FISF : les recommandations de l’AMF généralement bien accueillies

Par Ronald McKenzie | 3 octobre 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les intervenants qui ont accepté de commenter les orientations de l’Autorité des marchés financiers (AMF) sur une éventuelle réforme du Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF) les ont généralement bien accueillies.

Nous disons « généralement », car, sur certains points, nos participants sont demeurés sur leur appétit. La Coalition pour la protection des investisseurs (CPI) est la seule organisation consultée qui s’est dite plutôt déçue de l’ensemble des recommandations de l’AMF. La CPI préconise l’instauration d’un fonds universel et obligatoire de protection contre la fraude et la négligence fiduciaire. Nous y reviendrons.

Des points de convergence

« Plusieurs initiatives contenues dans le document de l’AMF sont en ligne, parfois directement, avec des recommandations que nous avons faites. C’est un pas dans la bonne direction qui, globalement, nous satisfait », dit Luc Labelle, président et chef de la direction de la Chambre de la sécurité financière.

Parmi ces points de convergence figurent la responsabilisation accrue des épargnants, par l’intermédiaire de la coassurance, l’exclusion des fautes lourdes comme motif d’indemnisation et le projet de modifier la loi afin d’étendre la couverture à toute fraude commise par un conseiller inscrit, peu importe sa certification et la nature des produits en cause.

Ce dernier point est important pour la Chambre. « Beaucoup de clients ignorent si leur représentant est autorisé à vendre tel ou tel produit. C’est compliqué pour eux de le savoir. On est content que l’AMF songe à enlever cette limitation de la couverture, surtout que 54 % des demandes [d’indemnisation] sont refusées à cause de ça », explique M. Labelle.

Oui à la responsabilisation accrue

La responsabilisation accrue des épargnants est un thème qui est revenu souvent, et pour des raisons diverses, dans nos discussions avec les intervenants. Daniel Thouin dit que l’instauration de la coassurance de 15 % est « une bonne chose », non seulement pour conscientiser les épargnants et les investisseurs aux gestes qu’ils posent, mais aussi pour remplumer le FISF. « C’est le moins capitalisé de tous les fonds d’indemnisation au Canada. Il y a un important rattrapage à faire », croit le président du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC).

Cet effort de rattrapage sera d’autant plus costaud que le MEDAC propose de hausser de 200 000 $ à 500 000 $, au minimum, le plafond de l’indemnisation (ce que l’AMF a rejeté). Pour M. Thouin, 200 000 $, c’est seulement « le double de ce que les banques et les caisses populaires offrent pour l’assurance dépôt ». « Ce plafond-là a lieu d’être révisé », fait-il remarquer.

Dans l’ensemble, M. Thouin pense que l’AMF « a bien défini les enjeux » propres au FISF et qu’elle propose de bonnes mesures.

Flavio Vani est aussi en faveur de la coassurance. « J’exigerais même plus que 15 %. Pour couvrir tous les produits dans toutes les circonstances, les cotisants actuels au FISF ne peuvent pas suffire à la tâche », dit le président du Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec (RICIFQ).

Il est aussi d’accord avec l’idée de l’AMF de mettre en place un mécanisme d’évaluation des demandes d’indemnisation selon lequel un épargnant pourrait se voir refuser une indemnisation s’il a participé volontairement à une fraude, à des placements à des fins d’évasion fiscale ou de blanchiment d’argent. « Quand on fait ce genre de pirouette, il ne faut pas s’attendre à être dédommagé si ça tourne mal », note M. Vani.

