Évasion fiscale : la Suisse championne de l’opacité financière

Par La rédaction | 4 novembre 2015 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Même si « de réelles mesures ont été prises » pour combattre l’évasion fiscale, ces progrès restent fragiles, estime l’association britannique Tax Justice Network (TJN) dans le rapport qu’elle a publié hier.

Dans ce classement de l’« Indice de l’opacité financière » mis à jour tous les deux ans, l’organisation souligne que « le score de la plupart des pays s’est amélioré », notamment grâce au système d’échange automatique de données mis en place par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Pour mémoire, ce protocole prévoit que les pays signataires doivent s’informer mutuellement, et ce, de façon automatique, des actifs possédés à l’étranger par leurs citoyens et leurs entreprises.

LA SUISSE CONSTITUE 6 % DU SECTEUR BANCAIRE MONDIAL

Malgré les bons points qu’elle décerne, TJN pointe du doigt un certain nombre de pays qui hésitent encore à mettre en œuvre une véritable politique de lutte contre l’évasion fiscale, notamment la Suisse, le Royaume-Uni et ses territoires d’outre-mer, les États-Unis et Hong Kong.

Une fois de plus, c’est la Confédération helvétique qui arrive en tête des États jugés les plus opaques financièrement, en partie à cause de l’importance de son secteur bancaire. Elle se voit ainsi décerner le bonnet d’âne, devant Hong Kong, les États-Unis et Singapour.

Calculé à partir de quinze critères (secret bancaire, registre de trusts, transparence des entreprises, etc.), le score d’opacité de la Suisse est de 73 (sur 100), ce qui la place au 24e rang du classement (sur 92 juridictions étudiées). Toutefois, TJN réalise son « palmarès » en multipliant ce coefficient par le poids financier du pays; et avec près de 6 % du secteur bancaire mondial, la Confédération obtient forcément un moins bon résultat.

L’ARGENT SALE DES PAYS PAUVRES

« Il n’en reste pas moins que cette première place est méritée », juge John Christensen, directeur de TJN, qui met en cause la politique à deux vitesses menée par le pays : « De l’argent propre venant des pays riches, mais de l’argent sale venant des pays pauvres. »

Le rapport de l’association souligne en effet que si la Suisse a accepté le principe de l’échange automatique de données, elle n’a en revanche signé des accords qu’avec les principaux pays occidentaux, « oubliant » au passage la plupart des États d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie.

Résultat, les fonds provenant de ces régions continuent d’être protégés par le secret bancaire, ce qui constitue « une politique délibérée », selon John Christensen.

« DUPLICITÉ » DE LA COURONNE BRITANNIQUE

Autre place forte de l’opacité financière dans la ligne de mire de TJN : le Royaume-Uni. Même si le pays n’arrive qu’en 15e position, le directeur de TJN estime qu’« en incluant les dépendances de la Couronne et les territoires d’outre-mer, il serait très largement à la première place ».

Le problème concerne particulièrement les trusts, spécialité du droit britannique, qui permettent de conserver des fonds sans en dévoiler le bénéficiaire, explique Le Temps. Les « trustees », dont l’identité est connue, sont de simples prête-noms.

Officiellement, Londres dit vouloir imposer la création de registres identifiant leurs bénéficiaires, poursuit le quotidien suisse. En 2013 et 2014, le gouvernement de David Cameron a d’ailleurs fait pression sur les trois dépendances (Jersey, Guernesey et l’île de Man) et les 14 territoires d’outre-mer de la Couronne (îles Caïmans, îles Vierges Britanniques, Bermudes, etc).

AUTRES MAUVAIS ÉLÈVES, LES ÉTATS-UNIS ET L’ASIE

Sans résultat jusqu’à présent, d’où la colère de TJN, qui accuse le gouvernement britannique de « duplicité » et soutient que s’il en avait réellement l’intention, il n’aurait aucune difficulté à imposer sa volonté.

Enfin, TJN a également la dent dure contre les États-Unis, qui refusent d’être partie prenante de l’échange automatique de données instauré par l’OCDE sous le prétexte qu’ils disposent de leur propre législation, le Foreign Account Tax Compliance Act, entré vigueur en 2014.

Or, si le FATCA est très sévère envers les Américains qui veulent fuir le fisc national, il est en revanche assez laxiste avec les étrangers qui viennent placer leurs capitaux illicites chez nos voisins du Sud, notamment dans des États comme le Delaware ou la Floride. Ce qui « risque de créer un trou noir dans les efforts internationaux de lutte contre l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent et le crime financier », met en garde TJN.

L’ARGENT DOUTEUX CONCENTRÉ EN ASIE?

Même son de cloche pour ce qui concerne l’Asie. Si les États-Unis et l’Europe ont quand même réalisé des progrès depuis ces dernières années, l’association juge que ce n’est pas le cas de certains pays ou territoires asiatiques, notamment Hong Kong et Singapour, qui arrivent respectivement en deuxième et quatrième place de son classement.

En effet, selon TJN, ces deux juridictions n’ont pas ratifié l’accord d’échange automatique de données et elles ne semblent pas souhaiter le faire un jour, bien qu’elles représentent quelque 8 % des services financiers mondiaux, soit davantage que la Suisse.

Pour John Christensen, le danger est que l’argent de provenance douteuse se réfugie dans cette région au fur et à mesure que la législation se durcira dans les pays occidentaux. « Le problème est en partie géopolitique, puisque la Chine n’a pas bougé dans ce domaine », déplore-t-il.

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