Fausses accusations

Par Ronald McKenzie | 9 février 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2006 de Conseiller.


En matière d’intégrité et de déontologie, les conseillers sont aussi bons, sinon meilleurs, que les autres professionnels.

COMMENTANT LE REPORTAGE de l’émission Zone Libre sur l’affaire Nortel Networks en janvier dernier, la chroniqueuse Louise Cousineau, du quotidien La Presse, concluait : « Dans tous les cas, méfiez-vous des conseillers. Travaillent-ils pour vous ou pour eux? Vous rouleront-ils en moins de temps qu’il n’en faut pour dire REER ? »

Décidément, les conseillers en services financiers n’ont pas bonne presse. Le scandale Norbourg et les affaires Norshield et Mount Real ont largement contribué à miner la confiance des consommateurs, à tel point que la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale a décidé, au début de février, d’examiner certaines pratiques de l’industrie.

Pour couronner le tout, le grand patron de l’Autorité des marchés financiers (AMF), Jean St-Gelais, fustige publiquement les conseillers. Le public a en main tout ce qu’il faut pour les clouer définitivement au pilori.

Pourtant, une analyse des faits montre deux choses:

  • Les conseillers en services financiers, qu’ils soient représentants en épargne collective ou en valeurs mobilières, conseillers en sécurité financière, etc., sont parmi les professionnels les plus surveillés et les mieux encadrés au Québec, deux fois plutôt qu’une.
  • En ce qui concerne les plaintes portées devant le syndic, les conseillers s’en tirent aussi bien, sinon mieux, que les professionnels oeuvrant dans d’autres secteurs.

DOUBLE SURVEILLANCE

Au Québec, faut-il le rappeler, les conseillers en services financiers sont assujettis à l’AMF et à deux organismes d’autoréglementation qui disposent de pouvoirs quasi judiciaires en matière de déontologie et de conformité. Les représentants en épargne collective et les conseillers en sécurité financière, par exemple, sont encadrés par l’AMF et la Chambre de la sécurité financière (CSF), tandis que les représentants en valeurs mobilières sont soumis à l’AMF et à l’Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières (ACCOVAM).

Chacune de ces entités voit à ce que ses règlements soient appliqués. Dans le cas de l’AMF, il s’agit entre autres de la Loi sur les valeurs mobilières, alors que pour la CSF, les références sont le Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières et le Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière. Pour l’ACCOVAM, le Manuel de réglementation, un document de plus de 600 pages, établit les normes. «Un représentant qui commet une infraction à la loi pourrait devoir répondre de ses actes à la fois à l’AMF et à l’ACCOVAM», dit Claudyne Bienvenu, directrice des services aux membres de l’ACCOVAM.

Ce double système de surveillance distingue l’industrie des services financiers des autres secteurs où oeuvrent des professionnels reconnus par la loi. Prenons les avocats, par exemple. Seul le Barreau du Québec encadre et surveille leurs pratiques. Certes, l’ordre dispose d’un comité d’inspection professionnelle, mais celui-ci n’a pas le pouvoir de sanctionner un membre fautif. Tout au plus peut-il le mettre en demeure de se conformer à la déontologie. Si rien n’y fait, le comité d’inspection professionnelle peut informer le syndic du Barreau que ce membre ne veut rien entendre, mais la suite des événements repose entièrement dans les mains du syndic.

Au contraire, les professionnels des services financiers peuvent être l’objet d’inspections et d’enquêtes instituées par deux instances. Et les pouvoirs de celles-ci sont importants. «L’AMF peut mener à tout moment des inspections spécifiques», dit Yan Paquette, directeur de l’inspection et des enquêtes à l’AMF. En d’autres mots, il s’agit d’inspections à l’improviste qui peuvent être déclenchées, par exemple, à la suite d’un nombre élevé de plaintes à l’égard d’un conseiller.

Si jamais ce conseiller est soupçonné d’avoir commis une infraction à la loi, il fera l’objet d’une enquête, qui pourra elle aussi être menée à l’improviste. Ainsi, les enquêteurs de l’AMF peuvent débarquer à son bureau sans s’annoncer. Ses dossiers seront fouillés, sa comptabilité, passée au peigne fin et, s’il le faut, l’AMF assignera des témoins à comparaître et obtiendra un mandat de perquisition.

QUAND LA DÉONTOLOGIE S’EN MÊLE

Un conseiller qui est dans la mire de l’AMF aura probablement commis en cours de route un accroc à la déontologie. Interviendra, selon le cas, la CSF ou l’ACCOVAM. S’il s’agit de la CSF, son équipe de la Direction de la protection du public lancera une enquête disciplinaire. Elle communiquera avec toutes les personnes impliquées dans le dossier, recueillant les témoignages et les documents pertinents. Le syndic sera informé de cette démarche. Le conseiller sera convoqué par le syndic de la CSF, rencontre à laquelle il est obligé de se présenter. Il devra mesurer ses paroles afin d’éviter de s’auto-incriminer. Idéalement, il demandera à un avocat de l’accompagner afin de faire respecter ses droits. Prudence exagérée? Pas du tout. Au cours de notre recherche, nous avons recueilli le témoignage de conseillers qui ont eu maille à partir avec le syndic de la CSF. En pleine négociation avec un client difficile qui lui réclamait un dédommagement, l’un d’eux a vu le syndic de la CSF déposer une plainte au comité de discipline alors que l’affaire était en voie de règlement!

