelle que, selon le tribunal qui mène l’audience, un même fait peut être vu ou plaidé comme étant un facteur aggravant par l’un, et un facteur atténuant par l’autre. Donnant l’exemple d’un client qui réalise un bon gain sur un placement conseillé dérogeant toutefois à la règle de conformité et au principe de bien connaître son client, « ce n’est pas parce qu’il n’y a pas perte d’argent qu’il n’y a pas d’infraction », résume-t-il.

Gérard Bérubé