Indemnisation : l’assurance incomprise

Par Yves Bonneau | 1 mars 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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À voir les réactions négatives de toutes parts qui ont suivi la présentation publique de la Coalition pour la protection des investisseurs sur le fonds d’indemnisation élargi, il semble que les conseillers continueront encore longtemps de payer pour réparer les fautes des autres.

Demandez à n’importe qui s’il prendrait le risque de ne pas assurer sa maison contre le feu, ses biens contre le vol ou sa voiture contre la perte. Seuls les inconscients vous diront que c’est une avenue qui leur permettrait des économies.

Présentez un projet d’indemnisation pour protéger les épargnes des investisseurs en placements collectifs qui soit sensé, réfléchi, juste, universel, et vous aurez droit à toutes sortes d’objections loufoques de gérants d’estrades.

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller

C’est ce qui est arrivé le mois dernier à la suite de l’annonce d’un projet de Fonds d’indemnisation soutenu par la Coalition pour la protection des investisseurs. Un groupe spécial de travail issu de la Coalition, dirigé par Robert Pouliot, s’est penché au cours des derniers mois sur la question d’un fonds d’indemnisation, avant d’en arriver à l’actuelle formule présentée en conférence de presse le 21 janvier dernier. Le fonds aurait pour objectif de protéger les investisseurs contre la fraude et la négligence fiduciaire couvrant toute la chaîne d’investissement, des conseillers aux manufacturiers, dans le domaine des fonds collectifs.

Parmi les arguments en faveur de la mise en place d’un tel fonds, il faut noter que :

  • moins de 10 % des montants en jeu ont été récupérés par les victimes de fraude depuis 2000;
  • 15 scandales au Canada ont coûté plus de deux milliards de dollars en pertes, avec une majorité (76 %) provenant de sociétés enregistrées auprès des autorités de surveillance;
  • moins de 10 % des sociétés impliquées étaient assujettis aux autorégulateurs. Hormis Portus (95 % des mises initiales récupérées), les clients ont recouvré moins de 10 % de leur investissement, et moins de 2 % par l’intermédiaire des fonds canadiens de protection.

L’an dernier, les conseillers ont payé environ 12 millions de dollars en cotisations accrues pour renflouer le Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF) de l’AMF et pour combler le trou laissé par le remboursement de la fraude d’un seul manufacturier (Norbourg), et il en sera ainsi jusqu’en 2014. Il s’agit d’une injustice flagrante, mais le commun des mortels et son journaliste préféré y voient le légitime tribut à payer pour « vivre grassement de cette industrie », dixit Michel Girard, de La Presse.

À lire et à entendre également les réactions de monsieur et madame Tout-le-monde, il semble que la partie est loin d’être gagnée pour la Coalition. Si cette dernière entend faire avancer son projet de fonds d’indemnisation, elle devra sans doute convaincre le ministre des Finances du bien-fondé de cette initiative, et celui-ci devra simplement l’imposer. Comme l’assurance-maladie ou l’assurance automobile à une autre époque.

Chaque fois que des mesures publiques de ce genre ont été présentées pour le bien collectif, les lobbies, les épouvantails, les grandes corporations, les leaders d’opinion se sont levés en bloc pour annoncer l’apocalypse, la faillite ou le caractère irréaliste du projet.

Pourtant, la chose est relativement simple, il s’agit d’un fonds qui servira d’assurance aux épargnants en cas de fraude.

Comme nous le rappelle Michel Mailloux, du groupe d’experts de la Coalition : « Le principe même de l’assurance, c’est de se protéger, de prévoir l’imprévisible. Dans toutes les situations où l’assurance intervient, il s’agit de faits hors de notre volonté, qu’ils soient provoqués par nous-mêmes ou par un tiers. »

Mais, à la conférence de presse annonçant le projet d’indemnisation, la question qui brûlait les lèvres de tous les journalistes spécialisés dans la chose économique était : « Votre fonds d’indemnisation ne sera-t-il pas une incitation à la déresponsabilisation des investisseurs? »

C’est comme demander au propriétaire d’une voiture pleinement assurée si le simple fait d’être assuré l’autorise tout à coup à conduire comme un écervelé! Ou à un locataire assuré de partir en voyage sans verrouiller sa porte. Bien sûr, des fraudeurs qui « arrangent des scénarios » pour se faire indemniser, il y en a et il y en aura toujours.

C’est une des règles statistiques les plus immuables. Mais va-t-on demander à la police de nous indemniser parce qu’il y a de mauvais conducteurs sur la route ou des voleurs dans les ruelles, sous prétexte que les policiers devraient tous les arrêter? Non.

La fraude est un risque, il faut le savoir et en tenir compte comme n’importe quel autre risque, et ce n’est pas parce que l’AMF double ses effectifs que la fraude disparaîtra pour autant. Pour une maison de 250 000 $, il en coûte environ 1 000 $ d’assurance, soit 0,4 % par année. Pour une voiture de 25 000 $, environ 800 $, soit 3,2 % annuellement. Pour 500 000 $ d’épargne en fonds communs, il en coûterait selon la Coalition 150 $, soit 0,03 %.

Il est stupéfiant d’entendre Michel Nadeau ou Raymond Bachand s’inquiéter du « fardeau » financier que constituerait cette nouvelle contribution pour les épargnants.

Il faudrait demander aux investisseurs des fonds Évolution quel fardeau de stress ils ont subi durant ces cinq dernières années, après avoir perdu leurs économies aux mains de fiduciaires malhonnêtes. Il y aurait aussi un parallèle intéressant à faire avec ces familles à faible revenu qui se demandaient comment arriver à payer les honoraires du médecin dans les années soixante, ou les victimes d’un accident de la route (avant 1976) causé par un irresponsable non assuré, qui devaient assumer les frais matériels et physiques d’un handicap survenu à la suite d’une collision routière.

Imaginez tout le stress et les soucis que ces régimes d’indemnités ont évités aux Québécois depuis 40 ans. Imaginez aussi les économies réalisées en productivité, en honoraires d’avocat et en assurances privées.

Doit-on vraiment attendre le consensus universel avant de pouvoir assurer un bien aussi précieux que son patrimoine?

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Yves Bonneau, rédacteur en chef Conseiller


Cet article est tiré de l’édition de mars du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Yves Bonneau