Dans un tel cas, le conseiller aura 10 jours pour comparaître afin de plaider coupable ou non coupable aux chefs d’accusation portés contre lui. L’étape suivante, s’il y a lieu, sera l’audition sur culpabilité. Bien que le fardeau de la preuve repose sur les épaules du syndic, celui-ci n’aura qu’à présenter une preuve prépondérante (et non hors de tout doute raisonnable) pour établir la culpabilité du conseiller.

Autrement dit, si le comité de discipline a le moindre doute sur la culpabilité du conseiller, il le sanctionnera. Certes, celui-ci peut en appeler du verdict, mais entretemps la décision du comité de discipline demeure exécutoire. «La Chambre suggère aux membres touchés par une plainte de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer leur défense», peut-on lire dans l’édition de septembre 2005 du magazine Sécurité financière. Voilà une recommandation que les conseillers ont intérêt à suivre.

AUSSI BIEN, SINON MIEUX

On ne peut que s’étonner des dénonciations publiques lancées contre les conseillers, à plus forte raison quand elles émanent d’un organisme qui les encadre. En effet, un examen du nombre de plaintes réellement fondées et du taux de radiation ou de suspension de permis porte à conclure que les conseillers s’en tirent aussi bien, sinon mieux, que les professionnels œuvrant dans d’autres secteurs.

Taux de plaintes portées devant le comité de discipline

Ordres et organismes d’autoréglementation Nombre de membres Nombre de plaintes portées devant le comité de discipline Taux
Chambre des notaires du Québec 3 177 27 0,85 %
Barreau du Québec 20 874 126 0,60 %
ACCOVAM 26 998 44 0,16 %
Ordre des comptables généraux licenciés du Québec 7 953 8 0,10 %
Chambre de la sécurité financière 28 647 26 0,09 %
Collège des médecins du Québec 17 477 15 0,09 %
Ordre des comptables agréés du Québec 16 934 16 0,09 %
Ordre des comptables en management accrédités du Québec 6 366 3 0,05 %
Ordre des administrateurs agréés du Québec 2 433 1 0,04 %
Ordre des infirmières et infirmiers du Québec 68 700 25 0,04 %
Les résultats sont présentés par ordre décroissant de taux.Les données relatives à l’ACCOVAM ne visent que les individus assujettis à l’organisme. Elles sont valables pour tout le Canada.

Source : rapports annuels des ordres et des organismes (2004-2005, sauf celui de la CSF [2004]).

Dans le tableau ci-dessus, nous avons calculé, à partir des plus récentes données, le taux de plaintes portées devant le comité de discipline (ou l’équivalent dans le cas de l’ACCOVAM) de 10 ordres professionnels et organismes d’autoréglementation.

Qu’y constate-t-on? Pour ce qui est de l’ACCOVAM, seules 44 plaintes portées contre l’un ou l’autre des 26 998 professionnels régis par l’organisme en 2004-2005 étaient suffisamment étayées pour qu’elles se retrouvent devant une formation d’instruction. Taux : 0,16 %. En ce qui concerne les conseillers relevant de la CSF, ils ont mieux fait et se trouvent en milieu de peloton, avec un taux de 0,09%. Le plus haut taux de plaintes revient aux notaires (0,85%), tandis que les administrateurs agréés et les infirmières affichent le plus bas taux du groupe (0,04 %).

Qu’une plainte soit acheminée au comité de discipline est une chose, mais qu’un conseiller soit coupable d’une infraction à la déontologie en est une autre. Dans le tableau ci-dessous, nous avons calculé le nombre de permis radiés et suspendus, de même que le nombre d’interdictions de pratique décrétées par les ordres professionnels et organismes d’autoréglementation au cours de l’année 2004-2005. Afin de ne pas laisser de chance indue au coureur, nous avons retenu tous les types de sanctions, qu’elles soient temporaires, partielles ou permanentes.

Résultat : avec 55 sanctions prononcées contre l’un ou l’autre de ses 26 998 membres, l’ACCOVAM s’en tire avec un taux de 0,20 %. En d’autres termes, chaque tranche de 491 personnes supervisées par cette association comprend un individu sanctionné. Ce n’est pas le meilleur score du groupe étudié. En effet, huit autres ordres et organismes d’autoréglementation présentent un taux de sanction inférieur. Mais ce n’est pas le pire non plus, cet «exploit» revenant aux avocats.

Quant aux professionnels régis par la CSF, ils présentent un meilleur rendement (si l’on peut dire), comme en fait foi le taux de radiation, de suspension et d’interdiction de pratique qui se chiffre à 0,07%. Autrement dit, chaque tranche de 1 364 conseillers inclut un professionnel sanctionné.

