Fautes professionnelles : la crise provoque une tempête de plaintes – partie 2

Par André Giroux | 12 mars 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Renée Piette est directrice principale de la conformité chez Gestion privée 1859 (BNC). « Les règles de conformité ont beaucoup évolué et sont de plus en plus présentes, estime-t-elle, mais la tendance était déjà marquée dès 2005. »

Elle souligne le règlement 31-103 sur les valeurs mobilières, adopté par l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels, qui a réformé l’inscription afin de l’uniformiser à travers le Canada. « Beaucoup de volets sont déjà en vigueur, d’autres sont en discussion, dont la partie sur les règles de convenance. Nous devons toutefois reconnaître que ce thème fait l’objet de plaintes récurrentes devant les organismes de réglementation. »

Par contre, les changements suggérés ne sont pas toujours applicables. « Un des aspects du règlement 31-103 actuellement en discussion, proposé par l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels et non encore en vigueur, concerne les relevés de compte remis aux clients, qui devront mentionner les coûts imputés à l’investisseur. Dans sa forme actuelle, ce projet de règlement exigerait beaucoup d’adaptation et des changements informatiques profonds. La grande question : les changements proposés aideront-ils vraiment l’investisseur? Je préfère m’abstenir de répondre à cette question », confie Renée Piette.

Y a-t-il abus de réglementation actuellement? « Le problème, c’est la vitesse à laquelle ces changements surviennent, poursuit Renée Piette. Ces changements requièrent des adaptations de systèmes, la formation des conseillers, des modifications aux formulaires et cela, en adaptant le tout afin que le client y comprenne les avantages. Une série de post-its où l’on demande au client de signer n’aide pas plus le client, qui se demande à quoi peuvent bien servir ces quelque 20 pages de documents. »

Quant au nombre de plaintes, « je constate une augmentation après chaque turbulence de marché, souligne Renée Piette. Je l’ai constaté à la Banque Nationale, mais aussi lorsque j’étais à la Commission des valeurs mobilières du Québec. »

« Les règles de conformité intéressaient peu de gens avant les scandales de Norbourg, Mount Real et Earl Jones, confirme Daniel Bissonnette, chef de conformité et planificateur financier à Services financiers Planifax. Depuis les scandales, la conformité est devenue un thème très populaire, avec la réforme de l’inscription, notamment. » Il souligne deux avantages québécois sur les autres provinces canadiennes : le Fonds d’indemnisation des services financiers et le système d’assurance pour erreurs et omissions, qui couvre tous les représentants. « Il est avant-gardiste par rapport au reste du Canada », estime le chef de conformité à Planifax.

Provenance des demandes d’enquête en assurance

Année

Consommateurs (%)

Syndic (%)

Industrie (%)

2010

37

27

36

2009

42

17

41

2008

38

14

48

2007

41

15

44

2006

39

18

43

2005

35

8

57

2004

40

5

55

Devant les tribunaux Daniel Bissonnette agit comme témoin expert devant les tribunaux. Les reproches les plus fréquents contre les conseillers : avoir omis de tenir compte de la situation spécifique du client, de ses objectifs ou de sa tolérance au risque, avoir émis des propositions impertinentes ou qui ne conviennent pas au profil de risque du client. « Le client invoque devant les tribunaux que la crise de 2008 lui a causé des dommages qu’il n’aurait pas dû subir. Or, les pertes et les dommages qui en découlent surviennent au moment de la liquidation des titres. Si le client a écouté son conseiller et conservé ses titres, il n’y a pas eu dommage. En vendant, le client provoque ses propres dommages. »

« J’agis actuellement dans une cause où, à première vue, le conseiller ne peut présenter aucune défense, illustre Daniel Bissonnette. Le portefeuille de son client est structuré avec beaucoup d’effet de levier, par exemple. Une étude plus approfondie du dossier révèle pourtant un client spéculateur qui semblait bien connaître les notions de placement puisqu’il spéculait depuis plusieurs années. En 2008, dans la soixantaine, il a utilisé les effets de levier à profusion, avec confiance parce qu’il a obtenu du succès dans le passé. Lors de la crise, il a vendu ses titres, et ce, à l’encontre d’une recommandation écrite provenant de son conseiller. »

« À mon avis, continue-t-il, le conseiller a accompli un travail exemplaire, mais la poursuite contre lui a eu pour effet que son univers s’est écroulé. Il a cumulé des problèmes de santé, un divorce, et des gens le fuient maintenant comme la peste. Pourtant, la poursuite me paraît injustifiée. »

Dans une autre cause, Daniel Bissonnette témoigne en faveur d’un conseiller face à une dame âgée possédant peu de formation, mais bénéficiant d’une expérience à titre d’entrepreneure. « À la suite d’un divorce, elle reçoit un montant de son ex-mari, raconte le témoin expert. Elle souhaite effectuer des placements risqués. Le conseiller le lui déconseille. La dame insiste. Elle décide d’aller chez un courtier à escompte. L’erreur du conseiller, c’est d’avoir facilité les choses à sa cliente afin de lui venir en aide. Il lui a préparé les documents requis et expliqué les démarches à accomplir. La dame a perdu 99 % de ses placements. Elle a fait le deuil de son placement, mais la famille a porté plainte et poursuit. »

« Personne n’est à l’abri d’une poursuite, même déraisonnable ou injustifiée », rappelle Daniel Bissonnette.

Ses recommandations : monter des dossiers bien documentés, afficher une analyse rigoureuse des besoins, démontrer ses études et ses travaux.

Et bien choisir ses clients! « Une bonne relation client-­conseiller requiert une confiance mutuelle. L’information destinée aux investisseurs recommande souvent de porter une grande attention au choix de son conseiller financier. Cela est vrai, mais l’inverse aussi. Le conseiller doit se sentir en confiance avec son client. Si un conseiller refuse de vendre un produit à un client parce qu’il considère qu’il ne lui convient pas, et que ce client menace d’aller ailleurs, le conseiller a peut-être intérêt à le laisser partir. Certains conseillers se plieront parfois au vœu du client. Qu’ils sachent qu’ils encourent des risques de poursuites, que celles-ci soient fondées ou non. »

Cet article est tiré de l’édition de février du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

André Giroux