Far West et cowboys

11 juin 2014 | Dernière mise à jour le 11 juin 2014
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cowboy with lasso silhouette at small-town rodeo. Note: added grain.

Dans l’Amérique des colons comme dans la culture populaire, c’est bien connu, le rêve américain, c’est gros. Depuis Christophe Colomb, l’idée est généralement admise que ce continent qui s’étend à perte de vue est celui de tous les possibles.

Comme pour ceux partis d’Europe qui, sans le sou et en moins d’une génération, dans cette Amérique libre de contraintes, riche en ressources, sont devenus « quelqu’un ». Célèbre, adulé, reconnu, envié mais surtout… riche! Le mythe des cowboys et du Far West…

C’est une expression consacrée, d’ailleurs, dans le milieu des services financiers. On entend dire à l’occasion que tel représentant est un « cowboy » pour son goût du risque ou ses méthodes plus ou moins orthodoxes de conseiller ses clients.

La même épithète s’emploie aussi au sujet de certaines sociétés, en assurances surtout, qui sont administrées par des dirigeants « cowboys » tant leurs décisions font jaser. Comme accepter d’assurer des clients ordinaires pour des sommes de 20 millions sans sourciller, comme arrondir les coins de la conformité ou jouer à l’autruche quand il s’agit d’un « gros producteur » ou d’un membre du « million dollar round table » qui multiplie les transactions plutôt que les conseils.

On aimerait bien croire que ce sont des reliquats d’une autre époque. Dans une certaine mesure, c’est le cas, mais on a encore du pain sur la planche et heureusement des exemples positifs pour servir d’inspiration.

Certains pionniers du conseil financier se sont réunis il y a 25 ans pour discuter de l’importance de mettre de l’ordre dans le Far West et pour s’assurer que les consommateurs puissent reconnaître la pratique de la planification financière à travers l’expert qui les conseille. Ils se sont alors donné les moyens de standardiser l’expertise, de la structurer, de la codifier et de l’enseigner. C’est un petit groupe de visionnaires qui a fondé l’Institut québécois de planification financière (IQPF). Puis, ils se sont assurés de faire enchâsser un titre réservé dans la loi qui régit la distribution des services financiers : celui de planificateur financier. Un coup de génie, encensé partout en Amérique, et même en Europe! Tous les financial planners de ce monde ont la même réaction quand on leur dit que ce titre est réglementé sur notre petite parcelle d’Amérique française. « Wow! Why didn’t we think of that, we are so envious of you guys… »

Bien sûr, rien n’est parfait dans ce monde qui pour certains change trop vite et qui, paradoxalement pour d’autres, pas assez. Reste qu’en 25 ans, l’IQPF a été un vecteur d’expertise, une locomotive qui a tiré vers le haut les standards d’éthique et de professionnalisme de l’industrie en matière de conseil au Québec. D’ailleurs, la plupart des grandes institutions financières comme Desjardins, la Banque Nationale ou la Royale l’ont reconnu depuis longtemps et exigent que leurs équipes-conseils soient composées de conseillers détenant la formation de Pl. Fin. Malgré les enjeux, les désaccords, les rebuffades comme celle du projet inabouti d’ordre professionnel et surtout grâce à ses innombrables bons coups, l’IQPF demeure une formidable réussite, surtout un quart de siècle plus tard, lui conférant une auréole de pérennité.

Si la formation continue s’est raffinée depuis 25 ans, si les conseillers de toutes allégeances ont amélioré leur pratique et leur niveau de compétence, les planificateurs financiers de l’IQPF peuvent probablement reprendre à leur compte cette vieille rengaine publicitaire : « … il y a un petit peu de nous autres là-dedans. »

Néanmoins, même si un planificateur financier met quatre années d’études universitaires pour obtenir son diplôme, que cette démarche incite tous les représentants à se perfectionner par émulation ou par concurrence, il y a encore des situations aberrantes, incompréhensibles. N’oublions pas que nous sommes en Amérique, où le meilleur côtoie le pire à l’occasion.

Vous avez sans doute vu notre reportage sur les sociétés de secours mutuel (SSM) paru il y a quelques semaines dans notre infolettre, où on vous explique que vous avez des concurrents qui ont vendu, sans permis, pour plus de deux milliards de dollars d’assurance vie, soit tout l’éventail des produits d’assurance et de prestation du vivant. Selon les chiffres de l’AMF, cela représente 81 451 polices en vigueur pour environ 2,4 milliards. Qui sont ces « représentants »? Les Fils de l’Écosse, Arcane Royal et la Financière FaithLife, notamment.

La part du lion revient aux Chevaliers de Colomb : en 2012 seulement, ils ont souscrit plus de 3 500 polices d’assurance de personnes, soit 35,4 M $ de primes. Pour ceux qui comme moi n’avaient aucune idée de ce commerce parallèle, avouez que c’est un choc! Une soixantaine de « conseillers fraternels » qui génère un volume de 3 500 polices par an, c’est 1,1 police par conseiller par semaine. Je connais des agents généraux qui n’en demandent pas tant.

Pas de formation continue, pas de conformité, pas d’analyse de besoins financiers, pas de dossiers consignés… Toutes les activités des SSM confinées dans une autre dimension. On dirait presqu’une mise en abîme tellement c’est vertigineux. Si Raël lance une confrérie de secours mutuel, pourrait-il financer ses activités grâce à la vente d’assurances vie sous votre nez?

Ma question pour les vacances d’été : Comment est-ce possible dans notre industrie que l’excellence comme celle des Pl. Fin. côtoie ainsi l’approximatif du cowboy?

Et les shérifs, ils font quoi?


Yves Bonneau, rédacteur en chef. yves.bonneau@objectifconseiller.rogers.com

Ce texte est paru dans l’édition d’avril 2014 de Conseiller. Cliquez ici pour consulter l’ensemble du numéro.

Notre dossier sur les 25 ans de l’IQPF :

Far West et cowboys Paroles d’ex-présidents Dans la mire de l’IQPF D’un océan à l’autre La grande dame de l’IQPF

À lire : L’assurance « fraternelle », ça rapporte un max