Nombre de radiations, de suspensions et d’interdictions de pratique

Ordres et organismes d’autoréglementation Nombre de membres Radiations, suspensions, interdictions de pratique1 Taux
Barreau du Québec 20 874 196 0,94 %
ACCOVAM 26 998 55 0,20 %
Chambre des notaires du Québec 3 177 3 0,09 %
Chambre de la sécurité financière 28 647 21 0,07 %
Collège des médecins du Québec 17 477 8 0,05 %
Ordre des administrateurs agréés du Québec 2 433 1 0,04 %
Ordre des infirmières et infirmiers du Québec 68 700 20 0,03 %
Ordre des comptables généraux licenciés du Québec 7 953 2 0,03 %
Ordre des comptables agréés du Québec 16 934 3 0,02 %
Ordre des comptables en management accrédités du Québec 6 366 1 0,02 %
1 Comprend les radiations et les suspensions temporaires et permanentes.

Source : rapports annuels des ordres et des organismes (2004-2005, sauf celui de la CSF [2004]).

Si l’on considère que les avocats, les notaires, les comptables, les médecins et les infirmières agissent, dans l’ensemble, avec intégrité et professionnalisme, on devrait porter le même jugement pour ce qui est de tous les conseillers en services financiers. Ceux-ci devraient d’ailleurs le clamer haut et fort: les chiffres sont là pour le prouver.

LA TRANSPARENCE EST LA CLÉ DU SUCCÈS

Malgré leur très bon dossier professionnel et déontologique, les conseillers ont fort à faire pour redorer leur image auprès d’un public ébranlé par les scandales financiers et les déclarations parfois intempestives des autorités réglementaires. Comment faire? François Gaboury, directeur marketing pour une importante société de services financiers, croit que la transparence est la clé du succès. «Dites à vos clients quels services vous offrez. N’hésitez pas à aborder la question de la rémunération, lance-t-il. Ce n’est pas toujours simple, mais cela permet de raffermir le lien de confiance.»

Ensuite, il faut démontrer aux consommateurs en quoi le travail du conseiller crée de la valeur ajoutée. «Vos clients doivent connaître votre approche par rapport au risque. Entre autres, vous devez leur expliquer quel niveau de perte est acceptable pour eux.» Une discussion approfondie en ce qui concerne l’impôt, la diversification des actifs et la sélection des titres doit également figurer parmi les priorités des conseillers, car les clients, même s’ils n’en parlent pas ouvertement, ont ces préoccupations en tête.

Évidemment, le souci de la transparence requiert beaucoup d’efforts, de patience et de pédagogie. Mais dans une industrie où la confiance constitue la pierre angulaire de l’édifice, il est difficile, voire impossible, d’y passer outre.

CONSEILLER OU USURPATEUR?

L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS (AMF) réussit régulièrement à faire condamner des individus pour toutes sortes d’infractions aux lois qu’elle administre, ce qui est une bonne chose.Mais ces personnes sont-elles des conseillers inscrits ou des usurpateurs de ce titre?

Pour l’année 2005 et le début de 2006, nous avons demandé à l’AMF de nous détailler une vingtaine de cas qui ont défrayé la manchette (voir tableau ci-contre). Les résultats sont étonnants.En effet,au moment où ils ont commis leurs méfaits, aucun des individus poursuivis ou condamnés n’était inscrit auprès de l’AMF ou de l’ancienne Commission des valeurs mobilières du Québec! Sur 19 personnes qui ont enfreint les lois relatives aux produits d’assurance, seulement trois (16 %) détenaient un droit de pratique valide.

Afin de renseigner adéquatement le public, les autorités devraient préciser dans les communiqués de presse qui annoncent les poursuites et les sanctions si elles ont eu affaire à un conseiller dûment inscrit ou à un imposteur, comme c’est trop souvent le cas.

Individus poursuivis ou condamnés Inscription ou droit de pratique valide1
CVMQ ouAMF2 CAP,BSF ouCAD3
Charbonneau, André non CAP
Cloutier, Régis non non
Coulombe, Marie-Claude non non
Darac, Victor non non
Dardy, Jean-Jacques non non
Demers, Stevens non non
Diodati, Michael non non
Gagné, Jacques non non
Girard, Camil non non
Laplante, Yvon non non
Lusignan, Jean-Pierre non non
Maheux, Michel non non
Morino, Maxso non non
Ouellette, Réal non non
Patry, Denis non non
Richard, Victor non non
Roberts, Gordon B. non non
Tessier, Sylvain non CAP, BSF
Vanier, Constant non BSF
1 Au moment où les infractions ont été commises. 2 CVMQ = Commission des valeurs mobilières du Québec. AMF = Autorité des marchés financiers. 3 CAP = Conseil des assurances de personnes. BSF = Bureau des services financiers. CAD = Conseil des assurances de dommages.

• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2006 de Conseiller.

Ronald McKenzie