De son côté, M. Labelle accueille positivement la coassurance, la qualifiant d’équitable. « Nous sommes les seuls au Québec à avoir un fonds qui indemnise contre la fraude. La participation légère du public forcera les gens à poser des questions et à prendre une part de responsabilité dans des situations qui pourraient requérir l’indemnisation. »

Pour sa part, le directeur général du Réseau FADOQ, qui est plus important regroupement de personnes de 50 ans et plus au Québec, a une position ambivalente au sujet de la coassurance. « C’est sûr qu’on a tous une responsabilité quand on décide d’investir, dit Danis Prud’homme. En dernier ressort, c’est le consommateur qui dit oui ou non à un placement qu’on lui recommande. Mais nous ne voulons pas que la coassurance enlève la responsabilité des professionnels [de l’industrie financière] et nous voyons mal pourquoi le consommateur devrait s’assurer contre un spécialiste censé proposer des produits qui répondent aux besoins de ses clients. »

Gouvernance : contre le statu quo

Dans son document d’orientation, l’AMF note que plus des trois quarts des organismes qui ont présenté un mémoire souhaitent une révision de la gouvernance du FISF. Malgré tout, le régulateur prône le statu quo, c’est-à-dire que le FISF continue d’être dirigé comme il l’est aujourd’hui.

Selon lui, le système actuellement en place réduit les délais de traitement et lui permet de bénéficier « d’un savoir-faire significatif lié à la synergie des responsabilités ».

Cette orientation déçoit ceux de nos intervenants qui ont exprimé une opinion à ce sujet. « Au RICIFQ, notre position a toujours été : no taxation without representation. Le FISF doit avoir un conseil d’administration auquel nous voulons siéger, puisque c’est nous qui cotisons », tonne M. Vani.

« Dans un souci de faire évoluer la gouvernance, on n’aurait pas trouvé inapproprié d’accorder une place plus importante au plus grand groupe des cotisants », ajoute M. Labelle.

« Bien que nous n’ayons pas de recommandation spécifique sur cet aspect, nous aimerions que le FISF soit doté d’un conseil d’administration. Et, à titre de représentants des consommateurs, nous devrions y siéger », indique M. Thouin.

Les réserves de la Coalition pour la protection des investisseurs

Comme commentaire général, Robert Pouliot, porte-parole de la Coalition pour la protection des investisseurs (CPI), se dit être « assez réservé sur les intentions de l’AMF ». Outre M. Pouliot, expert en évaluation du risque et directeur des Services aux investisseurs FidRisk, la CPI comprend une vingtaine d’experts tels que Claude Béland, l’ancien président du Mouvement Desjardins, et Claude Castonguay, le père de l’assurance maladie du Québec.

En ce qui concerne la responsabilisation des investisseurs, M. Pouliot s’étonne que l’AMF cherche à leur en faire porter une part accrue. « Ce n’est pas évident de les responsabiliser davantage quand, déjà, ils sont responsables d’épargner. Si en plus on les oblige à surveiller ceux qui gèrent leur argent, je ne sais pas comment ils vont arriver », dit-il. Les mesures d’éducation et de prévention que propose l’AMF ne l’impressionnent pas. « Les études mondiales sur la littératie financière montrent à quel point les campagnes d’information ont échoué. Il ne suffit pas d’informer les gens, il faut les encadrer », lance-t-il.

Pour ce qui est de la coassurance de 15 %, il estime que l’AMF erre, puisque cette mesure ne protégera que ceux qui sont admissibles à une indemnisation, « moins 15 % ». Au contraire, la CPI préconise un nouveau fonds qui couvrirait toute la chaîne d’investissement. « Ce fonds renforcerait le FISF actuel en ajoutant la contribution universelle des investisseurs individuels et institutionnels, à raison de quelques points de base (quelques cents par 100 $), à celle des conseillers. On protégerait ainsi l’ensemble des fonds collectifs accessibles au marché, comme les fonds communs, les fonds distincts et les plans d’épargne. »

À l’instar des autres intervenants, la CPI voudrait que le FISF soit chapeauté par un conseil d’administration indépendant. En fait, l’AMF elle-même devrait être régie par un conseil d’administration. Autrement, on nage en plein paradoxe. « L’AMF prône une meilleure gouvernance des entreprises cotées en Bourse et des sociétés qui opèrent en finance, et elle subventionne le Collège des administrateurs de sociétés. Or, elle-même n’a pas de structure de gouvernance! J’espère que le ministre des Finances en tiendra compte, car ce n’est pas normal », signale M. Pouliot.

Par ailleurs, l’AMF refuse d’étendre aux gestionnaires de fonds la couverture que procure actuellement le FISF. En effet, dit l’AMF, ces gestionnaires sont des « manufacturiers » qui n’ont pas de contact avec le public et qui n’agissent pas comme conseillers auprès des consommateurs. Or, le FISF a pour mission d’indemniser les épargnants floués dans le cadre de la distribution de produits.

Le hic, c’est que les plus grandes fraudes financières au Canada n’ont pas été perpétrées dans l’offre de produits, mais dans leur gestion. Certes, les investisseurs institutionnels peuvent se défendre, non seulement contre la fraude, mais aussi contre la grossière négligence (erreur et omission, déviation de la politique, investissement non autorisé, etc.), qui est beaucoup plus courante.

Mais, pour les épargnants, se défendre est une autre histoire. En effet, le coût et les délais d’un recours sont si élevés qu’ils « correspondent implicitement » à une franchise d’assurance inabordable. « La complexité et les contraintes juridiques du FISF expliquent pourquoi les victimes de Norbourg ont dû attendre si longtemps avant d’être indemnisées », se désole M. Pouliot.

Actuellement, au pays, seuls les gestionnaires de portefeuille sont reconnus comme ayant une imputabilité fiduciaire. Les représentants en épargne collective et les conseillers en sécurité financière, eux, n’ont pas d’obligations fiduciaires en termes de moyens. Mais, pour les épargnants, ces distinctions demeurent abstraites. « Si vous leur demandez qui gèrent leur portefeuille, ils répondront : “ʼMon courtier” », dit M. Pouliot.

Si l’AMF voulait réellement accomplir sa mission de protéger les épargnants, note-t-il, elle étendrait la couverture du FISF à l’ensemble de la gestion collective de fonds, aux courtiers de plein exercice et aux gardiens de valeur. Ce faisant, elle compenserait « l’absence de tout autorégulateur chez les gestionnaires et les gardiens de valeurs », précise M. Pouliot. Elle assurerait aussi un traitement harmonisé pour toute forme de gestion collective, et on comblerait « l’écart actuel qui prévaut entre fonds communs et fonds distincts, en vertu de la réglementation distincte propre au secteur de l’assurance ».

Enfin, le porte-parole de la CPI déplore que l’AMF écarte la faute lourde du champ d’application du FISF.

Sur cet enjeu, rappelons que l’AMF recommande de s’assurer que ce type de faute non intentionnelle soit couverte par les contrats d’assurance de responsabilité des intermédiaires. La Chambre de la sécurité financière partage ce point de vue. « Nous croyons que la faute lourde devrait demeurer du ressort de l’assurance et non devenir du domaine de l’indemnisation, comme l’est la fraude », dit M. Labelle.

Le problème, c’est que, à la suite de l’affaire Guillemette, les assureurs en responsabilité professionnelle pourraient y songer à deux fois avant de proposer des polices aux cabinets et aux conseillers. Cela pourrait créer un grand vide, prévient M. Pouliot.

Bref rappel des faits. En 2008, un conseiller Yves Tardif a posé des gestes non autorisés et illégaux dans le cadre de son travail. Poursuivi par des clients abusés, le cabinet qui employait Yves Tardif a demandé à son assureur en responsabilité de l’indemniser. Prétextant la commission d’une faute lourde, exclue de la police, l’assureur a refusé de payer.

Le dossier s’est retrouvé en cour. D’instance en instance, la cause a abouti devant la Cour suprême du Canada, qui confirmé que l’exclusion pour faute lourde était inopérante puisqu’elle contrevenait aux dispositions de la Loi sur la distribution de produits et services financiers. En deux mots, les activités des conseillers effectuées à l’extérieur de leur permis d’activité sont couvertes par l’assurance responsabilité.

À la suite de cette décision, les compagnies d’assurances voudront resserrer leurs contrats en excluant clairement les fautes lourdes. À la limite, elles pourraient être tentées de ne plus couvrir les cabinets et les conseillers, jugeant que c’est trop risqué. « Or, si les assureurs et le FISF refusent de payer, qui protégera le public ? » s’interroge M. Pouliot.

À lire : FISF : l’AMF propose une coassurance de 15 % pour les consommateurs

Ronald McKenzie